Commémoration de la révolution: l’étonnante communication présidentielle

 Commémoration de la révolution: l’étonnante communication présidentielle

Il y a dix ans jour pour jour, Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant, s’immolait et ouvrait par ce geste la boîte de Pandore du Printemps arabe. Si depuis, un automne a stoppé net les aspirations de certains peuples voisins, la Tunisie peut se prévaloir d’avoir préservé bon nombre des acquis de cet évènement charnière de son histoire moderne. Mais cette année, la situation politique du pays et les nombreux cafouillages présidentiels font de ce dixième anniversaire de la révolution une fausse joie, une fête qui part sur une bien mauvaise note.

 

« La présidence de la République est au regret d’annoncer que le président Kais Saïed ne pourra pas faire le déplacement jeudi 17 décembre 2020 à Sidi Bouzid, en raison de certains engagements imprévus. Le président salue les habitants de Sidi Bouzid, point de départ de l’explosion révolutionnaire sans précédent dans l’Histoire (sic), et leur promet une rencontre qui ne saurait tarder ».

Une incompréhensible cacophonie révolutionniste

C’est en ces termes qui usent et abusent des superlatifs que le président qui a bâti toute sa campagne électorale en 2019 sur la vague idée quelque peu populiste de « la loyauté à la révolution », s’est finalement défilé de sa présence symbolique à la commémoration de cet évènement, sa première en tant que président, dans le berceau historique de son déclenchement. En somme, cela commence mal.

Mal inspiré au temps de la lutte anti-terroriste, le terme « explosion » est notamment tourné en dérision sur les réseaux sociaux.

Il faut dire que la garde présidentielle a peut-être été échaudée par le sort réservé dès 2012 aux officiels, y compris prorévolutionnaires, qui se sont risqués à se rendre sur place dans ce chaudron social encore vivace, systématiquement caillassés et souvent forcés de déguerpir en vitesse. Courageux mais pas téméraire donc. Pas folle la guêpe !

Mais au-delà du débat sur la faisabilité de ce déplacement, les termes choisis par ce laconique communiqué nocturne de Carthage sont une indication supplémentaire d’une communication en roue libre, celle d’un président d’une partie seulement des Tunisiens, une présidence qui a choisi le jargon utopiste et enflé de la militance associative. Une fuite en avant sémantique qui isole davantage encore l’institution de la présidence depuis le récent départ de Rachida Ennaifer, l’ex-conseillère supervisant la com’ du Palais.

Un peu plus tôt dans la même journée, Kais Saïed s’est livré au même numéro rituel des menaces proférées contre la main invisible de l’ennemi intérieur. Pestiférant à gorge déployée en présence du secrétaire général de l’UGTT venu discuter des modalités d’un dialogue national, le président est parti en vrille dans un emballement conspirationniste qui commence à lasser les Tunisiens, jusque parmi les fervents défenseurs de l’ancien prof de droit.

« Professeur », c’est comme ça que Faouzi Daas, l’un des soutiens électoraux du président Saïed, a préféré désormais l’appeler, dans une longue tirade publiée hier mercredi, où ce jeune dit toute sa déception des promesses déçues de son candidat de l’époque, « aujourd’hui méconnaissable ». Une impuissance présidentielle en partie due selon Daas à l’entourage de cour que s’est choisi Saïed.

Moncef Marzouki marque des points politiques

Discrètement, l’ancien président qui avait pourtant affirmé en 2019 avoir « définitivement quitté la vie politique », s’est de son côté rendu en solitaire pour se recueillir sur la tombe de Mohamed Bouazizi. Un geste très apprécié par les internautes qui ont « liké » par milliers la photo connotée par une certaine humilité.

Dans une allocution filmée, sa première après de longs mois de silence radio, Marzouki s’est livré à un bilan élogieux de la révolution du Jasmin, « dont les innombrables vertus sont invisibles pour ceux qui se sont habitués à la normalisation des libertés ces 10 dernières années ». « En 3000 ans d’Histoire, nous venons de vivre notre première décennie d’alternance politique, où un président en succède à un autre de manière pacifiste », s’est félicité l’intellectuel et ancien président.

Au moment où l’Etat est affaibli par une instabilité gouvernementale chronique et une crise économique sans précédent, les initiatives de tous bords se multiplient, appelant pour les unes à un dialogue national, pour d’autres à l’instauration de la loi martiale et la dissolution pure et simple du Parlement.

Ironie du sort, parmi ces voix de la solution militaire, celle, étonnante, de Mohamed Abbou, autre dissident et militant historique pro libertés, ancien ministre, aujourd’hui convaincu que la lutte contre la corruption ne peut plus faire l’économie d’une bonne vieille dictature de l’ordre moral, avec mise sous résidence surveillée d’une partie de la classe politique… La boucle est bouclée.