Covid-19 : Pandémie, épidémie ou endémie ? Qu’en est-il ?
À l’heure où diverses et multiples informations circulent sur la crise sanitaire liée à la Covid-19 au sein des médias et réseaux sociaux, nous avons voulu faire le point sur la situation épidémiologique qui prévaut actuellement sur le terrain, en faisant appel à Madame Mechakra Tahiri Samia, Professeure d’Université titulaire d’un Ph.D en Épidémiologie obtenu à l’Université de Montréal (Canada). Auteure de plusieurs publications en anglais et en français, Professeure Mechakra Tahiri a grandement contribué au développement de l’enseignement et de la recherche dans le domaine de l’épidémiologie, au sein des facultés de Médecine du Maroc et du Canada et au sein de grands centres de recherche. Entretien.
LCDA : Le nouveau coronavirus SARS-CoV-2, découvert en Chine en décembre 2019, a touché la totalité des pays, en faisant des milliers de morts. En mars 2020, l’OMS avait déclaré l’épidémie de Covid-19 comme pandémie. Deux ans après, nous entendons toujours parler de pandémie, d’épidémie et plus récemment d’endémie. De quoi s’agit-il ?
Professeure Mechakra Tahiri Samia : Il faut d’abord souligner que les termes de pandémie, d’épidémie et d’endémie sont empruntés au vocabulaire de l’épidémiologie qui, actuellement, est devenue une des disciplines sur lesquelles s’appuient la santé publique et la médecine préventive.
En peu de mots, l’épidémiologie étudie les problèmes de santé des populations (fréquence, distribution, évolution) ainsi que les facteurs ayant une influence sur la santé et les maladies de populations. Elle vise à prévenir et à maîtriser la maladie.
L’endémie se définit par la présence habituelle d’une maladie, en général infectieuse, dans une population déterminée ou une région précise, avec une incidence stable. Le mot endémique caractérise le mode de circulation d’une maladie et non sa gravité. Ce sont donc des maladies qui peuvent avoir un comportement saisonnier, mais qui ne mettent pas le système de santé sous tension. Par exemple, le paludisme est endémique dans de nombreux pays africains, tout comme l’hépatite A l’est en Thaïlande.
Qu’en est-il de l’épidémie et de la pandémie ?
– Le terme d’épidémie désigne le développement et la propagation rapide d’une maladie infectieuse et contagieuse dans une région géographique donnée sur une période donnée. Quand on parle d’épidémie, Il est également important de préciser les caractéristiques de la population contaminée.
Initialement, le terme d’épidémie ne concernait que les maladies infectieuses comme par exemple, la grippe, la rougeole ou plus récemment la Covid-19 qui fait partie des épidémies virales. Mais les épidémies peuvent également être d’origine bactérienne, comme la tuberculose.
La définition de la pandémie, donnée par l’OMS, a varié à plusieurs reprises. Actuellement, pour parler de pandémie, la maladie doit toucher au moins deux continents (OMS). Il faut souligner que le terme de pandémie n’a rien à voir avec le nombre de décès provoqués par la maladie, comme le rapporte souvent les médias.
D’après ces clarifications, est ce qu’une maladie endémique va toucher plus de personnes qu’une épidémie ou qu’une pandémie ?
– Comme l’a souligné le directeur des urgences de l’OMS, Michael Ryan, « endémique signifie simplement que c’est là pour toujours », en rappelant que « le paludisme endémique tuait chaque année des centaines de milliers de personnes ».
On comprend, alors, qu’une maladie endémique peut toucher plus de personnes qu’une maladie épidémique ou pandémique.
Ces derniers jours, on entend souvent que la Covid-19 pourrait devenir une maladie endémique. Est-ce une illusion ?
– Une « maladie endémique » est une maladie infectieuse présente de façon latente ou en permanence, à l’instar de la grippe. Dans le cas de la Covid-19, le virus Omicron a entraîné une explosion des contaminations dans beaucoup de pays, mais, selon les données rapportées, avec des effets plus limités sur les hospitalisations et les décès.
Partant de ce constat, l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) a indiqué que le variant Omicron pourrait transformer la Covid-19 comme une « maladie endémique » (conférence de presse). Et, certains pays, dont l’Espagne et le Royaume Uni envisagent, déjà, un plan de gestion de la Covid-19, similaire à celui des autres maladies hivernales (grippe, rhume).
Cependant, l’OMS a appelé à la prudence, car il est difficile de prédire l’avenir, du fait qu’il n’y a pas de loi qui stipule qu’un virus s’atténue avec le temps. D’autre part, cette pandémie a déjoué beaucoup de prédictions car les modèles de progression de la maladie reposent sur une multitude d’hypothèses qui sont loin d’être consensuelles entre les modélisateurs.
De plus, les données factuelles montrent que le virus mute tout le temps, en étant parfois plus contagieux, comme dans le cas d’Omicron. La prudence reste de mise quant à l’évolution de la pandémie.
L’épidémiologie semble nécessaire aux pouvoirs publics, dans la gestion de la Covid-19. Est-ce le cas ?
– L’épidémiologie est une composante essentielle de la santé publique. Sa finalité est d’améliorer la santé des populations, en soulignant que la santé n’est pas seulement l’absence de maladie, mais « un état de complet bien- être physique, mental et social » (OMS).
Oui, l’épidémiologie est nécessaire aux pouvoirs publics, car elle permet, en collaboration avec d’autres spécialités, d’évaluer l’impact des actions de prévention et des actions curatives mises en place par les pouvoirs publics, pour lutter contre les maladies.
Dans le cas de la Covid-19, l’épidémiologie permet d’avoir un portrait factuel de l’efficacité des actions préventives et curatives mises en place pour freiner la propagation du SARS-CoV-2 (port du masque, couvre-feu, confinement, efficacité de la vaccination dans la prévention des formes graves de Covid-19, etc.).
Cette évaluation permettra aux décideurs de faire des choix en matière de politique de santé, en pleine connaissance des résultats épidémiologiques qui doivent guider les décisions politiques.
Madame Mechakra Tahiri est Professeure d’Université, titulaire d’un Ph.D en Épidémiologie (Université de Montréal, Canada), d’un doctorat d’état en Biologie Humaine (Université Claude Bernard de Lyon, France) et d’un diplôme de recherche Clinique et d’Épidémiologie (Université de Paris IV, France). Elle était chef de service d’Épidémiologie, de Biostatistiques et d’Informatique Médicale à la faculté de Médecine de Casablanca (Maroc). Actuellement, elle exerce en tant que consultante internationale en épidémiologie, auprès d’instances nationales et internationales (OMS, Ministère de la santé, Institutions Maghrébines, Canadiennes, etc).
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