#balancetonporc : de l’art et du cochon
L’écrivain Mabrouck Rachedi croque l’actualité. Ce mois-ci, l’auteur de “Tous les hommes sont des causes perdues” revient sur les conséquences de l’affaire Weinstein.
La théorie du chaos énonce que le battement d’ailes d’un papillon à Paris peut provoquer un ouragan à New York. Qui aurait cru que la révélation des agressions sexuelles à répétition, pendant des décennies et en toute impunité, du producteur américain Harvey Weinstein allait provoquer un tel déferlement dans le monde ? Du hashtag #myharveyweinstein, outre-Atlantique, à #balancetonporc, en France, en passant par les 456 actrices suédoises dénonçant les agressions sexuelles dont elles ont été victimes, c’est un séisme de magnitude inégalée qui s’est déclenché.
Et c’est tant mieux. Derrière la réalité tragique, mais froide, de ces chiffres sur les violences sexuelles contre ces femmes, des faits bruts ont surgi, révélant leur nature inacceptable et leur nombre gigantesque. Des chiffres inquiétants, qui mettent au jour les faits tels qu’ils sont, dévoilant un cataclysme de société extrêmement grave. Au-delà des statistiques, des histoires, des détails, des circonstances ont matérialisé ces pratiques “que tout le monde connaissait”. Des personnes connues, inconnues ou des proches les ont incarnées. On a pu mettre des visages sur les victimes d’un système non seulement patriarcal et machiste, mais aussi délictuel et criminel.
Non, c’est non, un point c’est tout
Car, rappelons, s’il en était besoin, qu’un viol est un crime et qu’une agression sexuelle est un délit. Rien ne les justifie, rien ne les excuse, surtout pas la longueur des vêtements, les habitudes de vie, les comportements de la victime ou la proximité de la relation avec l’agresseur, mari ou quidam croisé au mauvais hasard d’une ruelle. Il suffit qu’une relation sexuelle soit non-consentie pour qu’elle tombe sous le coup de la loi. Non, c’est non, un point c’est tout.
Mais les violences sexuelles sont difficiles à dénoncer publiquement parce qu’elles frappent en premier lieu des mineurs, parce que les agresseurs sont dans l’écrasante majorité des proches de la victime, parce qu’elles touchent l’intime… Comme un paradoxe, un sentiment individuel de honte s’installe chez les victimes à cause d’un regard social dont nous portons tous une responsabilité collective. Des médias ont étouffé des affaires (ainsi, une enquête sur le même Weinstein n’avait pas été publiée en 2004) et ont banalisé les représentations de ce type de violences à la télé, dans la publicité, au cinéma…
De l’émotion à la justice
La honte doit changer de camp, de l’agressée à l’agresseur. Et ceux qui font des assimilations douteuses entre la délation, renvoyant à la collaboration, et la dénonciation légitime d’un crime ou d’un délit entretiennent la chape de plomb qui étouffe la parole. C’est de la non-assistance à personne en danger que de se taire face à l’inacceptable. Et ce serait de la non-assistance à société en danger que de nier la souffrance et le droit à la justice de ces femmes, mais aussi parfois de ces hommes.
On peut commenter sévèrement un phénomène social, mais la justice, elle, doit se prononcer au cas par cas. La juste émotion populaire ne doit pas se substituer au temps long des procès quand bien même les “vérités” immédiates des réseaux sociaux font le tour de la planète des milliers de fois avant que le premier coup de marteau d’un juge ait prononcé un verdict. La charge de la preuve et la présomption d’innocence sont des principes fondamentaux du droit, et il ne faut surtout pas oublier que la démocratie n’est pas seulement l’expression de la majorité mais aussi le respect de l’Etat de droit. Sinon, ce serait une autre forme de chaos.