Avec “Youssef Salem a du succès”, la réalisatrice Baya Kasmi réclame “un droit à la normalité pour les arabes”
Baya Kasmi écrit plutôt des scénarios (Le nom des gens, 2011, La lutte des classes, 2019), mais il lui arrive aussi de réaliser des films. Après « Je suis à vous tout de suite« , en 2015, son deuxième long métrage « Youssef Salem a du succès » sort ce mercredi dans les salles.
On y retrouve un Ramzy Bédia impressionnant où il joue le rôle d’un écrivain qui remporte à sa plus grande surprise le Prix Goncourt avec Choc toxique, un roman quasi autobiographique sur sa famille (le trait est forcé), bien loin du puritanisme de ses précédents écrits. Un énorme succès qui devient alors un fardeau pour lui et qui va l’obliger à tout faire pour que ses parents ne lisent jamais son livre !
Avec Youssef Salem a du succès, Baya Kasmi nous invite à réfléchir aux rapports difficiles qui peuvent exister au sein d’une famille quand un des leurs atteint une certaine notoriété. Et surtout, quand ce dernier décide de mêler la fiction à la réalité…
LCDL : On connaissait Ramzy Bédia drôle, on le découvre émouvant, et très profond dans votre film. Le choix de cet acteur vous a-t-il semblé évident ?
Baya Kasmi : Je connais Ramzy depuis quelques années. Dans mon premier film, il jouait le rôle du père. Le tournage s’était très bien passé. J’avais aimé les différentes facettes de son jeu. J’ai toujours voulu renouveler l’expérience avec lui. J’ai écrit ce film pour lui.
Ramzy a cette capacité à créer de l’émotion. Malheureusement, il est souvent utilisé par les autres réalisateurs essentiellement dans le registre de la comédie. Ramzy, plus il vieillit, plus je trouve son jeu intense.
Son rôle peut paraître « un peu casse-gueule », surtout en ces périodes de crises identitaires aiguës. Cela a-t-il été difficile de le convaincre ?
Il m’a dit oui avant que j’écrive le scénario ! Après mon premier film, j’avais écrit une dizaine de pages que je lui ai fait lire. Ça lui a tout de suite plu. Comme j’ai mis beaucoup de temps à trouver des producteurs, je suis revenue vers lui sept années plus tard.
C’est vrai que ce n’est pas évident de faire des films sur ce genre de sujets. D’un côté, on a les racistes qui ne supportent pas que nos histoires soient portées à l’écran et de l’autre les extrémistes « de chez nous » qui voudraient qu’on aborde jamais ces questions « sensibles »…
Mais je me suis dit qu’il fallait écrire cette histoire-là, dans la France d’aujourd’hui, avec un écrivain d’origine algérienne. Ce film aborde des questions brûlantes et invisibles : est-ce qu’en France l’arabe a droit, comme les autres, au romanesque ? Est-ce qu’il a le droit à la tragédie, à une dimension mythique ou universelle, en dehors de son appartenance sociale et religieuse ?
Effectivement, le film semble critiquer celles et ceux qui voudraient enfermer les « arabes » dans une seule catégorie…
Il n’y a pas de groupe homogène chez les arabes. Il y a des individus qui ont un rapport unique à leur identité, fruit de leur parcours. On a l’impression aujourd’hui qu’on ne peut pas exister individuellement et qu’on est sans cesse renvoyé à notre « arabité ».
Certaines personnes se permettent de délivrer un thermomètre de l’arabité. Elles décident de qui est arabe et qui ne l’est pas. Dans le film, il y a des personnes issues de l’immigration qui reprochent à Youssef Salem de renier ses origines et que ce qu’il dit dans son livre va donner une mauvaise image d’eux. Comme le dit Youssef Salem dans le film, quand un arabe boit de l’alcool, il perd des points, quand il ne croit pas en Dieu aussi… Je réclame pour les arabes un droit à la normalité !
N’avez-vous pas peur de heurter ou de choquer les gens avec votre film ?
Premièrement, je ne pense pas aux coups que je vais prendre, sinon je n’écrirais pas. Pour répondre à votre question : je ne pense pas que je vais heurter les gens avec ce film. Nous avons fait des dizaines d’avant-premières. Et cela s’est toujours bien passé. Dans certaines salles, il y avait des mamans voilées. Elles me disaient qu’elles étaient un peu choquées mais qu’elles aimaient bien. La plupart des gens sont intelligents.
Certes, mon film aborde des sujets tabous, comme la sexualité dans les familles arabes et aussi l’homosexualité, mais il n’y a pas de scènes « choquantes ». Ce film est d’abord un film de famille, accessible à tous, peu importe l’origine ou la classe sociale du spectateur.
D’ailleurs, lors des projections, des personnes qui ne sont pas issues de l’immigration m’ont dit que ça se passait aussi comme ça dans leurs familles. Parce que l’histoire que je raconte dans ce film est universelle. Il parle aussi de la peur qu’éprouvent les enfants à décevoir leurs parents, de ne pas être à la hauteur de leur espoir.
Vous avez choisi la comédie pour aborder ces thèmes sensibles …
La comédie, c’est la meilleure façon de parler de sujets qui créent des tensions au sein des familles ou dans la société. Quand on parle de choses qui expriment la honte, ou qui sont difficiles à assumer, le comique permet d’enlever le sérieux. C’est une façon de dédramatiser.
Il y a vingt ans, j’aurais été encore plus provoc’. A l’époque, j’avais envie de plus de liberté, j’avais besoin de colère pour libérer la honte. Aujourd’hui, je n’ai pas envie d’attirer du monde dans une salle avec du « négatif ». Je pense que ce film est à bonne distance pour qu’il soit visible de tous.
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