Le Ps est mort. Vive la gauche !

 Le Ps est mort. Vive la gauche !

Crédit photo : Philippe Huguen/AFP


Une nouvelle ère politique s’ouvre avec l’élection d’Emmanuel Macron. Certes, le Parti socialiste est anéanti, mais la gauche, elle, triomphe. Exit le socialisme à papa ! Le temps du social-libéralisme a sonné pour la France.


Opinion générale : gauche et droite ratiboisées. Personnel politique entièrement renouvelé. Une irrésistible, une indéfinissable force nouvelle a fait table rase du passé et pris les commandes. Désolé, je ne partage pas cette vision. Je crois que nous avons assisté à un inimaginable triomphe de la gauche, d’une certaine gauche, de la gauche quand même. Laisse-moi vous conter.


A la sortie de mon supermarché Carrefour, boulevard de Rochechouart, la distributrice de tracts électoraux m’en tend un, orné du portrait de Myriam El Khomri. Petit attroupement. Je demande à une jeune femme à mes côtés :


– Vous aussi vous allez voter pour elle ?


– Je crois, me répond-elle malicieusement. Je suis Myriam El Khomri !


– Ravi de vous rencontrer, Madame la ministre. J’avais justement une question à vous poser. J’étais diablement embarrassé en votant pour vous au premier tour. J’hésitais entre vous et un autre, Pierre-Yves Bournazel, qui, sur ses affiches, assure lui aussi avoir obtenu le soutien d’Emmanuel Macron. Alors, quoi, c’est vous ou lui le macroniste ?


 


El Khomri, socialiste d’hier, macroniste d’aujourd’hui


El Khomri, puisque c’était bien elle, ressemble à tout sauf au monstre que nous représentaient l’été dernier les masses de manifestants scandalisés par sa loi Travail. Plus jeunotte que notre nouveau Président, haute comme trois pommes, une mine rieuse sous un visage gracieux, chemisier et pantalon passe-partout : une ménagère lambda au marché. Je glisse trois mots d’arabe pour tester, sans répondant. Elle a passé au Maroc ses dix premières années, mais la langue de sa mère bretonne l’a emporté. Près d’elle, un militant tunisien assure mieux côté bilinguisme. Elle m’explique, sans jamais perdre le sourire : au deuxième tour, seuls restent en lice dans notre circonscription deux candidats : une macroniste contre un macroniste. Bournazel a toujours été de droite, juppéiste puis filloniste. Il est recommandé par notre Premier ministre Edouard Philippe. Elle, et elle seule, a été adoubée par le Président. Son concurrent a perpétré un hold-up en “macronité”, une arnaque en allégeance (il ramassera la mise au second tour).


Membre du Parti socialiste depuis son entrée en politique (2002), Myriam El Khomri – appelez-la Myriam – fut élue socialiste au Conseil de Paris, adjointe au maire socialiste Bertrand Delanoë, ministre du Président socialiste Hollande et membre du Comité national du parti. Quelle différence entre la Myriam socialiste d’hier et la Myriam macroniste d’aujourd’hui ? Je ne vois pas.


Les deux principaux ministères de souveraineté sous Macron ne sont pas moins socialistes. Gérard Collomb à l’Intérieur et Jean-Yves Le Drian aux Affaires étrangères. Le Président lui-même a été inscrit depuis 2006 à la fédération PS de Paris, où il s’est acquitté scrupuleusement de ses cotisations jusqu’en 2009.


 


Quelques ministres de droite font tapisserie


Le 10 janvier 2015, réunion du bureau national du parti socialiste, rue de Solférino à Paris. Les grandes figures du parti, toutes affaires cessantes, se sont mises en quatre pour faire acte de présence. Emmanuel Macron, étoile montante de la gauche, vient présenter à ses camarades son projet “activité et croissance”. En ces temps reculés, il y a deux ans et demi, Macron est un dirigeant socialiste promis à un bel avenir. Considéré comme un militant brillantissime et fiable, il est élevé par Hollande au rang de secrétaire général adjoint de l’Elysée, puis carrément de ministre de l’Economie. Peut-on faire plus socialiste ?


