La rançon de la gloire

 La rançon de la gloire

crédits photos : François Lo Presti/AFP- Valérie Macon/AFP


La réussite n’est pas un long fleuve tranquille. Elle a un coût et des revers. Tel est le thème du dernier film de Teddy Lussi-Modeste qui réunit Tahar Rahim et Roschdy Zem. Dans cet entretien croisé, ces deux grandes figures du cinéma français évoquent ce que le succès a provoqué en eux.



 


Qu’est-ce qui vous a décidé à accepter ce rôle ?


Roschdy Zem : C’est d’abord la rencontre avec le metteur en scène qui a déclenché l’envie. J’ai aimé son discours sur le thème de la famille et ce qui se passe lorsque l’un de ses membres est confronté au succès. Le réalisateur est issu d’une famille de ­Gitans. Moi, je suis d’origine marocaine. Je trouvais qu’il abordait ce sujet avec beaucoup de subtilité et d’intelligence. D’autre part, l’idée de jouer avec Tahar Rahim me plaisait beaucoup. Etonnement, le personnage de Mourad que j’incarne est le rôle que j’ai le moins préparé de ma carrière. Il me ressemble tellement que je me demande si, dans la vraie vie, je ne joue pas un rôle pour éviter d’être lui. Quand je vois la facilité avec laquelle je me suis glissé dans la peau de ce personnage, la question se pose. A l’inverse de son frère, il n’arrive pas à exister à travers les mots. Il n’a pas ce pouvoir, ce qui crée une forme de frustration qui génère un comportement violent.


Tahar Rahim : La rencontre humaine avec le réalisateur ­Teddy Lussi-Modeste a été déterminante. Endosser le rôle d’un personnage qui fait du stand-up était un gros défi pour moi. Etais-je capable de monter sur une scène ? Le sujet du film, que je trouve à la fois ultramoderne et universel, m’a aussi décidé. L’émancipation familiale, le besoin d’évoluer, la manière dont certains s’approprient la réussite des autres sont autant de problématiques qui touchent beaucoup de monde, quel que soit le domaine dans lequel on évolue. J’ai aussi accepté ce rôle parce que Le Prix du succès raconte une formidable histoire d’amour entre deux frères.


 


L’histoire de Brahim résonne-t-elle avec la vôtre ?


R. Z. : Je n’ai rien vécu de similaire, mais je l’ai tellement vu autour de moi, et pas uniquement dans les professions médiatisées. Un fils qui devient banquier, c’est aussi une réussite qui suscite les convoitises de la famille. Plus l’on vient d’un milieu modeste, plus cette avidité est accentuée. D’où l’intérêt de situer le film dans une famille comme celle de Brahim et ­Mourad plutôt que dans un environnement bourgeois.


T. R. : Je n’ai pas eu à vivre ça, heureusement, car je n’aurais ­jamais eu le courage de Brahim. J’ai vécu ce que traverse mon personnage avec certains amis. Cela a été très douloureux car quand quelqu’un vous reproche son propre échec en lien avec des frustrations qu’il a nourries, ce n’est pas évident. Au travers de mes propres expériences et de ce tournage, j’ai appris qu’il y a toujours une coresponsabilité, certes pas au même degré, dans des rapports devenus conflictuels. Quand on est face à une telle explosion, c’est que l’un ou l’autre n’a pas entendu ou n’a pas été présent à un moment.


 


Il y a une réplique terrible à la fin du film. Brahim confesse à son frère “qu’il aurait été plus simple d’échouer”. Pour le réalisateur, celui qui réussit doit affronter le soupçon de la société et celui de son milieu d’origine.


R. Z. : On a une part de responsabilité quand on demande aux gens de tourner leur regard vers nous. Dans la société française, la réussite est souvent mal perçue, à l’inverse des Anglo-Saxons qui l’assument. Il y a une forme de pudeur vis-à-vis du succès, or il est souvent ostentatoire, notamment dans le milieu sportif ou dans le spectacle. En attirant l’attention, on attise la haine. Certains pensent que la société a du mal à voir réussir certains de ses enfants, mais je suis optimiste et, pour ma part, je ne partage pas cet avis.


