“Ceux qui pensent qu’ils vont trouver dans ce livre de quoi salir l’islam vont être déçus”, Ali Watani auteur de “Les Soldats d’Allah”
Ali Watani est journaliste. Ce fut un long chemin pour le devenir dans un milieu où des profils comme le sien, il n’a pas fait de grande école et est issu d’un milieu modeste, ont du mal à percer le plafond de verre. Surtout ne pas se fier au titre du livre, dans « Les Soldats d’Allah », Ali Watani raconte avec nuance et complexité, grâce à une plume aussi juste qu’incisive ses infiltrations en caméra cachée, notamment celle qui a duré plusieurs mois, au sein dʹune cellule jihadiste, en 2015.
Mais ce n’est pas tout, dans ce livre, l’auteur nous parle de sa banlieue, du décès tragique de son oncle tué par la police, de l’islam de son père et de la richesse de sa double culture qui lui permet aujourd’hui de travailler partout, ce qui fait d’Ali Watani un journaliste tout terrain, pour ne pas dire unique. Nous l’avons rencontré longuement dans un endroit discret où il continue de vivre anonymement.
LCDL : Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Ali Watani : A chaque fois que je racontais mon infiltration dans les milieux jihadistes, les gens étaient impressionnés par ce que j’avais vécu, surtout ma rencontre avec Inès Madani en 2015, bien avant sa tentative échouée de l’attentat de Notre-Dame de Paris en septembre 2016, où en compagnie d’une autre jihadiste, Ornella Gilligmann, elle avait garé une voiture contenant six bonbonnes de gaz devant la terrasse bondée d’un restaurant parisien. Le mauvais choix du carburant, du gasoil à la place de l’essence, difficilement inflammable, avait permis d’éviter le massacre. Inès Madani que j’ai rencontrée plusieurs fois se faisait passer pour un homme sur les réseaux sociaux pour recruter de jeunes candidats au Jihad. Des tas de personnes me disaient que je devrais faire un film de toutes ces histoires. J’aurais pu écrire ce livre avant mais je voulais attendre aussi que tous les apprentis djihadistes que j’ai rencontrés lors de mes infiltrations soient jugés. Et puis, je pense que le propos nuancé du livre n’aurait pas été compris à l’époque. En 2015-2016, il était difficile d’écrire sur ce sujet hautement sensible. C’était la période de l’état d’urgence où le gouvernement arrêtait tout le monde.
Malgré le temps qui a passé, ce livre est basé sur des notes prises à l’époque parce que je voulais qu’il soit fidèle à ce que j’avais ressenti au moment de mes infiltrations. Je voulais garder cet Ali de l’époque qui découvrait le journalisme.
Le titre ne va pas du tout avec le contenu du livre…
Je comprends que certains peuvent être refroidis par le titre. Par exemple, il peut donner cette impression de servir Manuel Valls ! Mais ceux qui jubilent en pensant qu’ils vont trouver à l’intérieur du livre de quoi salir la religion musulmane vont être déçus. Je montre justement que ces gars qui aiment se faire appeler « soldats d’Allah », ne sont ni des soldats et encore moins ceux d’Allah. Ces fous d’Allah salissent la religion de mon père.
Je parle aussi de mes autres infiltrations. Comme quand je me suis fait passer pour un sans-abri dans une antenne Emmaüs où je me suis rendu compte comment la responsable exploitait les résidents en les faisant travailler pour une bouchée de pain. Grâce à mon infiltration, elle a été renvoyée.
Il y a eu aussi mon passage dans un foyer en tant qu’éducateur spécialisé où j’ai filmé la maltraitance. Mes images ont servi à un film qui a fait grand bruit et diffusé à une heure de grande écoute sur France 2. Et je continue à faire des infiltrations dans des endroits variés avec toujours le même but : mettre à jour les dysfonctionnements de notre société.
On apprend dans votre livre que beaucoup de ces jeunes qui partent combattre en Syrie le font aussi pour aller se « faire des filles ».
Oui. En lisant les dossiers d’instruction, cela saute aux yeux. Dans chaque histoire de candidat au jihad, il y a une dimension matrimoniale sexuelle et amoureuse. J’ai lu des échanges entre jihadistes hommes et femmes comme je n’en avais jamais lus auparavant. Des propos très, très crus … Cela montre la tartufferie de ces pseudo-candidats à la guerre sainte.
Je vais vous raconter une anecdote : les policiers enquêtent sur une femme blanche de 20 ans radicalisee qui vit en Bretagne. Un jour, elle est mariée par un imam à un jihadiste français dans un parc. Quelques temps plus tard, ce même imam marie un autre jihadiste par téléphone et se rend compte que sa nouvelle épouse n’est autre que la Bretonne qu’il avait mariée un peu plus tôt dans le parc. Les policiers se rendent compte que tout ce qui intéressait cette fille, c’était de multiplier les conquêtes.
Tout le monde est persuadé pourtant qu’elle rest adicalisée. Ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas dangereuse. Heureusement pour elle, l’imam n’a rien dit. Imaginez Daesh au courant des agissements de cette fille ! Le samedi elle couche avec un barbu, le mardi avec un autre. En fait, on se rend compte qu’on a affaire surtout à des personnes fragiles psychologiquement, à des jeunes perdus qu’il faudrait prendre en charge.
