La chronique du Tocard au Trib’. Au Palais de Libreville : « Tu dois mettre le sachet »

 La chronique du Tocard au Trib’. Au Palais de Libreville : « Tu dois mettre le sachet »


J'ai décidé d'aller parfois au tribunal. Une belle manière de raconter autrement un pays. Me voici au Gabon, à Libreville, deux fois moins grand que la France, peuplé seulement d'un million et demi d'habitants. Un pays traversé par l'équateur : il y fait donc très  chaud et très humide. La chronique du Tocard devient donc de temps en temps La chronique du Tocard au Trib'. Voici l'épisode 3. Au Palais de Libreville : "Tu dois mettre le sachet".


Le tribunal de Libreville, un immense bâtiment jaune de trois étages, est situé à quelques pas du boulevard de la Démocratie. On ne sait pas si c'est le fruit du hasard ou si c'est savamment pensé mais dans tous les cas, ça m'a bien fait rire. C'est une vieille bâtisse qui est sortie de terre au début des années 70 à une époque où régnait feu Omar Bongo, né Albert-Bernard Bongo, converti à l'islam en 1973 parce qu'il voulait se faire bien voir par les riches pays arabes du Golfe, le Gabon étant un gros producteur de pétrole.


"Ce n'est pas l'immeuble d'à côté", (comprenez c'est à perpette donc ça me va coûter une blinde), m'indique assez froidement le chauffeur de taxi, un Camerounais de forte corpulence, tellement grand que sa tête touche presque le sommet de sa voiture.


Il veut savoir très vite, parce que les francs CFA n'attendent pas, si j'accepte son tarif hors de prix qui semble être le passage obligé pour chaque Blanc qui se respecte. Vexé d'être pris pour ce que je suis, je lui demande alors de bien regarder ma gueule d'Africain du Nord qui mérite un peu plus d'égard de sa part. Je décide de taire ma francitude parce que je ne suis pas là pour pécho mais pour faire des économies, une priorité absolue, dans une ville où les francs CFA fondent à une vitesse tropicale.


Malgré ses apparences africaines, Libreville, la capitale politique et administrative du Gabon, première ville du pays en nombre d’habitants, est bien plus chère que New-York. Le Gabonais est entré à fond dans l'histoire du capitalisme ! Jouant mon rôle d'Algérien à fond, j'informe le chauffeur que je réside à Alger la Blanche où la monnaie locale chez nous c'est le dinar-connard, et surtout pas à l'Ile-Saint-Denis où règne l'euro.


A moitié convaincu par mes explications, ce dernier finit tout de même par accepter ma proposition, soit trois fois moins que le prix initial, à condition qu'il puisse faire un détour et s'arrêter en chemin pour approvisionner son bolide d'autres clients. J'accepte volontiers surtout, si c'est pour avoir le bonheur de ramasser quelques "petites", autre nom au Gabon pour désigner les nanas. 


Me voici donc embarqué dans sa bagnole, qui comme tous les taxis sont rouges et blancs. Une toyota d'occasion qui file à toute vitesse comme si on participait à une course de Formule 1, les vitres grandes ouvertes, en direction du fameux palais de justice de Libreville.


Le chauffeur se détend enfin quand on se met à parler politique. Entre deux vannes sur nos deux "présidents respectifs", Boutef et Bongo fils, (le sien s'appelle Paul Biya mais ce Camerounais vit au Gabon depuis trente ans), il me demande à quelle heure est mon audience. – Je n'ai pas d'audience aujourd'hui. Je suis de passage au Gabon. Je vais à la Cour par curiosité, je lui réponds avec mon sourire malicieux. J'ajoute que pour bien connaître un pays et prendre sa température, rien ne vaut une journée au tribunal. Il ne dit rien, me regarde fixement et fini par "tchiper" : encore un délire de Blanc, doit-il penser. – La plage et les bars, c'est bien aussi, conseille-t-il.


La coutume ici c'est de déclarer le prix et l'endroit de la course au chauffeur du taxi et celui-ci est libre ou non d'accepter. Emprunter un taxi à Libreville est donc une question d’enchères, celui qui propose plus, sera l’heureux embarqué. "1000 francs Venez-voir", propose un jeune mais notre voiture décide de ne pas s'arrêter. "Venez-voir" est l'un des nombreux bidonvilles de Libreville…


Plus loin, une dame d'un certain âge annonce "500 francs Charbonnages". -Vous charbonnez encore à votre âge ?, je lui demande. Ma blague pourrie la laisse indifférente. Notre voiture aussi, qui continue son chemin.  -"1000 francs M'Bolo", lance de sa voix douce une belle demoiselle. Tarif et lieu accepté. C'est sur notre route, elle embarque.


Belle mais peu bavarde. Cette jeune fille a la classe, comme l'immense majorité des Gabonaises qui aiment soigner leur allure. Je lui demande si elle va bien. Pas de réponse, juste un hochement de tête. Quand on est beau, on laisse les gens nous regarder. 


Le chauffeur m'explique que les prix varient en fonction de la densité du trafic, de l’heure de la journée à laquelle on prend le tacot, voire de la météo. Le montant d’une course peut donc être du simple au double selon qu'elle ait lieu à une heure creuse de la matinée ou en fin de journée, un jour de pluie. En ce qui me concerne, il est 10h30 et il fait soleil.


Mis en confiance, le chauffeur branche la radio. Il fredonne puis coupe le son très vite, en voyant la police. Il faut descendre. Contrôle des papiers. Le taximan n’a ni les documents du véhicule, ni le permis. Son taxi est immobilisé. Il faut trouver un autre bolide.


