Conflit d’intérêts: combien de temps le gouvernement Fakhfakh peut-il tenir ?
Grandement affaibli par un dossier de conflit d’intérêts, le gouvernement Fakhfakh a reçu aujourd’hui lundi le « soutien indéfectible » du président de la République. Pourtant, chaque session filmée de la commission d’enquête parlementaire est un coup dur supplémentaire pour la crédibilité d’Elyes Fakhfakh à la tête de l’exécutif.
« Un pays sans appareil exécutif », « Qui donc dirige ce pays ? », ou encore « Y a-t-il commandant à bord ? »… Tels sont les grands titres de la presse nationale en ce 13 juillet où l’anxiété est palpable à Tunis chez une opinion publique qui perd foi, une fois de plus, en sa classe dirigeante. La rue sent bien en effet que l’actuel pouvoir est éphémère et que cette situation, éthiquement intenable, ne saurait perdurer même à court terme.
Une première dans le monde arabe
Tout au long de la semaine écoulée, de nombreux Tunisiens ont suivi en direct les premières péripéties de la commission d’enquête parlementaire, présidée par l’opposition, et chargée d’enquêter sur les conflits d’intérêts mais aussi désormais sur les « soupçons de corruption » qui planent sur le dossier du marché public remporté par l’une des entreprises privées d’Elyes Fakhfakh.
Houleuses, les premières séances ont donné l’impression d’un tâtonnement méthodologique. Et pour cause, ladite commission y examinait encore les modalités de son propre fonctionnement, entre calendrier et prérogatives autoproclamées. « Nous aspirons à devenir une jurisprudence, soyez à la hauteur de l’évènement. C’est la première fois dans le monde arabe qu’une telle commission, enquêtant sur un chef de gouvernement, voit le jour ! », s’enorgueillit un député membre de la commission.
« Je propose que l’on donne la priorité à l’audition des représentants de la concurrence lésée dans ce dossier. Plusieurs ont déjà répondu favorablement », annonce Yadh Elloumi, président de la commission. Siégeant à ses côtés, des membres de la coalition gouvernementale l’accusent d’avoir « préparé un verdict à l’avance ». Des accusations qui trahissent la nervosité de cette composante anti-corruption du gouvernement, incarnée par le parti centre-gauche Attayar, mis dans l’embarras par cette affaire qui compromet indirectement son avenir politique. Une position peu enviable.
Soutien inattendu du président de la République
Il était resté silencieux ces dernières semaines, lui qui avait personnellement choisi Elyes Fakhfakh à ce poste. Mais le silence prudent observé par le président Kais Saïed s’est mué en soutien explicite lundi 13 juillet. Au moment où des députés l’enjoignent à saisir l’article 99 de la Constitution, un mécanisme lui permettant d’initier une procédure de destitution, le chef de l’Etat a donc préféré le statu quo.
Saïed a ainsi nié lors d’une intervention filmée toute négociation en cours avec les partis politiques sur la formation d’un nouveau gouvernement, réagissant ainsi à la décision du conseil de la Choura du parti Ennahdha hier soir dimanche de missionner Rached Ghannouchi en ce sens.
Au moment où le pays s’enlise dans la crise économique post Covid-19, le président de la République reste fidèle à sa réputation de légaliste invétéré, plaidant l’intouchabilité du chef du gouvernement en l’absence de condamnation judiciaire. Une posture de formalisme juridique rigide et apolitique, dont on voit mal comment elle pourrait résister à l’épreuve du temps.
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