Qu’est-ce qu’est le plus dur dans l’infiltration ?
C’est d’abord ce sentiment de trahir les gens. Et c’est normal parce qu’il y a toujours des liens qui se créent avec les autres. Mais je n’ai jamais regretté une infiltration parce que je sais que mon travail est salutaire.
Par contre, il m’est arrivé de faire des infiltrations pour d’autres personnes et j’ai été souvent déçu en voyant le résultat final, comme cette fois où le réalisateur n’avait pas cru bon de garder les séquences qui disculpaient pourtant les mis en cause.
En l’occurrence, j’avais fait une infiltration dans des écoles islamiques, persuadé comme beaucoup qu’elles ne respectaient pas le programme de l’éducation nationale. Je m’étais trompé parce que moi aussi je peux être bourré de clichés : elles le respectaient scrupuleusement.
D’autres fois, j’allais dans les salles de montage et je me rendais compte que le réalisateur confondait les protagonistes, faisant dire tout et n’importe quoi à quelqu’un qui n’avait rien à voir avec les faits incriminés. J’ai parfois vu de l’incompétence liée à l’ignorance des sujets.
Dans ce livre, vous ne parlez pas que de vos infiltrations. Il y a aussi vos difficultés pour être accepté en tant que journaliste à part entière…
Oui, je n’ai pas fait de grande école de journalisme, je ne viens pas du sérail. Donc forcément, c’est plus compliqué de « réussir », dans ce milieu où il y a moins de basanés fils de prolos qu’il peut en avoir par exemple dans la police. Je schématise un peu mais les rares basanés qui percent sont des Libanais(es) ou des Maghrébins filles et fils de bonne famille.
Ça a commencé à s’ouvrir pour moi quand j’ai commencé à travailler sur l’islam ! Très peu de personnes peuvent faire ce genre d’infiltration. J’ai cette chance d’être à l’aise dans tous les milieux. Vous savez, j’aurais pu aller bosser pour des chaînes de télé type Itélé ou CNews : c’est toujours plus facile de percer dans les médias de droite que dans les médias de gauche.
Les médias de droite tant que tu peux leur faire gagner de l’argent, ils s’en cognent d’où tu viens. Les médias de gauche, si tu restes à ta place, ça va, dès que tu commences à revendiquer, dès que tu te plains, on te dégage.
J’ai vu des jeunes journalistes blancs sortis de grande école avec zéro expérience du terrain passer devant moi, occuper des postes à responsabilité. Il a fallu faire de l’extraordinaire pour arriver à être un journaliste ordinaire !
En France, c’est compliqué. J’ai travaillé en tant que journaliste au Canada. Là-bas, je n’ai eu aucun souci. Je traitais de tous les sujets. Je me souviens avoir couvert les élections et d’avoir eu le ministre canadien de la Défense, qui venait de s’entretenir la veille avec Barack Obama, et qui dégustait dans ma cuisine des gâteaux marocains ! Je me plains de ma condition mais ce que j’ai vécu en tant que basané fils de prolétaires vaut aussi par exemple pour des filles jolies qui sont cantonnées à faire des sujets légers.
Vous évoquez aussi la mort tragique de votre oncle…
Oui. Pour expliquer que ce que j’ai vécu en tant que journaliste vient de très loin. Le racisme et les discriminations envers les arabes ont commencé il y a très longtemps dans notre pays. Mon oncle Ahmed a été tué par la police en août 1987. Au début des années 80 les flics tueurs d’arabes des Yvelines redoublaient d’enthousiasme : racket, harcèlement, maltraitances verbales, interrogatoires interminables, coups et blessures, meurtres, ils s’autorisaient tout.
Et c’est à cet instant que ma mère a décidé de déménager. On a quitté le quartier pour aller vivre dans un endroit plus calme. Laisser grandir ses fils où son frère avait été condamné à une mort brutale n’était plus une option. Avec mon père Mohamed, ils avaient économisé sur leur maigre salaire et nous avaient déplacé en territoire « Français de souche ».
Dès le primaire, on me jetait des « tu sens le mouton », je n’étais jamais invité aux fêtes d’anniversaire de mes camarades blancs. Heureusement en primaire, une petite blanche qui n’avait plus de maman avait racheté toutes les humiliations que j’avais subies en me faisant des bisous.
Il paraît que vous déménagez encore régulièrement ?
Effectivement. Pourtant, depuis le début, j’ai tout fait pour protéger mon identité et celle de ma famille. Mais un jour, en lisant les auditions des djihadistes que j’avais inflitrés, j’ai vu lors des interrogatoires, que mon nom avait été donné par la juge d’instruction, ce qui est inadmissible.
J’ai risqué ma vie pour aider ce pays et l’un des représentants de la justice française m’a trahi. Alors oui, je déménage régulièrement parce que j’ai peur. J’ai peur parce que ces jihadistes sont des détraqués.
* «Les Soldats d’Allah » d’Ali Watani aux éditions Robert Laffont