Composé d’anonymes, le nouveau Parlement passionne peu les Tunisiens

 Composé d’anonymes, le nouveau Parlement passionne peu les Tunisiens

A l’exception de l’agence TAP et de la TV nationale, les nombreux médias venus couvrir la séance plénière inaugurale ont été empêchés d’accéder à l’Assemblée

Près de vingt mois après sa fermeture par un véhicule blindé de l’armée le 25 juillet 2021, sur ordre présidentiel de Kais Saïed, le Parlement a repris son activité aujourd’hui 13 mars 2023. Hormis la curiosité de certains, la séance inaugurale a eu lieu quasiment dans l’indifférence générale, les nouveaux députés étant de complets anonymes pour la plupart des Tunisiens.  

Elu président du Parlement, Brahim Bouderbala évoque une « journée déterminante pour l’Histoire de la Tunisie »

« Demandez à un tunisien de vous citer le nom ne serait-ce que d’un ou deux élus de cette Assemblée, il en sera incapable ! Ce sont des personnalités de quatrième ou de cinquième rang, dans le meilleur des cas, lorsque ce ne sont pas d’anciens transfuges recyclés d’anciens partis », commente un passant incrédule aux abords du Parlement.

Conformément à l’article 2 du décret présidentiel portant convocation des nouveaux élus, la plénière inaugurale de la nouvelle législature a été présidée par le député le plus âgé, Salah Mbarki, ainsi que les deux députés les plus jeunes, Cyrine Boussandal et Ghassen Yamoun, en tant que vice-présidents.

Annonçant la couleur, Salah Mbarki a affirmé dans son allocution que « le devoir national dicte aux députés de travailler en harmonie avec le pouvoir exécutif »… D’ailleurs en ont-ils le choix ?

 

L’ovni d’une démocratie sans partis

Rappelons que l’élection des nouveaux députés s’est déroulée sur deux tours, en vertu des dispositions de la nouvelle Constitution et de la loi électorale, amendée par le décret-loi présidentiel 55 du 15 septembre 2022. Des amendements relatifs notamment à l’adoption du vote sur les individus, au lieu du vote sur les listes électorales.

Tacitement, la fin des partis politiques, souhaitée par l’idéologie saïdiste, était ainsi actée. En marge d’une visite inopinée samedi au siège du quotidien « La Presse » à Tunis, le président Saïed a réaffirmé à cet égard que « les blocs parlementaires font partie du passé » et que « les législations doivent refléter la volonté générale et non les intérêts de certains nostalgiques de l’ancienne Assemblée des représentants du peuple ou de la dernière décennie ».

Populiste, l’ancien régime de Mouammar Kadhafi avait parmi ses slogans « man tahazaba khan » (« quiconque s’enrôle dans un parti politique est un traître »). Si le voisin libyen avait le mérite de la clarté, le régime tunisien en pleine mutation avance encore à coup de subterfuges qui ne laissent cependant aucun doute quant à ses intentions. Pour le juriste Sghaier Zakraoui, Kais Saïed est en passe d’inventer un système de gouvernance inédit dans le monde, sorte de Jamahiriyya mais désargentée.

Pour punir ce que l’on a jadis appelé « le tourisme parlementaire » entre blocs, pratiqué certes de façon peu éthique par quelques élus, mais aussi la reconfiguration des blocs à la faveur parfois de nouvelles alliances comme cela se fait dans les vieilles démocraties, le projet présidentiel fait donc table rase de la démocratie représentative elle-même. Or, sur les 154 députés que compte la nouvelle Assemblée, 75 ont appartenu à des partis en tête desquels on retrouve feu Nidaa Tounes.

Une fois que les membres de la nouvelle ARP ont prêté serment, le président a ouvert les candidatures pour le poste de président de l’ARP à la majorité absolue des voix, remporté au deuxième tour par l’avocat Brahim Bouderbala, ancien bâtonnier devenu ardent défenseur du projet présidentiel.

Comme pour reléguer davantage au second plan ce qui est déjà le non-évènement de l’inauguration d’un Parlement délesté de ses prérogatives, le président de la République, critiqué pour son absence dans l’hémicycle du Palais du Bardo, effectuait aujourd’hui un énième déplacement inopiné dans la région frontalière de Ghardimaou. C’est là qu’il démasquait, une fois de plus, une maléfique machination, « ourdie par des responsables corrompus » qui selon lui ont ralenti à dessein la construction d’un hôpital. En somme, une journée ordinaire dans le narratif présidentiel redresseur de torts à qui des parlementaires n’allaient tout de même pas voler la vedette.