Chien Blanc, cette bête dressée pour tuer les Noirs, ce racisme d’animal

 Chien Blanc, cette bête dressée pour tuer les Noirs, ce racisme d’animal

Noirs, Arabes, Juifs, Asiatiques… Le racisme a toujours été, est, et n’en finit toujours pas. Les récentes tueries qui se sont déroulées à Atlanta, aux Etats-Unis, visant trois spas asiatiques et entraînant la mort de six personnes d’origine asiatique nous le rappellent cruellement. De même que la mort inhumaine de George Floyd à Minneapolis, ou, plus près de nous, les violences policières qui sévissent en France, attaquant « l’Autre ». Chien Blanc, c’est le roman de l’exquis Romain Gary, qui fait état de son expérience des Etats-Unis des années 68, de ce racisme anti-Noir personnifié par cette bête qui a été dressée par la police américaine dans le seul but de tuer les Noirs. Cet ouvrage a été pour nous l’occasion de revenir sur les origines et le développement de cette idéologie perverse qu’est le racisme, transmise de générations en générations depuis des siècles, des millénaires. 

« Là où il y a de la haine, il n’y a pas d’éducation. Il y a déformation. Dressage. Je suis en train de me dire que le problème noir aux Etats-Unis pose une question que le rend pratiquement insoluble : celui de la Bêtise. Il a ses racines dans les profondeurs de la plus grande puissance spirituelle de tous les temps, qui est la Connerie. Jamais, dans l’histoire, l’intelligence n’est arrivée à résoudre des problèmes humains lorsque leur nature essentielle est celle de la Bêtise ». 

Ce mal qui gangrène les hommes depuis les sociétés primitives

L’origine du racisme remonte aux sociétés primitives et antiques. Les structures de ces sociétés les prédestinait au racisme et à la xénophobie. En effet, chaque peuple considérait les autres peuples comme des barbares.

Avec l’édification des doctrines raciales du 19ème siècle, le phénomène a été élaboré, et défini : une idéologie qui part du principe qu’il existe des catégories de races au sein de l’espèce humaine avec une hiérarchie entre les races. Autrement dit, il y aurait des êtres humains supérieurs à d’autres. Il y va sans dire qu’elle ne repose sur aucun fondement scientifique, et que la science la réfute catégoriquement. 

Pour Hannah Arendt, « la pensée raciale » est devenue une idéologie qui accompagnera l’impérialisme débutant à la fin du 19ème siècle. Pour elle, cette idéologie raciste devient « un projet politique » qui engendre et reproduit des structures de domination fondées sur des catégories essentialistes de la race ». C’est « d’abord la transformation des peuples en races ». 

Herbert Spencer, inspiré par le darwinisme, applique les principes de cette théorie au domaine social et affirme comme évolution de l’histoire, la suprématie des plus aptes. À partir de ces travaux, un penseur, le Comte Arthur de Gobineau, (1816-1882), a conçu une théorie sur « la hiérarchisation des races » dans un essai intitulé « Essai sur les inégalités des races humaines », où il retient la classification suivante : la blanche regroupant les caucasiens (aryens germains et francs, celtes et slaves), les sémites, laquelle considérée comme intelligente et supérieure, la noire qui est sensible et bestiale, et la jaune industrieuse. 

Il faut attendre l’arrivée en Allemagne de Houston Stewart Chamberlain, maître à penser d’Hitler, pour donner corps aux théories de Gobineau et de faire le saut de la théorie raciale à la théorie raciste. De la haine et de la peur de l’autre, on va légitimer la colonisation, la déportation et l’extermination.