J'essaie de m'allier avec la jeune Gabonaise qui m'accompagnait, nous allons dans la même direction. Elle tourne la tête et s'éloigne. Chacun pour soi. Les taxis défilent. Aucun ne veut de ma course, pas assez rentable. A moins que ça soit ma gueule…


Un homme m'informe que le palais de justice n'est pas très loin à pied, à trois kilomètres en allant tout droit. Un autre taxi s'arrête et je tente de nouveau, une dernière fois. -500 francs Palais de justice. J'embarque enfin.


Il est midi, le chauffeur de taxi me laisse à une centaine de mètres du palais parce que l'entrée est encombrée de carrosses en tout genre. Comme la chaleur est accablante et l'humidité au rendez-vous, je suis, heureusement habillé pour l'occasion. Je porte un bermuda en nylon, un Marcel Blanc de boxeur en coton pour ne pas trop transpirer et qui a le mérite de mettre en valeur ma musculature sèche et sauvage, et au pied des tongs brésiliennes, achetées en solde à Roissy airport et que les gens appellent ici "Babouches".  Une appellation qui n'a rien à voir avec mes origines maghrébines.


Au moment de pénétrer dans l'enceinte, un vieux me prévient que mon pédigrée de Blanc ne me suffira pas pour entrer, sapé de la sorte. Pour l'instant, j'accède à l'intérieur sans aucun souci. Pas de contrôle.


À l'extérieur et à l'intérieur du bâtiment, les deux mêmes citations, celles de JFK, le président américain assassiné à Dallas le 22 novembre 1963. "Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous . Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays".  Le portrait du président Ali bongo est accroché en hauteur. Intouchable, impossible à arracher.


Les toilettes se trouvent de l'autre coté des salles d'audience. J'y vais pour me changer. Jeans basket t-shirt manche courte. En sortant des chiottes, je tombe sur une conversation entre une jeune femme à la robe rouge, à peine la vingtaine et un greffier. Ils sont devant la salle qui s'occupe de juger les affaires familiales.


Elle est venue avec son bébé. La demoiselle se plaint que le papa du petit ne veuille pas payer la pension alimentaire.  -Le droit au Gabon, c'est ça madame. Vous écrivez au procureur général et vous lui expliquez les choses. Vous donnez le nom du père, vous donnez le double de l'acte de naissance. Il doit payer.  Il ne va pas acheter des cravates et pas s'occuper de son fils qui est un être humain quand même !


Comme c'est la seconde fois que cette fille fait des mômes avec des quasi inconnus, le greffier lui dit plusieurs fois : "Tu dois mettre le sachet".  


La plus grande salle du palais est le tribunal correctionnel. Elle est bondée. La clim' fonctionne à merveille. Ce matin là, une demi douzaine de types dont le prénom est Dieudonne sont jugés. Je ris tout seul. Si tu veux pas que ton fils ait des problèmes dans sa vie, ne l'appelle surtout pas Dieudonne, ça porte malheur. C'est autant valable en France qu'au Gabon.


Ici, ce n'est pas la police qui s'occupe de maintenir l'ordre ou de ramener les prisonniers devant la Cour, mais l'armée. Elle est en effectif illimité. Il faut s'approcher au plus près et bien tendre l'oreille si on veut suivre une affaire. Parce qu'il n'y a aucun micro de prévu, ni pour les magistrats, ni pour les justiciables. Et puis, il faut être en mesure de comprendre ce qu'il se dit. La justice au Gabon c'est un mélange de règles coutumières et droit juridique. Je demande de l'aide.


"Le matin, la Cour de Libreville juge surtout les petites affaires. L'après midi, les flagrants délits, qui doivent être jugés maximum un mois après les faits", m'annonce un stagiaire avocat assis à ma droite. C'est un jeune homme qui a fait ses études à Bordeaux, avant d'aller à la fac à la Rochelle. "Il était temps que je revienne dans mon pays", continue-il fièrement.


Entre temps, un juge prononce un verdict. Pour avoir été pris en flagrant délit de corruption, un accusé est condamné à 5 ans de prison ferme et doit verser la somme d'un milliard de Francs CFA (1,5 millions d'euros). "Cette amende, c'est comme la prison à vie", lance ma voisine. Avec la chute du prix du baril, j'espère que l'accusé n'avait pas investi tout son fric dans le pétrole.


Suspension d'audience. L'heure d'aller manger. La cafétéria est au sous-sol. Tables rouges, chaises rouges, du bois tout autour. Bel endroit. Au menu, pâtes-saucisses fumées, poulet grillé-steak haché  ou poisson grillé.


Jamais de ralouf pour moi. Je choisi le poulet, accompagné d'Alokos (bananes plantain frites). Je savoure. Je prends un café même s'il coûte 2000 Francs CFA (3 euros et quelques). La bière locale, la Régab, est à moins de 1 euro (500 francs), l'eau à 2000 francs….


Je remonte. Il est 14h. Trois hommes sont jugés pour trafic de cannabis. La police a trouvé 75 kilos de drogue à leur domicile. Ils embarquaient le chanvre dans des camions de marchandises à partir du Cameroun pour Libreville.


La marchandise était stockée dans une villa. Pour dissiper les odeurs de shit, on apprend que les dealers arrosaient la baraque d’eau pimentée. A la barre, les trois accusés ont l'air bien amochés. Ils avouent tout et demandent la clémence au tribunal. En vain. Ils écopent tous les trois d'une peine de douze ans ferme, assortis d’une amende de 2. 000.000 Francs CFA. 


Nadir Dendoune


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