Bon pied, bonne ouïe : Bienvenue au Cécifoot
L’équipe de France de Cécifoot vient de remporter le troisième titre de champion d’Europe de son histoire face à la Turquie en finale, au bout du suspense et de la séance de tirs au but (2-1). Un nouveau titre pour Yvan Wouandji et sa troupe, qualifiés pour le mondial qui aura lieu en Angleterre du 18 au 27 août 2023. Il y a quelques semaines nous avions rencontré Yvan lors d’un entraînement avec son club de Saint-Mandé. Reportage.
Par un temps morose bien parisien, Yvan et Atar nous reçoivent à l’Urban Five de Bezons (Val-d’Oise), installés sur un canapé. Les deux joueurs, non-voyants, font partie de l’association sportive Cécifoot Saint-Mandé. Un sport apparu au début des années 1920 en Espagne, formalisé au Brésil en 1960, avant de débarquer en France en 1987 sous l’impulsion du président de leur club.
Devenu une discipline paralympique en 2004 aux Jeux d’Athènes, ce sport de ballon se joue à cinq contre cinq sur un terrain de 40 mètres de long sur 20 mètres de large, divisé en trois espaces. “D’abord, la zone défensive dirigée par le gardien, voyant, qui peut guider ses défenseurs, explique Atar. Ensuite, la zone médiane, où le coach a le droit de parler à ses joueurs. Enfin, la zone offensive où un guide, placé derrière les cages adverses, indique à ses attaquants où se situe le but.”
La voix permet de se diriger
Atar, jeune homme à l’humour facile, a perdu la vue en 2016. Arrivé du Pakistan où il pratiquait le cricket, il a découvert le cécifoot par le biais de son professeur de musique non-voyant, Julien Zéléla, à l’Institut national des jeunes aveugles (Inja). Pour pouvoir pratiquer ce sport, une seule obligation : être non-voyant ou malvoyant.
Afin d’être sur un pied d’égalité, chaque joueur, hormis les gardiens valides, porte un bandeau sur les yeux. La communication supplante alors le regard, et l’écoute est primordiale. Le ballon, plus lourd et contenant des grelots, permet d’être repéré. Les autres acteurs du jeu, en revanche, doivent se faire entendre.
“Quand l’adversaire vient vers moi, il doit dire ‘voy’ [‘j’arrive’, en espagnol, ndlr], enchaîne Yvan. S’il ne parle pas, nous risquons de nous percuter. Avec nos coéquipiers, en général, nous savons où sont les uns et les autres. Les barrières de chaque côté permettent de nous repérer. Je joue en attaque, donc si je reste devant, tout le monde le sait. Si je change de place, par contre, je dois les prévenir.”
A la recherche de sponsors
Le championnat de France contient onze équipes réparties en deux zones, nord et sud. Toutes les équipes s’affrontent en aller-retour et, à la fin, les premiers de chaque zone se rencontrent en demi-finale, avant la grande finale. A chaque journée de championnat, les équipes font deux matchs.
“Comme les déplacements nous reviennent cher, ça permet d’optimiser les coûts.” Entre le mini-van du club qui devient vétuste (“il nous faudrait 1 000 euros pour en prendre un nouveau”) et le matériel, pas évident de joindre les deux bouts, alors il faut chercher des sponsors.
Le partenariat avec le Five de Bezons permet aux joueurs de venir s’entraîner d’une à trois fois par semaine sur un terrain qui ressemble aux conditions de match. Tout l’inverse de celui de Saint-Mandé, qui n’a pas de barrières. “Nous devons arrêter le jeu à chaque fois que le ballon sort”, précise Atar.
En France, un seul terrain est adapté à la pratique du cécifoot : il a été inauguré en grande pompe il y a quelques mois à Précy-sur-Oise. Il servira de base d’entraînement, avant la grand-messe des Jeux paralympiques de 2024 à Paris. Une belle vitrine qui pourrait apporter énormément à ce sport méconnu.
“Ça va permettre de valoriser la pratique et de sensibiliser au handicap”, espère Yvan. Pour ce champion d’Europe, vice-champion olympique à Londres en 2012, il faut d’abord éduquer. Voilà pourquoi, régulièrement, lui et d’autres adeptes interviennent dans les entreprises, les écoles, pour mettre les gens en situation de cécité.
“Aujourd’hui, quand on entre dans un wagon de métro, une personne sur cent a été confrontée au handicap. Certains aimeraient aider, mais ne savent pas quoi faire, faute du peu de médiatisation du sujet et aussi, d’un manque de curiosité du public.”
La France possède un retard criant sur certains voisins européens, comme l’Angleterre ou l’Espagne, mais également le Brésil ou le Japon. Là-bas, des photographies d’athlètes paralympiques en grand format trônent dans les rues, au niveau des passages piétons. Dans l’Hexagone, à l’inverse, peu de personnes connaissent ne serait-ce qu’un seul nom d’athlète, à cause du manque de visibilité et d’investissements.
Message d’optimisme
Si outre-Manche, les clubs de cécifoot sont rattachés à la Fédération anglaise de football, en France, ils dépendent de la FFH, la fédération handisport. “Si la FFF [Fédération française de football, ndlr] nous soutenait, ça n’aurait rien à voir en termes de moyens financiers. En remportant la Coupe du monde en 2018, elle a gagné 42 millions d’euros. Si elle avait versé seulement 100 000 euros au cécifoot, la discipline aurait décollé”, assure Yvan.
Problème : si la FFF prend sous son aile le cécifoot, elle doit également le faire pour tous les foots handisports, ce qui semble décourager les plus motivés. En attendant que la roue tourne, le club de Saint-Mandé se débrouille : deux partenariats avec des entreprises permettent d’avoir des maillots d’entraînement, des ballons, des bandeaux et des maillots pour les matchs de championnat le samedi. De nouvelles tenues, d’ailleurs, viennent d’arriver et n’attendent plus que d’être étrennées.
Après le passage des joueurs par le vestiaire, assistés par un bénévole voyant, l’entraînement peut débuter. Sur le terrain, les “voy, voy, voy” se multiplient à chaque fois que l’un se rapproche de l’autre. On se tape dans la main et on multiplie les courses pour s’échauffer. Adossés à la barrière pour se repérer, vêtus d’un seyant maillot bleu et blanc, les joueurs prennent confiance. Une impression de maîtrise assez bluffante se dégage. Notamment chez Yvan, qui file à la vitesse de l’éclair, la balle vissée entre les pieds.
Owen, guide valide en stage au club, sert de point de repère sur le terrain. Les joueurs doivent le contourner avec le ballon pour aller chercher un partenaire situé à l’opposé. La facilité pour se trouver, se déplacer avec ou sans ballon, juste à l’oreille, impressionne.
A quelques jours d’une nouvelle journée de championnat, les coéquipiers travaillent leurs automatismes sous la baguette d’Yvan, qui imprime le tempo. Pas de temps mort, les exercices s’enchaînent dans une ambiance bruyante et studieuse.
Une fois l’entraînement terminé, Yvan nous confie ses espoirs pour la suite : continuer à prendre du plaisir et à sensibiliser au handicap, afin de faire découvrir la pratique. “Si nous, avec un handicap, on continue à aller de l’avant, il n’est pas question que les autres baissent les bras. C’est un message de promotion et de valorisation des compétences”, conclut-il plein d’optimisme.
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