L’amour des hommes, à corps et à cris
Avec son troisième film, le réalisateur tunisien Mehdi Ben Attia s’attache à la figure d’une jeune femme photographe en quête de ses propres rêves.
L’une des premières scènes du film impressionne. On y voit Amel, jeune photographe, présenter l’exposition de ses œuvres à son beau-père. Quand soudain son amoureux l’appelle depuis la rue. Elle file le rejoindre et le retrouve sans vie (il a été renversé par une voiture). Avec un tel démarrage, on pouvait s’attendre à un film noyé par un pathos dégoulinant. Rien de cela, bien au contraire. L’Amour des hommes baigne dans une douceur inattendue. Ceux qui suivent Mehdi Ben Attia reconnaîtront sa façon de faire. L’émancipation des héros du réalisateur tunisien commence toujours par la mort de quelqu’un : un père (Le Fil, 2008), soi-même (Je ne suis pas mort, 2012) ou ici un compagnon.
Une histoire de corps et de désir
Amel, donc, va prendre la vie à bras-le-corps. Désormais à demeure chez son beau-père, elle va trouver en lui un mécène pour ses activités artistiques. Son nouveau projet : réaliser une série photographique de portraits de jeunes hommes plus ou moins dénudés et rencontrés par hasard dans les rues de Tunis.
Le cinéma tunisien a l’habitude d’érotiser les corps : on se souvient de Bezness (1992), de Nouri Bouzid, sur la prostitution masculine à Sousse, ou de Halfaouine, l’enfant des terrasses (1990), de Férid Boughedir (qui fait une apparition ici dans le rôle d’un coiffeur), tourné dans les hammams. Mehdi Ben Attia avoue d’ailleurs que le point de départ de son film repose sur le regard qu’il porte sur les hommes en tant que directeur d’acteurs, en déplaçant le point de vue du côté des rapports hommes-femmes. L’Amour des hommes se construit ainsi autour de la figure d’une artiste, une femme libre dont le propre désir apparaît comme l’aimant autour duquel gravitent les personnages.
Portrait d’une société
C’est indéniablement la réussite de ce film que de parvenir à livrer l’incarnation de ce sentiment. L’actrice Hafsia Herzi y est d’ailleurs tout à son aise. Elle donne à son personnage une épaisseur particulière, entre l’insouciance de ses jeunes années et les vertiges de la provocation. Un peu à l’image d’un pays dont la révolution encore fraîche avance à petits pas vers un avenir incertain mais ouvert à toutes les possibilités.
Le grand bouleversement intime que le changement politique induit est l’un des principaux sujets du cinéma tunisien actuel. On y croise ainsi un jeune journaliste en mal de reconnaissance, la vieille garde qui sent que quelque chose est en train de lui échapper et une pléthore de personnages de différents milieux se débattant avec leurs idéaux ou leurs petites combines. Cette façon de brosser le portrait d’une société par petites touches révèle en creux sa violence qui, bien qu’atténuée, n’en demeure pas moins présente.
MAGAZINE FEVRIER 2018