Chroniques à Budapest : Habz, 1500 m pour son pays d’adoption

 Chroniques à Budapest : Habz, 1500 m pour son pays d’adoption

crédit photo : Stephane Kempinaire / KMSP via AFP

Notre journaliste Nadir Dendoune suit les championnats du monde d’Athlétisme à Budapest en Hongrie. Ce soir, il a vu la finale du 1500 m avec Azeddine Habz, un franco-marocain qui court sous les couleurs tricolores

Quand un athlète finit sa course, les officiels l’obligent à se diriger vers la « zone mixte ». C’est ici que les journalistes attendent avec leur calepin, leur dictaphone, pour pouvoir les interviewer. Normalement, nous n’avons pas le droit de filmer, sauf dans un endroit spécifique, où tous les sponsors des Mondiaux sont visibles, mais certains sortent leur téléphone et font comme bon leur semble. Ils sont parfois rappelés à l’ordre, « Ils ne savaient pas », se défendent-ils. Mythos ! Tout le monde est au courant, même moi, le journaliste le moins informé !
Quand on a fait une belle course, on s’arrête avec plaisir. Sinon, on peut juste filer tout droit. Samedi dernier, le français Djilali Bedrani, éliminé sur sa série du 3000 m steeple, était trop déçu pour discuter avec nous. Il a lâché : « pas de commentaires ». Puis est reparti, poursuivi par quelqu’un de la fédération française d’athlétisme qui a l’a convaincu de revenir nous parler. Les athlètes ont des droits mais surtout des devoirs !

Une grande pause pour Azeddine Habz

Ce dimanche après-midi, Azeddine Habz s’est arrêté longtemps. Tranquille. Tout sourire. Satisfait de sa performance. Le Français venait de se qualifier pour la finale du 1500 mètres des Championnats du monde d’athlétisme à Budapest, en terminant à la 4e place de sa demie, remportée par l’Amércain Yared Nuguse. La voix posée, tout sourire, voici ce qu’il nous a dit : « Je suis allé chercher cette finale mondiale avec les tripes. Ce n’était pas facile avec une telle densité de coureurs et la chaleur étouffante. J’ai deux jours de récupération avant d’attaquer ma première finale mondiale. J’étais prêt à tout tactiquement, que ça aille vite ou pas. J’étais prêt à suivre. Aujourd’hui, ça court en 3’34 en séries, 3’32 en demies et faut s’attendre à 3’28 en finale. C’est comme ça, le niveau mondial est super relevé. J’ai déjà couru en 3.29 cette année».
Il a couru en 3.29.26 plus précisément, deuxième meilleure performance française de tous les temps derrière la légende Mehdi Baala, c’était à Oslo en juin dernier. Dans son speech d’après-course, tu sentais le discours d’un guerrier, d’un gars qui revient de loin. Et c’est le cas.

Son français est comme sa foulée, de classe mondiale !

Azeddine Habz n’a pas grandi aux pieds d’une barre HLM mais aux portes des montagnes de l’Atlas.  Son père est agriculteur. Sa mère divorce et part en France pour garantir l’avenir des siens, laissant le petit Azzedine, huit ans, avec son père. Elle s’installe du côté de Villeneuve-La-Garenne, une ville que je connais bien, il n’y qu’un pont qui sépare l’Île-Saint-Denis, de cette banlieue populaire des Hauts de Seine.
Sa première course à Azeddine, il a 13 ans, il aime ça courir, plus que tout, mais à 17 ans, il arrête. Net. L’athlétisme ne le fait pas vivre et il se concentre sur son Bac. En 2012, il rejoint sa mère en France. Il découvre les stades, des parcs et les forêts, rien à voir avec les pistes en cailloux de sa petite ville de Souk Sebt, dans le nord du Maroc. Une fois en banlieue parisienne, Azeddine s’inscrit à la fac en philo à St-Denis mais il ne maitrise pas encore bien la langue. Dimanche dernier, quand je l’ai croisé en zone mixte, il avait zéro accent et son français était comme sa foulée, de classe mondiale !
La course à pied, son corps ne l’a jamais oublié, alors il reprend là où il s’était arrêté 3 ans plus tôt, s’inscrit au club de Pierrefitte-Sur-Seine, et s’installe dans cette petite commune du 93. Il a bien choisi : Pierrefitte, est une ville réputée pour ses excellents coureurs de demi-fond. Je me souviens très bien d’eux : dans une autre vie, j’étais coureur. Et les gars de Pierrefitte, ils étaient toujours très durs à battre !
En France, Azeddine cartonne tout le monde. D’abord en régional, avant de tout gagner au niveau national. Une machine. Un talent pur.

Français depuis 2018

Il prend la nationalité française en 2018, devient champion de France de semi-marathon deux mois après, alors qu’il est plutôt spécialiste du 5000m ! Chez certains, c’est inné ! Excellent sur les longues distances, il sait qu’il peut être encore plus fort sur une distance plus courte, il dispose d’une bonne vitesse de base. En 2019, il se lance sur le 1500m. Azeddine Habz participe à ses premiers Jeux Olympiques à Tokyo en 2021, perd en demi-finale, -ce n’est pas un échec- et engrange surtout de l’expérience. Il remporte les Jeux Méditerranéens l’année suivante et glane le bronze aux Championnats d’Europe en salle en 2023.
Ce mercredi soir à 21.15, il sera sur la ligne du départ pour la finale des Championnats du monde.
Ce mercredi soir, quand il s’avancera sur la ligne de départ, il se souviendra sûrement de son parcours et des sacrifices de sa maman. Et peut-être que cela lui permettra de trouver à l’intérieur de lui le petit plus, la flamme, l’étincelle, pour remporter une médaille pour son pays d’adoption. Il aime à rappeler qu’il n’a pas vécu une enfance comme tout le monde. « Ça m’a vraiment forgé pour la suite. Je ne lâche jamais et c’est ce caractère qui m’a beaucoup aidé. Dans les 100 derniers mètres, quand c’est dur, je me dis que ce n’est rien, que j’ai déjà vécu pire. »
Ça tombe bien : le 1500m se gagne souvent dans la dernière ligne droite.