Comment expliquer la hausse du cash en circulation en Tunisie ?

Les billets et monnaies en circulation ont atteint à la date du 7 février 2025 la valeur de 23 milliards de dinars tunisiens contre 21,2 milliards durant la même période de l’année précédente, enregistrant ainsi une hausse de 1,6 milliard de dinars, ce qui représente une hausse considérable de 7,8% en pourcentage de glissement annuel. Quelles en sont les principales causes selon les experts ?
Selon les données de la Banque Centrale au 7 février 2025, en une seule journée, les billets et monnaies en circulation ont évolué de 27 millions de dinars. Qualifiée de « vertigineuse », cette hausse du cash s’explique en grande partie par le retour au paiement en espèces suite à l’entrée en vigueur de la plateforme de paiement électronique par chèque « Tunichèque », encore à ses débuts.
Outre cette nouvelle réglementation du chèque, un alinéa de la même loi annule l’incrimination du chèque : le décret-loi 2024-3 du 14 octobre 2024 abrogeant l’article 16 de la loi n° 2014-54 du 19 août 2014 relative à la loi de finances complémentaire pour l’année 2014, annule la criminalisation de la détention de montants en espèces égaux ou supérieurs à 5 000 dinars, sans justificatif de leur provenance. Quant au volume global du refinancement, il a passé de 15,3 milliards de dinars, en février 2024, à 13,3 milliards de dinars au 7 février courant, enregistrant ainsi une baisse de près de 13%.
Un contrecoup de la nouvelle loi sur les chèques
« Cette hausse étonnante des billets et monnaies en circulation est un résultat évident de la nouvelle loi sur les Chèques », confirme aujourd’hui jeudi l’ancien directeur général de la politique monétaire à la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mohamed Salah Souilem.
La même source fait état d’un recours massif des Tunisiens aux liquidités ces dernières semaines, en substitution à l’utilisation des chèques. Il s’agit donc en soi d’un effet contreproductif de ladite loi, du moins dans un premier temps, puisque celle-ci visait précisément entre autres à moderniser les transactions en les digitalisant davantage. Au lieu de cela, on voit des billets sortis tout droit de sous les matelas, ironisent des internautes.
« Cela dit, il faut préciser que le rythme de progression de la masse des billets et monnaies est également en général corrélé à l’inflation et à la croissance du PIB aux prix constants », a noté Souilem.
Ce dernier avertir par ailleurs que « tant que nous n’avons pas trouvé d’alternatives au chèque, pour faciliter les paiements entre opérateurs économiques, en mobilisant de nouvelles solutions de paiement électronique, en développant la carte de crédit pour permettre à l’utilisateur de payer par facilités, en généralisant les virements et les paiements électroniques, ou en concevant des garanties pour l’usage des effets de commerce…, il faut s’attendre à de nouvelles hausses historiques pour les billets et monnaies en circulation. Ces hausses seront plus accentuées surtout avec l’avènement du mois de Ramadan et de l’Aïd, caractérisés par l’accroissement de la consommation du Tunisien et du recours massif à l’utilisation du cash ».
Autre effet direct, « cette loi va avoir des répercussions négatives sur le citoyen, mais surtout elle va entraver la croissance du pays, car elle va toucher le volume des transactions entre les opérateurs économiques », estime Souilem.
Un autre problème pourrait surgir d’après lui, celui « du besoin de la BCT d’imprimer davantage de billets de banque pour faire face à ce rythme élevé de retrait de cash, ce qui peut entraîner des coûts supplémentaires d’impression pour l’institut d’émission, mais aussi l’accélération de l’inflation ».
« Notre grande défaillance en Tunisie, consiste dans le fait que nous ne cherchons pas à identifier des solutions radicales pour nos problèmes, mais juste des solutions faciles », a-t-il déploré à propos du traitement superficiel des symptômes.
« Je pense que c’est inadmissible de changer toute une législation, à savoir celle des chèques, rien que pour quelque 500 personnes emprisonnées pour avoir émis des chèques sans provision », a-t-il encore avancé, soulignant que le taux de rejet de chèques en Tunisie (chèques impayés) ne dépasse pas 1,5%.
« Nous aurions dû maintenir l’ancienne loi sur les chèques et chercher d’autres solutions pour ce problème. C’est inefficace de tout changer sans préparer les solutions alternatives », a enfin regretté Souilem, proposant notamment à l’Etat de payer ses dettes envers plusieurs opérateurs économiques, afin que ces derniers puissent à leur tour honorer les chèques déjà émis au profit d’autres parties.