T. R. : Cette réplique est terrible et je n’aimerais pas en faire une généralité parce que je suis quelqu’un d’optimiste. Mais elle correspond aux témoignages de personnes issues de couches populaires et qui réussissent, que ce soit dans le milieu du football ou du cinéma. Elle ne reflète pas mon point de vue mais celui du réalisateur, lequel dispose d’exemples pour me contredire si toutefois il me prenait l’envie de la récuser. Cette phrase est triste. Elle pointe du doigt à la fois la société, l’endroit où l’on a grandi et celui dans lequel on évolue.


 


Eprouvez-vous de la culpabilité d’avoir réussi ?


R. Z. : Lorsque j’étais plus jeune, oui, surtout vis-à-vis de mon père. Nos parents ont laissé leur santé au travail. Au début, quand je touchais en une journée ce que mon père gagnait en un mois, j’éprouvais une forme de culpabilité. On est traversé par des réflexions comme “pourquoi y ai-je droit ?”. Autant de questions métaphysiques que je me suis posées à une époque. Mais c’est moins le cas aujourd’hui. On part avec un complexe. On ne pense pas avoir de talent. Désormais, j’assume la place qui m’a été donnée. Arriver dans un milieu qui n’est pas le sien quand on est issu de condition modeste peut être déstabilisant pour un jeune homme. Et beaucoup s’y cassent les dents.


T. R. : La culpabilité, je l’ai ressentie fortement à une période, et ça m’arrive encore d’en éprouver, mais cela n’a pas été le cas à mes débuts. Mon entourage, chacun dans son domaine, m’a ­témoigné tellement d’amour qu’il y a eu une onde autour de moi, et cela m’a boosté. Mais, ensuite, leur élan s’est essoufflé faute de répondant, à cause d’un manque de chance, d’erreurs, de difficultés… La société actuelle ne permet pas, même aux plus diplômés, de décrocher un ­emploi. Je n’avais pas conscience à quel point l’accès au marché du travail était difficile, mais certains le savent et continuent malgré tout d’essayer d’y trouver une place. Cela me fait mal au cœur et me culpabilise. J’éprouve aussi de la culpabilité par rapport à certains de mes aînés dans la mesure où j’ai un confort de vie plus important. C’est une question d’éducation. Je n’aime pas avoir le ventre rempli quand mon voisin a faim. Je pense que ce sentiment est aussi lié à un phénomène historique : pourquoi ­certains talents issus de l’immigration sont-ils allés jusqu’à s’auto-saboter ? Je pense que la colonisation y est pour quelque chose. Il y a un moment, c’est vrai, je m’excusais d’être là. Pourquoi ? Il n’y a pas de ­raison. Je n’ai pas volé ma place.  


 


Jalousie Fraternelle



Brahim est un humoriste qui connaît un succès fulgurant. Sa carrière s’envole, ses amours sont au beau fixe. Tout va bien ? Non, car il ne s’agit pas d’une comédie mais d’un drame ! Brahim a un frère, Mourad, qui est aussi son ingérable manager susceptible de tout faire capoter. Comment faire comprendre à un membre si proche de la famille qu’il doit prendre un autre chemin sans le blesser ni l’humilier ? Comment accéder à la gloire sans que les siens se sentent trahis ? Jusqu’où peuvent mener les frustrations et l’envie de celui qui reste sur le bord de la route ? Le Prix du succès raconte comment, au sein d’une fratrie, la réussite de l’un va se conjuguer avec la déchéance de l’autre.


LE PRIX DU SUCCÈS de Teddy Lussi-Modeste, avec Tahar Rahim, Roschdy Zem et Maïwenn. Durée : 1 h 32.


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017