Cinéma. Abdelkrim Branine dénonce le plagiat de son roman par Amazon et Canal+
C’est l’histoire d’Abdelkrim contre Goliath. Abdelkrim Branine, journaliste et romancier, se pose de nombreuses questions depuis la diffusion cette année de deux fictions, « Numéro 10 » sur Amazon Prime et « La Fièvre » sur Canal+. Pour lui, il n’y a aucun doute : son roman « Le Petit Sultan » a été plagié.
« Ils n’ont pas pu ignorer mon livre », se répète inlassablement l’ancien rédacteur en chef à Beur FM, aujourd’hui âgé de 47 ans.
Son roman « Le Petit Sultan », paru aux éditions Zellige en mars 2022, raconte l’histoire d’une star montante du foot, issue de l’immigration, qui traverse une crise identitaire.
Le long métrage d’Amazon Prime « Numéro 10 » aborde franchement la binationalité dans le monde du football, tandis que la série de Canal+ « La Fièvre » explore le conflit entre deux expertes en communication sur des questions identitaires à la suite d’un scandale dans le milieu du football.
L’histoire commence lorsque, au cours de l’année 2023, un ami alerte Abdelkrim Branine sur un film en cours de réalisation à Bobigny, traitant des mêmes thèmes que son livre.
Le 26 janvier dernier, jour de la diffusion sur Amazon Prime de « Numéro 10 », le romancier découvre avec consternation que les principales thématiques de son roman ont été reprises dans le long-métrage.
« Comme dans mon livre, il y a l’histoire d’un jeune binational en pleine quête identitaire, véritable pépite du football français qui doit choisir entre ses deux nationalités, entre la France et le pays de ses parents. S’ensuivent les conséquences politiques de son choix, l’influence néfaste de son entourage », énumère-t-il, désabusé, au Courrier de L’Atlas.
Abdelkrim Branine se penche de nouveau sur le film et relève une vingtaine de ressemblances avec son roman :
« Comme dans mon livre, le héros de la série est ciblé par un journaliste très à droite qui doute de son allégeance envers la France.
Comme dans mon roman, le héros est arrêté et placé en garde à vue pour un malentendu autour d’une voiture volée (NDLR : qui ne le sera pas).
Comme avec « Le Petit Sultan », le héros est aussi trahi par un proche.
Comme dans mon livre, il prend aussi position contre les violences policières.
Comme dans mon roman, il découvre un secret de famille bien enfoui… », détaille exaspéré Abdelkrim Branine.
Même le surnom du héros est très proche de celui de son roman, accuse le romancier : « Dans le film, une fausse Une du journal L’Équipe le surnomme ‘Le Petit Prince' », peste-t-il.
Marvelous Productions, producteur du film, rejette toute accusation de plagiat, arguant du dépôt préalable du scénario à la SACD en 2019, soit trois ans avant la sortie du livre.
Une explication qui ne convainc pas Abdelkrim Branine, rappelant que son livre, achevé en 2018, a été envoyé aux éditeurs début 2019, soit bien avant le dépôt du scénario du film, convaincu que son livre a pu très bien être découvert en dehors du cercle de l’édition.
Les similitudes entre « La Fièvre » et « Le Petit Sultan » sont encore plus évidentes pour Abdelkrim Branine. Le tournage de cette création originale de Canal+ a commencé en mars 2023.
« Le point de départ de la série est quasi identique à celui de mon roman : le héros fait une bêtise et se retrouve ciblé par la fachosphère », note Abdelkrim Branine, avant d’énumérer pêle-mêle les autres points de convergences avec son livre :
« Par exemple, dans « La Fièvre », le président de la FFF évoque un appel du ministre des Sports, ce qui se passe également dans « Le Petit Sultan ». Toute la mécanique qui aboutit à une situation explosive est vraiment très proche de mon roman, voire la même.
Comme dans mon histoire, on a les décoloniaux qui surgissent pour s’emparer du scandale, on a une figure nationaliste qui s’empare du sujet.
Ils ont même repris mon idée d’un deuxième club (fictif) à Paris, qui va ensuite se constituer avec un système démocratique.
Ils ont aussi repris mon histoire de fractures identitaires qui va déboucher sur des affrontements physiques entre clans politiques.
Ils ont repris mon idée de fresque à l’effigie du héros sur un bâtiment d’un quartier pour célébrer son côté ‘insoumis’, etc., etc. ».
Contacté, Nicolas Duval, le producteur de « La Fièvre », affirme qu’aucun membre de son équipe n’a lu le roman d’Abdelkrim Branine. « Bien entendu, si nous avions eu connaissance d’un tel ouvrage, nous aurions pris contact avec l’auteur », tient à préciser Nicolas Duval.
Concernant les points précis de ressemblance entre la série et le roman, le producteur soutient qu’il s’agit ici de simples « hasards », et que le scénariste de la série, Eric Benzekri, « s’inspire énormément pour écrire de ce qu’il se passe dans la société ».
« Donc par exemple parler des décoloniaux n’est pas très original, on en parle partout. Pour la fresque, Eric s’est inspiré de celle qui avait été faite pour Zidane à Marseille », argumente Nicolas Duval.
Une nouvelle fois, Abdelkrim Branine ne « croit pas au hasard », « étonné » que l’équipe de « La Fièvre » n’ait eu vent de son livre. Il rappelle la « belle couverture médiatique » qu’il a eue pour la sortie de son roman : « comme cette longue interview dans So Foot, ou ce passage dans l’After foot de RMC, l’émission la plus suivie en France dans le domaine du football », raille le romancier.
Dans un premier temps, Abdelkrim Branine ne souhaite pas saisir la justice. « De toute façon, mon histoire, c’est celle du pot de terre contre le pot de fer », philosophe le romancier. « En face, j’ai Amazon Prime et Canal+ et leur horde d’avocats », concède-t-il dépité.
Si Abdelkrim Branine a décidé de parler aujourd’hui, assure-t-il, c’est d’abord pour sensibiliser sur la reconnaissance et le respect du travail des auteurs. Il pense à toutes celles et tous ceux qui se sont « sentis un jour dépossédés de leur œuvre ».
« Les questions relatives aux quartiers populaires, au communautarisme et à l’immigration sont des sujets qui ont forgé ma carrière journalistique que j’ai commencée il y a plus de 20 ans. J’ai été précurseur bien avant que la fiction française ne s’empare de ces sujets et on voit bien que la vague est lancée », dit-il écœuré.
Abdelkrim Branine aimerait qu’on reconnaisse « le rôle important qu’a joué son livre ». Plus que d’avoir été plagié, c’est le sentiment d’avoir été de nouveau écarté.
« Comme trop souvent, ceux qui s’emparent de ces histoires, de nos histoires, ont peu de légitimité à les raconter », déplore ce fils d’immigrés d’origine modeste qui a grandi dans un quartier populaire de Vierzon.
Si Abdelkrim Branine parle aujourd’hui, c’est qu’il a envie que les « choses changent ».