Nuages bruns au dessus de la France
L’écrivain Mabrouck Rachedi évoque l’actualité. Ce mois-ci, l’auteur de “Toutes les couleurs de mon drapeau” commente le résultat des élections européennes en France.
La météo a déteint sur le ciel politique français : des nuages gris d’un côté, des nuages bruns de l’autre. Le Rassemblement national (RN) s’est hissé en tête du scrutin européen avec plus de 23 % des voix. On ne se rassurera pas en avançant que c’est moins en pourcentage que lors des élections européennes de 2014. Plus de 5 millions de Français ont voté pour la liste menée par Jordan Bardella, avec un taux d’abstention en baisse. C’est bien la preuve que, vote après vote, l’ancien Front national (FN) s’installe comme le premier parti en France.
Frapper le clou aveuglément
Le dérèglement politique français n’est pas un fait nouveau. Il n’est plus question d’avancer l’hypothèse du vote de rejet pour expliquer les scores du parti de Marine Le Pen. Si tel était le cas, les suffrages se répartiraient uniformément entre les listes alternatives. Europe Ecologie-Les Verts effectue une percée et La France insoumise s’effondre dans un jeu de vases communicants à gauche. Il y a bel et bien une adhésion à une idéologie, si ce n’est à un projet, que les dirigeants RN modifient en fonction des grâces et des disgrâces des conseillers : hier pour le Frexit, sous l’influence de Florian Philippot, aujourd’hui pour le maintien dans la zone euro.
Si l’étiquette n’est plus la même, il reste une constante au RN : l’obsession de l’immigration, fonds de commerce éternel de la boutique Le Pen père et fille depuis quarante ans. C’est le seul produit d’appel en vitrine. Toutes les tentatives de diversification de son offre l’ont conduit à l’impasse. La leader du FN, perdue dans ses fiches lors du débat de l’entre-deux tours de la présidentielle 2017 face à Emmanuel Macron, illustre le flou artistique de son programme et l’amateurisme de celle qui semblait découvrir ses propositions en direct. Celui qui n’a qu’un marteau ne verra que des clous. De la même façon, le RN voit dans tous les maux de la société l’ombre de l’immigré. C’est le clou qu’il frappe aveuglément.
En ces temps où tout est possible…
La concurrence à droite a réagi. Au lieu de se démarquer avec un autre discours, Les Républicains, sous la férule de Laurent Wauquiez, ont essayé de déborder sur la droite le RN. La stratégie a été massivement rejetée par les électeurs, mais elle aura encore plus décomplexé les électeurs de droite, de plus en plus enclins à se laisser séduire par les sirènes du RN.
Contrairement au dérèglement climatique avéré, le dérèglement politique n’est pas inéluctable. Les prochaines municipales, en 2020, pourraient enclencher de nouvelles dynamiques électorales. Rappelons que trois ans avant la présidentielle 2017, LREM n’existait pas et Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint démissionnaire de l’Elysée, semblait s’éloigner de la politique avec un poste décroché à l’université et des projets de création d’entreprise. En ces temps hautement imprévisibles, tout est possible, y compris la renaissance d’un parti donné pour mort ou la création ex nihilo d’un nouveau mouvement porté par une personnalité charismatique. Mais aussi un nouvel essor du RN, présent au second tour de la présidentielle 2017 avec 11 millions d’électeurs. Le tabou de l’extrême droite a sauté pour un nombre colossal de Français. Les nuages bruns continuent de s’amonceler et une tempête d’une extrême violence n’est pas à exclure.