Odes à la liberté, au désir et à la jeunesse
Nabil Ayouch (avec “Razzia”) et Abdellatif Kechiche (avec “Mektoub my love”) reviennent, chacun à leur manière, sur les piliers indispensables qui cimentent les rapports humains et la société.
En dressant, dans Razzia (lire page 84), le portrait de personnages freinés dans leur épanouissement, le réalisateur marocain Nabil Ayouch questionne la notion de liberté. Dans un petit village, sur les hauteurs des montagnes de l’Atlas, un instituteur exerce son métier avec dévotion. Jusqu’au jour où un fonctionnaire est envoyé pour le forcer à ne plus dispenser qu’un enseignement en arabe. Nous sommes au début des années 1980, et ce point de départ constitue le prétexte à une narration faite de va-et-vient entre passé et présent. Un présent situé à l’été 2015, et qui voit se croiser différents personnages de la société casablancaise. Des destins contrariés, mais liés par un fil invisible, celui d’une capacité de résistance à toute forme d’oppression.
La force du non-dit
Nabil Ayouch traite ainsi de la liberté des femmes, de l’oppression des minorités et de la mainmise de la religion. Marqué par l’interdiction au Maroc de Much Loved, son précédent film, le réalisateur prend la tangente de façon subtile, sans chercher à régler des comptes, mais en démontrant l’impact personnel que peut avoir le fait de vouloir gommer les différences. Beaucoup de choses se jouent ainsi dans les non-dits. Comme avec le personnage de Joe, un trentenaire juif, amoureux de son pays et des femmes, mais incapable de construire une histoire sentimentale. Ou celui d’une bourgeoise francophile, complètement dépassée par son âge, sa situation sociale et sa langue. Cette humanité tente, malgré ses problèmes, de continuer à vivre, ravivant la force de l’espoir.
Avec Mektoub, My Love : canto uno, Abdellatif Kechiche, lui, radicalise son style et cherche à s’affirmer. Après une Palme d’or à Cannes et le tollé médiatique provoqué par son précédent film, La Vie d’Adèle : chapitres 1 et 2 (2013), le réalisateur revient sur le devant de la scène de façon plus discrète. Présenté en septembre dernier à Venise, Mektoub, My Love : canto uno aurait dû être montré à Cannes, mais des problèmes contractuels avec le coproducteur de France Télévisions l’en ont empêché. Résultat, le cinéaste n’assurera probablement qu’un service minimum pour la promotion.
Retrouvailles sensuelles
Cette fiction, librement inspirée du roman La Blessure, la vraie, de François Bégaudeau, paru en 2011, pousse encore plus loin le style Kechiche. Il raconte le retour d’un jeune homme, scénariste de son état, à Sète, sa ville natale, pendant un été. Ses retrouvailles avec sa famille et ses amis s’imprègnent d’une bonne dose de sensualité. Une ivresse du désir que le réalisateur attache à la jeunesse, et qui forme sans aucun doute un autoportrait de l’artiste en devenir. Quelques scènes étonnantes émaillent le film, comme celle qui montre la naissance de deux agneaux ou celle dans laquelle le personnage principal s’enferme pour regarder des films muets. L’énergie et la tension constante qui se dégagent de ce long métrage confirment avec éclat qu’Abdellatif Kechiche est l’un des meilleurs cinéastes de sa génération. Annoncé comme le premier volet d’un diptyque, Mektoub, My Love : canto uno, devrait marquer les esprits.
Voir aussi :
Maryam Touzani : "Un jour, un homme m'a dit d'aller me rhabiller"
MAGAZINE MARS 2018