Colonisation : Une motion polémique réclame des excuses à la France

 Colonisation : Une motion polémique réclame des excuses à la France

Pour afficher sa radicalité, la Coalition Al-Karama a pris pour habitude, tout comme ses ennemis jurés du PDL, d’arborer toutes sortes de messages visuels au Parlement. En l’occurrence, il s’agit aussi de réhabiliter d’autres figures de la résistance tunisienne que celle de Habib Bourguiba, honni par l’extrême droite islamiste

Une séance plénière de l’Assemblée des représentants du peuple est consacrée en ce mardi 9 juin à l’examen d’un projet de motion réclamant des excuses à la France pour son passé colonial en Tunisie. Il est déposé par le bloc à tendance islamo-souverainiste de la Coalition al-Karama. Mais l’initiative n’est pas du goût de tous, y compris d’Ennahdha, l’un des partis au pouvoir divisé sur cette question.

C’est une énième houleuse séance plénière qui se poursuit tout au long de la journée de mardi 

La proposition inclue une demande d’indemnisation et la restitution d’archives. Elle intervient dans un contexte parlementaire trouble en Tunisie où une guerre des motions entre groupes de députés, par textes interposés, irrite de plus en plus l’opinion publique, lassée de ces batailles intestines au moment où le pays travers sa plus grave crise économique depuis l’indépendance.

Des luttes politiciennes entamées la semaine dernière par une motion de censure évitée de justesse, en vue du retrait de la confiance au président du Parlement, Rached Ghannouchi, à 94 voix pour et 68 voix contre. Un texte qui a échoué à réunir les 109 voix nécessaires pour sa destitution.

L’indignation à géométrie variable

Quel rapport avec la présente motion ? Le chef d’Ennahdha était précisément épinglé par l’opposition ainsi qu’une partie des composantes (nationalistes) de la coalition au pouvoir pour avoir pratiqué une diplomatie parlementaire sans consultation préalable du Parlement, en se rangeant du côté de l’un des belligérants libyens. D’où la condamnation des ingérences turque et qatarie par le texte qui a enregistré une victoire symbolique de 94 voix. Un autre projet de motion devrait suivre, toujours à l’initiative des « destouriens libres » du PDL, pour classer les Frères musulmans tunisiens comme étant « une organisation terroriste ».

Se trouvant à l’extrême droite d’Ennahdha, la Coalition al-Karama entend donc indirectement répliquer aujourd’hui via une contre-motion qui vise de façon tacite à hiérarchiser les condamnations. En clair, en mettant aujourd’hui sur la table la question, considérée comme populiste par certains, de l’impératif des excuses françaises pour les exactions -certes avérées- de la période de protectorat jusqu’en 1956, il s’agit de reléguer au second plan d’autres formes d’ingérences contemporaines, dont l’actuelle hégémonie turque.

« La politique turque dans la région aujourd’hui n’est pas sans rappeler les sombres heures de l’occupation ottomane, celle-là même qui avait conduit à notre décadence, suivie de l’occupation française. Or, je ne vous entends pas évoquer cet aspect », a ainsi ironisé le député nationaliste et ex ministre de l’Education nationale Salem Labyadh en direction de Seif Eddine Makhlouf. Ce dernier, avocat de formation, mène la fronde anti française ces dernières années. La coalition qu’il préside (une vingtaine de députés) a en partie bâti sa popularité électorale sur des demandes de restitution de la souveraineté énergétique de la Tunisie.

 

Olivier Poivre d'Arvor et Rached Ghannouchi
Olivier Poivre d’Arvor tout sourire au siège d’Ennahdha en août 2019

Ennahdha dans l’embarras  

Si la coalition radicale-révolutionnaire Al-Karama affiche régulièrement depuis le début de cette législature son soutien sans conditions aux islamistes modérés d’Ennahdha, un subtil jeu de rôles existe entre les deux formations. Il s’illustre en l’occurrence aujourd’hui par le boycott de l’ouverture de cette plénière par une partie des députés Ennahdha, dont le président du Parlement lui-même, qui avait récemment affiché son entente cordiale avec l’ambassadeur français Olivier Poivre-d’Arvor.

Ennahdha se rend-il à l’évidence des contraintes et des aléas du pouvoir ? C’est ce qu’indique en tout cas la position sans ambiguïté de l’un de ses dirigeants, l’ancien chef du gouvernement Ali Larayedh, pour qui « la motion déposée par la coalition al-Karama au Parlement nuit aux intérêts supérieurs de la Tunisie ».

L’homme critique en effet le fait que la coalition Karama ait soulevé cette question en ce timing délicat, sans coordination la présidence de la République, ni la présidence du gouvernement. Quoiqu’en vertu de l’article 141 du règlement intérieur, une telle motion ne nécessite qu’une simple correspondance informant ces deux institutions.

« La France est le premier client et fournisseur de la Tunisie et son plus grand investisseur également. Près d’un million de Tunisiens qui habitent en France », rappelle Larayedh. Pour lui, ce texte « ne sert pas les relations avec l’Etat français et la communauté française, et risque de créer une forme de d’amalgame ».

En février 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle, avait déclenché ce une tempête dans la droite française après avoir déclaré, depuis Alger, que la colonisation par la France avait été « un crime contre l’humanité ».

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