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Les théories racistes, ingrédients de l’idéologie coloniale

L’idéologie coloniale s’est aussi nourrie de la théorie de la suprématie de la race blanche, investie d’une soi-disant « mission civilisatrice » des peuples arriérés, ainsi que de la théorie évolutionniste de Darwin. S’est ajouté à cette entreprise, le développement de l’esclavage. Les conquêtes européennes qui débutent au 15ème siècle, ont bâti un système économique et social esclavagiste, nourri par les traites négrières. Les esclaves étaient considérés par les médecins européens comme malsains face aux blancs qui leur étaient supérieurs et en bonne santé. Ces mêmes médecins affirmaient que les esclaves étaient atteints de maladies spécifiques, et que seul le travail, au service des colons, permettaient d’atténuer l’impact, sans toutefois les guérir.

Une fois les pays colonisés, les colonisateurs mettaient en place des lois différenciées sur une base raciale, ce qui a donné naissance à la ségrégation raciale. Progressivement, les pays colonisateurs adoptant des systèmes démocratiques, se sont retrouvés à gérer des contradictions flagrantes : d’un côté, ils prônaient l’émancipation et l’égalité, de l’autre, ils pratiquaient l’assujettissement au sein de leurs colonies et appliquaient des lois ségrégationnistes. La France a connu une telle situation sous la Troisième République (1870-1940), ainsi que l’empire britannique. L’impérialisme et le colonialisme ont massacré et asservi plusieurs peuples à travers la planète (Amérique du Nord, Amérique latine, Afrique, Moyen-Orient, Asie). 

Et la naissance du capitalisme a exacerbé le phénomène, car il fallait plus de terres à exploiter, plus d’or, plus de main d’oeuvre et plus de marchés. C’est pendant cette période que la traite triangulaire a fortement prospéré. On estime à 11 millions d’africains arrachés à leurs terres, leurs familles, qui ont été déportés par des européens en Amérique. 

Au 13ème siècle, il y a eu une augmentation des révoltes d’esclaves. Des héros de ces révoltes ont été immortalisés dans des oeuvres romanesques comme Makandal, leader des insurgés à Saint-Domingue en 1748, Oroonoko chef des marrons de Suriname et bien d’autres qui ont ressuscité le mythe de Spartacus. Ces révoltes ont conduit progressivement à l’abolition de l’esclavage dans différentes régions du monde. C’est en Angleterre qu’apparaissent les premières sociétés pour l’abolition de l’esclavage. En 1807, l’abolition de la traite est votée au parlement britannique. En France, il fallait attendre la 2ème République en 1848 pour lancer le processus d’abolition. 

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Le cas américain 

Aux Etats-Unis, l’adoption du 13ème amendement de la Constitution américaine du 6 décembre 1865 met fin à l’esclavage, à l’issue de la guerre de Sécession entre les Etats du Nord et ceux du Sud où l’esclavage occupait une place centrale dans le système économique et social. Mais le 13ème amendement n’a pas intégré la communauté des afro-américains dans la communauté nationale. En effet, de 1876 à 1965, les Etats du Sud des Etats-Unis ont promulgué des arrêtés et règlements dits lois Jim Crow, qui distinguaient les citoyens selon l’appartenance raciale, tout en admettant leur égalité de droit. Ainsi, ces lois ont mis en place une ségrégation de droit dans tous les lieux et services publics y compris les écoles, les bus et les trains. 

D’un autre côté, le 13ème amendement a accordé la liberté à tous les citoyens américains sauf aux criminels. Du jour au lendemain, dans les Etats du Sud, quatre millions d’esclaves se retrouvent libres mettant au péril toute l’économie de ces Etats. Très vite, et pour simple vagabondage, les autorités judiciaires mettaient en prison des centaines de milliers d’enfants et d’adultes noirs les incitant aux travaux forcés dans les champs et les chantiers. Et il fallait construire toute une mythologie autour de la criminalité des noirs, comme étant des êtres violents, violeurs de femmes blanches. 

Le film de David Griffith « Naissance d’une nation » a joué un très grand rôle dans la réalisation de cet objectif inavoué, mettant en scène des noirs avec des comportements d’animaux et des actes de violence inouïs. Il a réussi à créer dans l’imaginaire populaire une association entre la couleur de la peau et la criminalité. Suite à la large diffusion de ce film, il y a eu la renaissance du Ku Klux Klan. Des milliers d’afro-américains (enfants et adultes) ont été lynchés, torturés et pendus. Ainsi, on a marginalisé des citoyens de seconde zone. 

