Gabès Cinéma FEN : vidéo, art contemporain et Maghreb
Le festival Gabès Cinéma FEN est aussi l'occasion de découvrir des œuvres vidéos d'art contemporain du Maghreb et d'ailleurs.
Vidéos classiques avec un scénario, montages avec différentes composantes, projection de diapositives, la sélection des œuvres pour la section d'art vidéo, El Kazma, du Gabès Cinéma FEN a sa ligne directrice : « Ni thématique prédéfinie, ni orientation particulière ».
Comme l'an passé, c'est l'artiste visuel Malek Gnaoui qui assurait la direction artistique de cette section. Cette année, le commissaire d'exposition choisi par le festival était l'historien d'art, Paul Ardenne. Ce dernier revient pour nous sur El Kazma mais également sur sa vision de l'art contemporain au Maghreb.
LCDL : Comment le passage du festival à une version totalement en ligne a modifié la sélection de la section de l'exposition vidéo El Kazma ?
Paul Ardenne : Avec le passage au numérique, on a perdu quasiment un tiers des vidéastes. Pour des raisons totalement compréhensibles. Parfois, vous avez des œuvres qui réclament vraiment une immersion, donc le grand format, qu'on ne peut pas garantir sur un écran d'ordinateur. Il y avait aussi des vidéo-installations, c'est-à-dire que la partie vidéo n'est qu'une partie de l’œuvre d'art, où il peut y avoir des documents à côté, des objets…
Je suis un peu déçu parce que nous avions vraiment beaucoup travaillé. Nous avions fait la balance entre les artistes du Maghreb et les artistes extra-Maghreb.
Quels étaient vos critères de sélection ?
Une de nos premières préoccupation était la pluralité des points de vue. Échapper à une vision unique de la réalité, à une bien pensance… Ensuite, la vidéo est un medium où il y a énormément de répétition. La prime que je vais donner en tant que « connaisseur », elle ira au caractère inédit de l'expression, à la fois dans le scénario et la formalisation esthétique.
C'est pourquoi, dans la sélection, vous aviez à la fois des vidéos qui traitent de l'actualité, de la vie intime, de la vie intérieure, dans des formes plus ou moins travaillées. Soit de la vidéo élémentaire, soit de la vidéo retravaillée graphiquement, de l'animation. J'ai vraiment mis l'accent sur la diversité, en écho à la demande qui était faite par le festival. Diversité des contenus et des expressions.
Dans la sélection se trouvaient autant de vidéos d'artistes hommes que d'artistes femmes. Etait-ce une volonté ?
C'est un peu par hasard, parce qu'il n'y avait pas de parité au moment où nous avions le festival entier. Il devait y avoir deux tiers d'artistes masculins. Il faut reconnaître quand même que dans le monde maghrébin et tunisien, à la différence d'un pays comme la France, il y a plus d'artistes hommes que d'artistes femmes. Alors qu'en France aujourd'hui c'est l'inverse. Très souvent, on vous montre des artistes hommes, mais dans les faits, quand vous connaissez bien le monde de l'art contemporain, c'est un monde extrêmement féminin.
Au Maghreb, c'est un peu moins marqué, ce qui est peut-être lié à une certaine tradition, qui fait que les travaux graphiques, les travaux plastiques, les travaux de cinéma sont plutôt encore masculins. Même s'il y a un très très fort développement féminin. Et ça apparaît bien dans le festival.
Quand le festival est passé du physique au numérique, les artistes qui se sont retirés étaient plus des hommes, sans doute parce que leurs œuvres étaient plus grandiloquentes qui avaient plus de mal à se couler dans le petit format de l'écran d'ordinateur. Alors que les propositions féminines sont très souvent plus intimistes. Attention, les femmes sont capables d’œuvres très audacieuses. Mais dans l'ensemble, les femmes sont un peu plus portées, dans notre sélection, sur des travaux qui évoquent l'intériorité. Et donc, qui sont beaucoup plus solubles sur de petits écrans.
Et à l'arrivée, nous avons eu six hommes et six femmes. Mais nous n'avons absolument pas de volonté de quotas, ce n'était juste pas fait exprès. L'important c'est l’œuvre. C'est l'expression qui compte.
Cet esprit de liberté artistique, peut-on le retrouver de manière générale sur le reste du Maghreb, ou est-ce que c'est lié surtout à ce festival ?
On va faire une distinction. Pour le moment, il y a un pays qui est totalement absent, c'est l'Algérie. Non pas qu'il n'y a personne mais il y a le grand mouvement de contestation, qui est formidable par ailleurs. Sauf que, par exemple, à Alger, il devait y avoir tout un festival de performances qui a été annulé du fait des manifestations. L' Algérie, c'est un cas à part, ils essaient mais c'est difficile, il y a encore la pesanteur des vieilles hiérarchies.
Au Maroc, ce qui est assez remarquable, c'est l'extension des initiatives privées. Vous avez énormément d'acteurs, des fondations, des individus qui créent des centres d'art. Le Maroc est très dynamique avec une incroyable liberté d'expression artistique.
La Tunisie c'est un peu plus compliqué parce qu'il y a deux forces contraires, l'une en face de l'autre. Il y a un an et demi, aux journées d'art contemporain de Carthage auxquelles j'étais invité, la commissaire m'a confié qu'il était insupportable de monter cette biennale, parce qu'elle a dû montrer toutes les galeries qui ont un peu d'argent à Tunis, et en Tunisie, sans quoi elle n'aurait pas pu la monter.
Un constat assez cynique. Il y a ce côté où il y a l'obligation de travailler avec une officialité académique très vieux-jeu, un petit peu à l'image de la cité de la culture de Tunis, qui est une sorte de « grand machin sanctuaire » dans lequel on ne sait pas quoi mettre. Mais à côté de ça vous avez des initiatives très fortes qui viennent à la fois des écoles d'art en Tunisie, qui ont de très bons professeurs, mais aussi des structures privées comme au Maroc.
Donc en Tunisie, c'est plus un cas en conflit entre la vieille garde et les indépendants, d'une certaine façon.
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