Lina El Arabi : “C’est la première fois qu’une histoire me touchait à ce point”

 Lina El Arabi : “C’est la première fois qu’une histoire me touchait  à ce point”

© Jean-Paul Sedran


C’est d’abord sur le petit écran qu’on a découvert l’actrice, dans “Ne m’abandonne pas”, téléfilm poignant de Xavier Durringer, qui avait rassemblé 5,1 millions de téléspectateurs sur France 2, en février 2016. Elle y incarnait une jeune fille radicalisée que sa mère empêche de partir faire le jihad. Nous la retrouvons aujourd’hui dans “Noces”, un drame du réalisateur belge Stephan Streker. 


Zahira, l’héroïne tragique de “Noces”, vous ressemble-t-elle ?


Nous avons plusieurs points communs. Nous avons plus ou moins le même âge, mais aussi le même ­caractère bien trempé. Comme elle, je sais ce que je veux. Je suis déterminée et j’ai une soif de liberté. Et c’est une fille qui est très attachée à sa famille, tout comme moi.


 


Qu’est-ce qui vous a donné envie d’incarner ce ­personnage ?


Le scénario ! Il est aussi fort que le film. Quand je l’ai eu entre les mains, je l’ai lu trois fois d’affilée. Et j’ai pleuré à chaque lecture. C’est la première fois qu’une histoire me touchait à ce point. Le fait qu’il n’y ait pas de jugement de la part du scénariste sur les personnages m’a plu. Les parents ne sont pas détestables. Le frère non plus n’est pas un monstre. En fait, il n’y a que de l’amour entre eux. Ce trop-plein d’amour m’a beaucoup touchée.


 


Après avoir passé le casting, il y a eu un silence de six mois. Vous avez été contactée une semaine avant le tournage. Comment se prépare-t-on à se glisser dans la peau d’un personnage en si peu de temps ?


On est obligé d’être efficace. J’ai eu des cours intensifs d’ourdou (parlé dans le nord de l’Inde et au Pakistan, ndlr) parce que mon rôle comprenait des répliques dans cette langue. Il a fallu que j’apprenne comment se structure la phrase pour pouvoir mettre le bon ton. Pendant le tournage, Sébastien Houbani, qui joue mon frère, m’a beaucoup aidée, car lui avait commencé son apprentissage bien avant moi. Il y avait aussi une coach qui s’assurait que nous ne ­disions pas de bêtises en écorchant les mots… Finalement, heureusement que je n’ai pas eu le temps de me poser des questions et d’avoir des doutes sur ma réussite. J’ai foncé. Il s’agissait de relever un sacré défi puisque c’était mon tout premier rôle de personnage principal au cinéma.


 


Vous passez des castings depuis l’âge de 10 ans. Comment êtes-vous venue si tôt au cinéma?


Effectivement, j’ai un agent depuis l’âge de 15 ans. L’année de mon brevet, à 14 ans, ma mère, qui est très cinéphile, m’a offert un stage à la caméra d’une ­semaine avec la réalisatrice Nathalie Domini. J’ai ­toujours su que je voulais devenir comédienne, mais je reste lucide. Depuis toute petite, j’ai suivi toutes sortes d’activités : solfège, violon, danse classique et théâtre. J’ai beau aimer la scène et le septième art, je reste quelqu’un de pragmatique et réaliste : pour le moment, j’essaye de concilier mes études de journalisme et ma carrière au cinéma. J’aime les deux avec la même force et je refuse de choisir. On verra bien plus tard…


 


Vous étiez une jeune fille radicalisée dans le téléfilm “Ne m’abandonne pas”, puis une lycéenne que sa ­famille force à se marier. Est-ce que vous n’aspirez pas maintenant à incarner des rôles de jeunes filles dont la vie ressemble plus à la vôtre ?


J’aimerais jouer des rôles très différents de ce que je suis et être capable de me glisser dans la peau de toutes sortes de personnages. Je commence tout juste, donc j’ai envie de toucher à tout. J’ai la soif de tout faire. D’ailleurs, on m’a proposé un rôle dans un film sur le jihad mais j’ai refusé. Avec mon agent, on s’est dit qu’un c’est bien, mais que deux personnages dans cette fibre-là ce serait trop. Je n’ai pas envie d’être étiquetée, déjà que je dois l’être malgré moi… Ceci étant, je me réserve le droit d’accepter de jouer dans un film qui traite de cette thématique si l’angle me convient et qu’il apporte quelque chose de nouveau.


 


Quels sont les réalisateurs avec qui vous aimeriez tourner ?


J’admire Jacques Audiard. Et puis, soyons fous, j’aimerais beaucoup travailler avec Quentin Tarantino et Martin Scorsese.


 


Dans quels films vous verra-t-on prochainement ?


J’ai tourné dans un film canadien, Two Lovers and a Bear de Kim Nguyen, mais je ne sais pas s’il va sortir en France. Je joue le rôle d’Ayoucha, une villageoise moderne et polyglotte qui vit dans le désert. Le film traite plusieurs thèmes : le mariage forcé, les réfugiés, l’amour virtuel, etc. Et, surtout, j’ai eu la chance de découvrir une ville sublime, Ouarzazate, pendant le tournage. Je serai également au générique de la troisième saison de la série Kaboul Kitchen, qui est diffusée en ce début d’année sur Canal+ : je m’appelle Pissenlit et j’incarne la petite copine de Habib (le personnage principal, ndlr). Je vais aussi jouer dans le premier court-métrage de Mehdi Fikri, un journaliste qui se penche sur la vie des reporters de guerre. Le scénario est assez incroyable et je me réjouis d’avance de cette expérience. 


 



 


Fin tragique annoncée


Comme nous le précise le générique de début, Noces est librement inspiré d’une histoire vraie. Un drame qui s’est déroulé en Belgique. 
Une lycéenne d’origine pakistanaise tombe enceinte. Ses parents l’obligent à avorter alors qu’elle préférerait garder le bébé. Ils ont tout prévu : d’abord IVG, puis réfection de l’hymen et enfin mariage avec 
un homme au Pakistan. Evidemment, la belle rebelle s’y refuse et fugue. Evidemment, elle est rattrapée par son destin qui est celui de se soumettre ou de mourir. Et évidemment, elle meurt… assassinée par 
son propre frère. Cette fin tragique, on la voit venir. Pas de place pour 
la rébellion… pas même au cinéma. Dommage.


Noces de Stephan Streker, Durée : 1 h 38.


 


MAGAZINE FEVRIER 2017