Si on ôte les lunettes déformantes chaussées ces dernières semaines, on voit cette réalité : un président de gauche a succédé à un président de gauche. La gauche, qui était effectivement proche du coma avancé, a réussi, par un prodigieux coup de prestidigitation, à demeurer au pouvoir et à étendre son emprise à des frontières qu’elles n’auraient jamais rêvé atteindre. Certes, quelques ministres, dont le Premier, sont venus de la droite en transgressant la ligne ; ils font tapisserie, de la figuration. Le pouvoir, c’est Macron et les siens, pour la plupart venus de la mouvance PS.


Durant ses deux décennies d’âge adulte, Macron s’est réclamé successivement de plusieurs mouvances : Chevènement, Rocard, Delors, Hollande. Toutes de gauche. De gauche moderne. De gauche libérale.


Pour lui, comme pour tout le monde, la gauche française accuse une bonne vingtaine d’années de retard. Le chancelier allemand Gerhard Schröder, dès 1999, a procédé à un paquet de réformes avec un succès spectaculaire.


L’insupportable taux de chômage allemand de cette époque s’est évaporé en un quasi plein-emploi. Les déficits budgétaires ont suivi le même chemin. En France, Sarkozy a dû affronter des mois de protestations populaires pour faire passer l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans. Hollande n’a pas osé y toucher. Partout ailleurs, en Europe, on doit travailler jusqu’à 65, 67 ans.


 


Tous tremblent d’affronter la colère de la rue


Même urgence de réaménagement des allocations-chômage, des services de santé, des lois fiscales, des relations salariales, de la liberté d’entreprise. Dans l’ensemble, la France est un pays très correctement administré, mais beaucoup trop de ses rouages freinent l’élan économique. Ils manquent d’une bonne révision générale qu’ont déjà accomplie depuis belle lurette les pays nordiques et anglo-saxons. Droite, gauche, centre le savent parfaitement. Tous tremblent à l’idée d’affronter la colère de la rue.


La responsabilité première de cette stagnation française incombe à la gauche, plus précisément au Parti socialiste. Dans l’opposition, il empêche la droite de faire le travail. Au pouvoir, il se cramponne à ses théories du XIXe siècle tout en essayant, sans succès, à passer en contrebande des réformes libérales qu’il sait nécessaires. Macron aura été le premier socialiste à le faire admettre : le socialisme de papa est mort. Le temps du social-libéralisme a enfin sonné pour la France.


Dès qu’il a montré le bout de l’oreille en laissant entendre qu’il pourrait se présenter aux élections, le maire de Lyon, Gérard Collomb, l’a entendu en lui apportant le soutien de la fédération socialiste du Rhône. Son premier grand meeting, il le tient à Lyon, où voit le jour cet engouement populaire qui ne cessera d’enfler jusqu’à l’Elysée.


La gauche ne s’est pas toujours confondue avec le socialisme. Elle fut d’abord républicaine, contre les monarchies bourboniennes ou bonapartistes puis anticléricale, contre l’Eglise et l’école religieuse. Assez tôt, elle s’est imbibée d’un socialisme tourné vers un seul but : la lutte des classes, l’abolition de la propriété privée.


En 1981, François Mitterrand nationalisa le système bancaire dans son entièreté et l’essentiel de la grande industrie. Alors qu’avec l’anéantissement du socialisme réel en Russie, démonstration avait été faite de l’ineptie de ces révolutions, en France on persistait dans la même voie. Jusqu’au brave François Hollande qui se sentit obligé de proclamer “Je n’aime pas les riches”. Il n’en croyait rien, pas plus que ses camarades de parti, mais c’était le jeu, une démagogie à la manière de Le Pen.


On attendait depuis des décennies l’ajournement de la gauche. Avec Macron, c’est chose faite, la page est tournée. La gauche reste au pouvoir, mais c’est une toute nouvelle gauche. Elle garde ses valeurs, mais elle jette à la poubelle ses vieilles lunes. 


MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017