Lorsqu’en 1965 il y a eu l’annulation des lois Jim Crow, l’approche est devenue plus subtile. Les politiques ont engagé un discours contre le crime et les drogues. Sous la présidence Richard Nixon et sa guerre contre le crime, plusieurs centaines de milliers de noirs se sont retrouvés dans les prisons, mettant leurs familles dans la précarité. Et parmi les cibles de cette guerre, tous les militants des droits civiques étaient visés, les Black Panthers, les Blacks Power et les mouvements de gauche. Ce n’est pas un hasard que des militants représentent la cause des noirs ont été assassinés : Martin Luther King, Malcolm X, Fred Hampton et bien d’autres. 

En 1982, Ronald Reagan a lancé une guerre contre les drogues, a diminué les impôts aux riches et a coupé les budgets sociaux d’aide aux citoyens défavorisés et les budgets d’éducation en faveur des enfants de ces populations. 

Les jeunes noirs et latins sont devenus des proies faciles aux drogues bon marché et se sont retrouvés derrière les barreaux. La privatisation des prisons a ouvert la voie à une industrie florissante et fortement rentable, qui a intérêt à augmenter les recrutements de prisonniers. Ainsi, on est passé de 357.292 prisonniers en 1970 à plus de 2.200.000 prisonniers aujourd’hui.

Les Etats-Unis représentent 5% de la population mondiale mais 25% des prisonniers dans le monde. Les noirs représentent 6.5% de la population des Etats-Unis mais 40.2 % des prisonniers américains. 

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Une déconditionnement plus que nécessaire

Ce qui inquiète et interpelle notre conscience collective et ce malgré les progrès scientifiques qui confirment définitivement l’égalité biologique des êtres humains, de l’histoire, on voit le retour de l’antisémitisme, le racisme anti-arabe, anti-musulman, le harcèlement contre les Roms, la chasse aux immigrés… portés par des partis politiques populistes et haineux. 

Sans un retour froid et objectif sur l’histoire du racisme et de la ségrégation raciale et sans un débat serein et responsable sur toutes les dérives humaines en la matière, la haine et la peur continueront à détruire la communauté humaine et à des moments donnés aboutir à des guerres, des génocides et à de l’extermination industrielle. Si on ne tient pas compte du mécanisme psychique et social du racisme, des théories aussi folles les unes que les autres, des actes aussi inhumains les uns que les autres, verront le jour indéfiniment et le racisme ne disparaîtra pas. 

Les horreurs du XXème siècle sont encore fraîches dans les mémoires pour réveiller les vieux démons, ou faire appel à la clairvoyance et à la sagesse humaines. Les Ouïgours internés dans des camps de concentration en Chine sont la preuve que l’on n’a pas appris nos leçons, que l’on n’a pas trouvé les outils pour lutter contre la haine, la peur, le sentiment d’insécurité, le désir de domination, la poursuite de l’intérêt personnel, ou encore l’appétit économique… Terreaux du racisme. 

« – Jack, tout le monde sait que vous avez fait des miracles avec des bêtes dites vicieuses.

-C’est une question d’âge. Les plis anciens, trop profondément marqués… Rien à faire. Du reste, la plupart des bêtes « vicieuses » sont des bêtes viciées. Délibérément déformées par des années de dressage. Systématiquement avariées. Votre clébard est trop vieux. 

-C’est une affaire de patience ». 

Chien Blanc deviendra Chien Noir (car on ne s’imagine pas « ce que les siècles ont accumulé dans l’âme noire »). Puis Chien Noir deviendra Chien enragé (mais « il n’y a pas encore de vaccin pour ça »). Cette haine, blanche, noire, marron, jaune, bleue… Finira par exploser à la gueule de l’humanité.

>> Voir aussi : Aux origines du racisme