« Moi, Daniel Blake » : Palme d’or pour le pamphlet antilibéral de Ken Loach
La Palme d'or du Festival de Cannes a été attribuée dimanche au cinéaste britannique Ken Loach pour, film qui suit sur le parcours kafkaïen d'un chômeur contraint de demander l'aide sociale. Ce pamphlet antilibéral s’inscrit dans l’engagement du réalisateur multiprimé contre les politiques économiques libérales.
Le Royaume-Uni des laissés pour compte
Six fois primé à Cannes, où il avait reçu la Palme d'or en 2006 pour « Le Vent se lève », Ken Loach, 79 ans, raconte dans ce film l'histoire d'un travailleur sans histoire confronté pour la première fois au système d'aide sociale. « Ce monde dans lequel nous vivons se trouve dans une situation dangereuse », car les idées « que nous appelons néo-libérales (…) risquent de nous amener à la catastrophe », a lancé le cinéaste britannique en recevant son prix.
« Il faut dire qu’un autre monde est possible et même nécessaire », a-t-il encore déclaré, en français et en anglais, après avoir mis en garde contre le retour de l'extrême droite. « Ce sont les gens les plus vulnérables qui ont le plus souffert de la baisse des allocations (…) et on leur dit que s'ils sont pauvres, c'est de leur faute », avait-il accusé lors de la conférence de presse qui avait suivi la projection du film.
C’est à partir de témoignage de travailleurs précaires et de laissés-pour-compte, qui doivent parfois choisir entre manger et se chauffer, qu’a travaillé l’équipe du film pour écrire le scénario extrêmement réaliste. C'est de cette matière vivante qu'a surgi le personnage de Daniel Blake, menuisier de 59 ans, bon ouvrier, mais contraint d'arrêter de travailler après une crise cardiaque.
« Voilà ce que nous prépare Emmanuel Macron »
Situé à Newcastle (nord-est de l'Angleterre), ville marquée par une longue tradition de lutte ouvrière, « Moi, Daniel Blake » suit le parcours kafkaïen de Dan entre convocations à l'agence pour l'emploi, questionnaire sans fin sur sa santé, musique d'attente stupide qu'il doit écouter sans cesse avant qu'on ne lui réponde. Sans oublier les ateliers de formation au CV, obligatoires sous peine de réduction de son allocation.
Le film met en lumière les aberrations de l’administration britannique chargée d’aider les plus démunis, notamment les entreprises privées qui sont chargées d’évaluer la situation des demandeurs d’aides. Le personnage, déclaré inapte au travail par son cardiologue, mais jugé capable de retravailler par le système, se voit refuser ses prestations. Un paradoxe insoluble dont il va faire les frais jusqu’à ne plus avoir aucun moyen de survie. « Voilà ce que nous prépare Emmanuel Macron », s’est exclamé le réalisateur français Bertrand Tavernier à la sortie de la projection.
Pour Ken Loach, les agences de recherche d'emploi n'ont pas pour but « d'aider les gens, mais d'ériger des obstacles sur leur chemin ». Pire, on fixe à leurs conseillers « des objectifs chiffrés de gens à pénaliser », afin de réduire les allocations versées. Et on les forme à « gérer de potentiels suicides », s'était-il indigné devant la presse.
Rached Cherif