Crise du lait en Algérie : panique au sommet

 Crise du lait en Algérie : panique au sommet

Philippe HUGUEN / AFP

A quelques semaines du ramadan, alors que la pénurie de lait fait toujours rage, l’exécutif algérien tente à tout prix de répondre à la crise par quelques décisions de dernière minute. C’est le ministre du Commerce et de la Promotion des exportations Kamel Rezig qui a été chargé de jouer au pompier pour faire savoir qu’une série de mesures avaient été prises, à l’effet d’assurer la régulation de l’approvisionnement du marché en lait subventionné, fruits, légumes et viandes.

C’était d’ailleurs à l’ordre du jour de la dernière réunion du Conseil des ministres, tenue sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune qui a pris une série de décisions « dont la création de commissions de contrôle au niveau des wilayas pour mieux répondre aux besoins des citoyens » sic.

Quant aux mesures prises pour « pallier les dysfonctionnements dans la production et la distribution du lait subventionné, elles prévoient des quotas supplémentaires mensuels du lait en poudre au profit de 124 laiteries publiques et privées, qui viennent s’ajouter aux quotas actuels estimés à 14 579 tonnes ». Le premier responsable du secteur a en outre affirmé que le ministère recourra aux laiteries non contractuelles avec l’Office national interprofessionnel du lait et produits laitiers (ONIL) pour répondre aux besoins nationaux, et ce, après « la révision de la carte de distribution du lait en poudre », annonçant le parachèvement de l’élaboration et de l’actualisation de la cartographie nationale des laiteries contractuelles avec l’ONIL, et de celles des distributeurs agréés et des détaillants.

C’est ce qu’on appelle noyer le poisson alors qu’en réalité le ministre du Commerce Kamel Rezig aux côtés d’autres messi dominici sillonnent les pays tiers pour trouver des opérateurs solides capables de répondre à la crise endémique du lait en Algérie. Dans le lot, le Saoudien Almarai, invité à fournir du lait au marché algérien, est déjà bien avancé dans son projet d’installation d’une usine dans le pays. Même chose pour Baladna, une entreprise qatarie, considérée comme l’une des plus importantes sociétés de production laitière du golfe Persique, qui a investi dans la région de Bougtob, au nord de la wilaya d’El-Bayadh.

Sauf qu’avant même que ces mastodontes de la filière lactée ne commencent à approvisionner le marché algérien, des campagnes de dénigrement ont visé ces initiatives, (début 2023, des articles douteux vont faire état d’une affaire d’intoxication alimentaire à Alger, causée par un yaourt de la marque Almarai alors que la société n’avait pas encore fourni le moindre litre de lait dans ce pays); ce qui s’explique par le fait que l’ONIL est une véritable vache à lait de personnalités proches du pouvoir; ces résistances mettent à jour un système de prébendes et de corruption qui gravite autour du fameux Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONIL) chargé d’importer la poudre de lait, dont l’Algérie est le troisième acheteur mondial.

Les Algériens consomment annuellement 5 milliards de litres de lait, soit 145 à 150 litres par habitant. Or la production des 104 laiteries locales (dont 15 publiques) ne dépasse pas 3,5 milliards de litres, selon les chiffres officiels algériens. Une crise du lait que n’arrive d’ailleurs pas à contrer le groupe algérien Tchin-Lait (Candia Algérie), partenaire du français Candia dont il utilise la marque et la licence malgré l’acquisition en 2022, de plusieurs fermes dans l’est du pays, à Bordj Bou Arreridj et à M’Sila, afin d’assurer son autonomie vis-à-vis de l’approvisionnement en poudre de lait.

Seul hic au tableau, à l’Office national interprofessionnel du lait (ONIL), les affaires de détournement se suivent et ne se ressemblent pas. Si le ministère de l’Agriculture et du Développement rural s’était contenté en juillet 2022 d’un communiqué laconique pour annoncer que « le directeur général de l’Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (ONIL), a été démis de ces fonctions », la presse algérienne fait régulièrement état de détournements de plusieurs milliards de dinars transférés illégalement vers l’étranger.

A l’exemple de ce scandale qui avait été fortement médiatisé il y a quelques années de cela, levant le voile sur des pratiques mafieuses (contrats négociés de gré à gré avec des fournisseurs au pedigree douteux, une poudre de lait subventionnée détournée vers la contrebande avec la Tunisie et la Lybie, et le Maroc avant la fermeture des frontières) impliquant des personnalités politiques en plus de responsables administratifs au sein de cette instance.

Jusqu’à présent, malgré ces pénuries à répétition et les scandales à répétition, l’exécutif qui présente depuis quelques temps une reprise en main du secteur agricole idéalisée, laissant croire que les choses sont bien sous contrôle alors qu’en réalité, il n’y a aucun signe de changement dans le système agricole et les circuits d’approvisionnement alimentaires algérien (dont le lait) pour les rendre plus résilients et équitables.

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