Une poudrière vouée à partir en fumée

 Une poudrière vouée à partir en fumée

L’exercice amphibie Bold Alligator


Le monde actuel est au bord de l’implosion, laissant présumer l’arrivée imminente de guerres et de conflits mondiaux. Mais aucun Etat ne mettra à exécution sa menace atomique, les intérêts de chacun étant trop imbriqués. Finalement, ce monde va continuer à évoluer pour devenir Un.


Les budgets militaires de tous les Etats s’emballent. Emmanuel Macron nous a annoncé son intention de gonfler sensiblement ­celui de la France. Peu avant, Donald Trump a stupéfié en augmentant le sien de 10 %. Aux Etats-Unis, les dépenses aux armées atteindront 639 milliards de dollars, davantage que celles de tous les autres pays additionnés. Dans l’Europe entière, même branle-bas. L’Allemagne et la ­Pologne éprouvent un sentiment d’insé­curité. Ils ne sont plus sûrs de pouvoir compter sur la protection américaine. L’imprévisibi­lité de l’actuel Washington leur fait ­douter de l’assurance-vie contractée avec l’Otan. Les pays baltes, à commencer par la Lettonie, ont des raisons de trembler face aux multiples incidents sur leur frontière avec la Russie. La Suède et la Finlande songent à renoncer à leur neutralité séculaire pour ­adhérer à l’Alliance atlantique. Là encore, les anicroches avec l’aviation et la marine russes pullulent. Au bord du Golfe persique, c’est à quel Emirat dilapi­dera le plus de milliards en achat d’armement. L’Arabie saoudite et l’Iran se regardent de travers quand ils n’en viennent pas à la gâchette par procuration en Syrie.


 


La Corée et son tyran aux allures de hipster


Aux antipodes, l’Extrême-Orient nourrit tout autant les appréhensions des stratèges. La miséreuse Corée du Nord, son arsenal grandissant et son tyran aux allures de hipster aux manettes, défient les puissances avec l’intention ouverte d’en découdre. L’amiral américain James Stavridis évalue à 10 % le risque d’une guerre nucléaire, à 30 % celui d’un affrontement conventionnel. Des millions de morts sont d’ores et déjà programmés par les états-majors.


En Ukraine, le front se réchauffe de temps à autre. Vladimir ­Poutine se cramponne à son postulat : tous les territoires de l’ex-Union soviétique, aujourd’hui 15 républiques indépendantes, ­relèvent de l’aire d’influence russe. Nulle autre puissance n’est ­autorisée à y mettre le pied. Jusqu'à présent, les Américains et les Européens n’ont pas vraiment répondu aux appels au secours de l’Ukraine ou de la Géorgie. Ils se sont bornés à quelques soutiens homéopathiques accompagnés de discours compatissants, mais pas une arme à feu n’a été livrée. Une prudence à saluer.


D’insignifiantes îles artificielles risquent d’enflammer la Chine et le Japon, contraignant les Nippons à résilier leur principe pacifiste glorifié depuis 1945. Les projets atomiques de l’Iran, mis au placard sous Barack Obama, reviennent à l’ordre du jour.


 


La faute à Gavrilo Princip


Russie, Etats-Unis, Iran, Turquie, Israël, Arabie saoudite, Emirats arabes unis se bousculent dans le chaudron syrien dans des camps à canons tirés. Il suffirait d’un rien pour précipiter l’affrontement direct entre les deux principales puissances atomiques. Poutine ne cesse d’agiter le chiffon nucléaire, menace que l’URSS n’avait fait peser qu’une seule fois (en 1956) au cours des quarante-cinq ans de guerre froide. Sommes-nous entrés les yeux fermés dans une nouvelle ère, celle de l’avant-guerre ? Avec certitude, nul n’y est tenté. Ni Trump, ni Poutine, ni Xi Jinping ni quelque autre Etat. Sauf que l’histoire nous enseigne tout autre chose. Les évènements ne ­résident pas toujours entre les mains des protagonistes.


