Les Arabes ne seront plus des Arabes en France

 Les Arabes ne seront plus des Arabes en France

Crédit photo : Marie Docher/Photononstop/AFP


Apprendre l’arabe à l’école ? Très peu pour eux ! Contrairement aux idées reçues, les élèves franco-magrébins de France, confortés par leurs parents, considèrent qu’étudier la langue de leur pays d’origine est secondaire pour réussir. Le signe d’un fort désir d’intégration ?


Un somptueux lycée domine le paysage dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où vivent de nombreuses familles maghrébines. Il est célèbre pour sa “diversité”. Il suffit de passer devant vers 16 heures pour le vérifier.


L’an dernier, à la rentrée scolaire, la liste d’une dizaine de langues étudiées dans l’établissement était affichée à la porte. On y trouvait le roumain, le chinois… mais pas l’arabe. J’entre dans le bâtiment et aborde le premier enseignant croisé.


– Je viens de voir que vous enseignez plein de langues, mais pas l’arabe.


– C’est vrai. L’arabe était au programme il y a encore quelques années, mais nous y avons renoncé.


– Tiens ! Pour quelle raison ?


– Pas assez de demande. Les élèves choisissent d’autres langues. Je n’ai jamais creusé cette énigme, mais c’est un fait. Dans notre quartier du moins, les Arabes ne veulent pas apprendre l’arabe.


Je suis parti, songeur. Pas possible cette histoire ! Des Arabes contre l’arabe ? Quelque chose ne tourne pas rond. Outre le désir de se rattacher à leurs racines, les élèves maghrébins seraient avantagés en faisant ce choix. Certains le parlent bien, d’autres n’en ont assimilé que quelques expressions, mais tout de même, ce leur serait plus facile que l’anglais ou l’allemand. Les parents doivent y pousser. Eh bien non ! Ce n’est pas ainsi que les Maghrébins vivent en France. Sur le trottoir du lycée, je m’adresse à deux grands élèves aux traits bien typés.


– Ça ne vous gêne pas qu’il n’y ait pas de professeur d’arabe ?


– Ah bon, il n’y en a pas ?


– Non, regardez, la liste des langues est affichée.


– Ils doivent se tromper.


– Mais vous ne l’étudiez pas.


– Non.


– Pourquoi ? Vous êtes d’origine maghrébine, je suppose.


– Et alors ?


Je reste sans voix. Moi qui affectionne le peu d’arabe qui me reste de ma langue maternelle, me voilà renvoyé dans les cordes d’un “Et alors ?” Le plus grand des deux élèves me dévisage d’un regard méfiant.


– Parce qu’on est Arabe, on est obligé d’apprendre l’arabe, d’après vous ? Vous voulez aussi qu’on s’habille en Arabe, qu’on mange comme les Arabes ? Pourquoi vous n’interrogez pas les autres élèves ?


Je me suis éloigné, sentant que j’avais gaffé. Ma curiosité leur paraissait teintée de racisme, d’ostracisme pour le moins. Suffirait-il donc d’avoir la peau un peu plus bronzée que les autres pour être assigné à résidence dans une case et une seule ?


 


“Il y a plus urgent que d’apprendre notre langue d’origine”


Intrigué, j’ai poussé mon auscultation auprès de parents d’élèves maghrébins. Il en ressort qu’ils n’insistent généralement pas outre mesure. Il ne leur déplairait pas que leurs enfants s’imprègnent de leur langue natale, mais l’essentiel est qu’ils soient bons élèves. Avec ou sans l’arabe. “Je me soucie d’abord de la réussite de ma fille, me dit une mère. Sa vie se passera en France, pas en Algérie. Elle sera en compétition avec des Français. Que lui ajouteraient des années d’étude difficile ? Quelle profession exige la connaissance de l’arabe ? Qu’elle soit très forte en français, en anglais, en maths, ça c’est décisif. Mais l’arabe ? Je ne serais même pas capable de l’aider, je le parle mais je le lis à peine. Dans notre village kabyle et même à Alger, tout le monde comprend le français. Il y a plus urgent pour elle que d’apprendre la langue de notre pays d’origine.”


En France, l’arabe est, de loin, la deuxième langue parlée. Mais elle est aussi de loin la moins étudiée. Un rapport du Sénat publié fin 2003, précisait que seuls 0,02 % des collégiens l’apprennent. Deux fois moins que le russe, autant que le japonais.


L’enseignement confessionnel, parlons-en : 9 000 établissements catholiques pour deux millions d’élèves, 280 écoles hébraïques pour 30 000 et moins de 100 écoles arabo-musulmanes pour 5 ou 6 000 inscrits. Une goutte d’eau dans l’océan des quatre ou cinq millions de Maghrébins. Et Le Figaro de titrer : “Les écoles musulmanes inquiètent le gouvernement.”


A ce jour, ces établissements sous contrat, partiellement financés par l’Etat, se comptent sur les doigts d’une seule main. Logiquement, il devrait y en avoir des centaines. L’enseignement privé est une bonne œuvre, mais aussi une bonne affaire. Il ne manque pas d’enseignants entreprenants pour se lancer dans le business scolaire. Tout est fait pour que ces écoles occupent leur place naturelle. Tout sauf le marché. Si ces entreprises voyaient le jour, elles risqueraient fort de péricliter promptement par manque de clientèle.


 


L’assimilation plus encore que l’intégration


Les Arabes n’ont aucune envie d’être des élèves arabes. De se retrouver isolés dans des écoles réservées, loin des autres Français. Ils sont assez discriminés, ségrégués, stigmatisés, condamnés à vie au statut d’immigrés pour ne pas en rajouter une couche avec l’école. Tout en gardant leur identité, ils entendent être reconnus Français à part entière. Consciemment ou non, ils cherchent à s’orienter vers l’assimilation plus encore que vers l’intégration. Ils en ont assez de lire leur origine inscrite sur leur front.


Que l’esprit religieux soit de nos temps en pleine ascension, c’est un fait. Qu’il s’accompagne d’une revendication d’affirmation culturelle, c’est vrai aussi. Mais on en reste là. Ni les voilées, ni les barbus ne font masse dans les rues de Paris. Les militants islamistes ne manquent pas, font trop souvent parler d’eux, mais ne forment pas des foules. Dans leur immense majorité, les Franco-Maghrébins sont comme tout le monde : anxieux de surmonter les difficultés quotidiennes et d’éduquer leurs enfants. Le reste passe au second plan.


 


“Le français est devenu mon bien le plus précieux”


Les gouvernements aussi bien que les partis et les intellectuels ne cessent de s’interroger : les Arabes sont-ils vraiment habités du désir de s’intégrer ? Ne sont-ils pas si attachés par mille liens à leur culture d’origine qu’ils s’installent dans un système communautariste toujours en extension ? Nul n’est en mesure de répondre péremptoirement à ces questions.


Mais l’éducation devrait nous proposer une piste. Il n’y a rien de plus essentiel dans une culture que la langue. Rien. Dis-moi ce que tu parles, je te dirai qui tu es. J’ai appris le français à l’école coloniale, il est devenu mon bien le plus précieux, “plus précieux que ma propre vie”, souriait le philosophe Jacques Derrida, d’origine algérienne.


Or, nous constatons que la langue arabe, de génération en génération, s’étiole, dépérit jusqu’à s’éteindre parmi les descendants d’immigrés. L’absence de volonté de l’apprendre à l’école en est le signe indéniable. Il faut s’y résigner, les Arabes ne seront plus des Arabes en France. Ils seront ce qu’ils sont déjà, des Français. 


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017