Souvenons-nous des Somnambules. Dans ce livre, sorti en 2013, Christopher Clark démonte le mécanisme satanique qui mena à la Première Guerre mondiale et ses 10 millions de morts. Ni la France, ni l’Allemagne, ni la Russie n’en voulaient. Elles s’y engouffrèrent pourtant avec joie sans savoir où leurs premières gesticulations les menaient. Elles en sortirent dévastées, la Russie à tout jamais. Le cataclysme engendra la Révolution de 1917 et le communisme, le nazisme et ses calamités, la Seconde Guerre mondiale, dont on n’est pas encore vraiment sorti à ce jour. Tous ces malheurs nous les devons à un étudiant nationaliste serbe, Gavrilo Princip, qui réussit à assassiner, l’archiduc d’Autriche et son épouse à Sara­jevo, le 28 juin 1914. Six semaines plus tard la planète était en feu. ­Merci Gavrilo. Merci aussi à tous ces chefs d’armées qui alimentèrent le brasier avec une inconscience exemplaire.


Des Gavrilo, des fauteurs d’accident, fourmillent aujourd’hui à tous les étages, politiques et stratégiques. Le Bulletin of Atomic Scientists de l’Université de Chicago étudie quotidiennement le degré de proximité d’un conflit mondial mesuré sur l’“Horloge de la fin du monde”. A cette montre, à minuit, les bombardements nucléaires se déclencheront. En 1995, l’aiguille indiquait minuit moins dix-sept minutes. En 2012, minuit moins cinq. En 2018, ­minuit moins deux minutes.


 


Un accident est vite arrivé…


Dans son livre Un nouvel avant-guerre (éd. Alma), l’historien russe Andreï Gratchev, ancien porte-parole du président Gorbachev, ­désarticule finement toutes les tentatives avortées d’apaisement des tensions dans un monde de tous les dangers, projeté dans la course aux armements. L’équilibre de la terreur joue pour les ­diplomates, mais pas pour les états-majors ni pour les complexes militaro-industriels. Ils ont tout à y gagner, ils s’y préparent jour et nuit, c’est leur raison d’être. Quand un fusil est accroché au mur, disait Tchekhov, il finit toujours par tuer.


La volonté humaine n’est pas la seule à redouter. Dans un environnement sous tension permanente, un accident est vite arrivé. Dans les années 1950, les radars américains ont confondu un vol d’oiseau migrateur avec un lancement de missiles soviétiques. De nos jours, 23 000 débris de fusées tournent autour de la Terre. Il suffit qu’un seul heurte un satellite militaire par hasard pour que l’anicroche soit interprétée comme une agression, sans que nul ne puisse prouver le contraire. Le mécanisme des ripostes s’engrènerait et Dieu seul sait ce qui serait en état de l’interrompre.


Pour couronner le tout, prolifèrent sur toutes les latitudes des gouvernements populistes, animés d’impulsion et de haine plus que de raison et d’altruisme. Telle se présente la face noire de notre présent. Mais n’oublions pas la face rose.


 


Globalisation et résistances


Nous la trouvons dans les deux best-sellers de Yuval Noah Harari, Sapiens et Homo Deus. Une vision diamétralement opposée nous y est offerte. De l’apparition de l’homme sur Terre à ce jour, jamais nous n’avons connu pareille prospérité. En vingt ans, 1 milliard d’êtres humains sont sortis de la pauvreté, et ça continue, en ­dépit des inégalités. Les bonds de géants de la recherche améliorent, souvent à notre insu, nos conditions d’existence. Les bonds en avant de la médecine et de la génétique abolissent progressivement les risques de maladie. Bientôt, l’idée même d’une santé précaire sera obsolète, un mauvais souvenir de l’exécrable bon vieux temps.


Les guerres n’ont déjà plus grand sens. La Chine fabrique les ­voitures, les ordinateurs américains et européens. Imagine-t-on les Etats-Unis bombarder leurs propres usines ? Ou la Chine détruire son principal client et débiteur ? Absurde. Les surgissements de nationalismes ou de terrorisme ne sont plus que les ­derniers sursauts d’un monde ancien en voie de disparition inéluctable. Les peaux blanches se basaneront, les noires s’éclair­ciront. La porte d’une globalisation humaniste s’est déjà ouverte. La métamorphose est trop éloignée de nos cultures pour s’opérer en douceur. Les résistances qui font toute notre actualité sont bien naturelles. Elles ne briseront pas l’élan d’une humanité en voie d’assemblage. Les fléaux de l’homo sapiens seront oubliés. D’autres apparaîtront. Ils ne nous concernent pas. 


MAGAZINE MARS 2018