Aurélien Taché : « E. Macron a abimé la culture démocratique »

 Aurélien Taché : « E. Macron a abimé la culture démocratique »

crédit photo : Handout / Assemblée Nationale / AFP

Passé par le PS, l’ancien député La République En Marche du Val d’Oise a claqué la porte de la majorité présidentielle en 2020. Réélu sous l’étiquette NUPES en 2022, il est particulièrement remonté contre le gouvernement qui, selon lui, combat des principes démocratiques et n’est pas au rendez-vous sur la politique internationale.

Lors de la précédente législature (2017-2022), vous incarniez l’aile gauche de la Macronie. Avez-vous l’impression que la social-démocratie n’est plus une option politique ?

Aurélien Taché : Cette ligne politique incarnée par François Hollande et qui a produit Emmanuel Macron est dépassée, voire enterrée. La France a été vue comme une entreprise. Les socio-démocrates ont laissé tomber les principes démocratiques, les droits de l’homme ou les grands concepts humanistes comme l’a fait Manuel Valls avec la déchéance de nationalité. Sur le plan économique et social, ils se sont compromis avec les élites comme pour le CICE sans contrepartie. Cela n’a eu aucun effet économique, a coûté cher à la France et n’a pas permis d’investir dans les services publics qui en avaient besoin.

La France traverse une crise de leadership politique. Quelle est la pire erreur d’Emmanuel Macron durant ses mandats ?

Aurélien Taché : Emmanuel Macron a abimé la culture démocratique en France. Les oppositions ont été bâillonnées. Toutes les procédures parlementaires visant à faire taire tout débat ont été utilisées. Les minorités ont été invisibilisées et réprimées. L’égalité des chances a été vite oubliée avec des discours comme ceux de Jean-Michel Blanquer, qui n’avaient rien à envier au Rassemblement National. La loi sur le séparatisme a visé les musulmans plus que les terroristes. Le droit de manifester n’est plus garanti, avec cette peur d’y aller par crainte de tirs de LBD. Pour ma part, j’ai pris mes distances avec la Macronie lors de la loi « anti-casseurs ». Cette loi aurait permis au pouvoir politique de choisir qui va ou non manifester.

Quelles sont les solutions pour sortir de cette apathie ?

Aurélien Taché : Il faut plus de parlementarisme, de décentralisation et de la proportionnelle. Il faut aussi donner sa place à la « vraie » société civile (ONG, associations, syndicats) et trouver une nouvelle manière de gouverner plus collective. Il nous faut un système où tout le monde est représenté et non pas un monarque tout puissant. Arrêtons avec l’homme ou la femme providentielle ! Tout cela est terminé.

Pourquoi avez-vous porté une proposition de loi sur la menace terroriste d’extrême droite avant de la retirer ?

Aurélien Taché : J’ai proposé cette loi après avoir rencontré de nombreux experts du renseignement. Ils m’ont indiqué qu’il s’agit de la principale menace pour la France après la menace jihadiste. Sur 10 attentats liés à la radicalisation politique ces dernières années en France, 7 sont liés à l’ultra-droite, 2 à la mouvance complotiste et une à l’ultragauche. A l’extrême droite, on a des gens organisés avec des armes et des objectifs de destructions de vies humaines dans les mosquées, dans les plannings familiaux ou contre les travailleurs ou élus qui aident les migrants. Quand je l’ai proposé en commission, les macronistes ont plombé ma loi d’amendements contre l’ultra gauche et les écologistes. Ils ont dénaturé son sens. On ne peut mettre sur le même plan la menace terroriste suprématiste et l’activisme de l’ultragauche.

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Est-ce que les musulmans doivent avoir peur de cette menace terroriste suprématiste ?

 Aurélien Taché : Cette menace est réelle. Premiers visés, les musulmans sont la cible de discours d’un espace toujours plus large de l’échiquier politique. Avant, cela était cantonné au Front National. Le trait d’union entre Islam et islamisme a été fait par des membres de la droite républicaine ou même de gauche comme Manuel Valls. Ces discours stigmatisent davantage les musulmans. Nous avons eu des traumatismes dans notre pays liés aux attentats. Il fallait apaiser, retisser le lien et apporter une concorde nationale. L’Islam doit être accepté comme le sont les autres religions.

On vous conteste souvent quand vous parlez de laïcité ou d’Islam. N’avez-vous pas l’impression d’être un Don Quichotte dans le paysage politique ?

Aurélien Taché : Un peu des fois (rires). Je mène ce combat avec beaucoup de force car j’ai vu les dégâts que ces discours peuvent faire auprès de la jeunesse et de pans entiers de la société française. Les musulmans français aiment ce pays et ne comprennent pas pourquoi tout à coup, on s’en prend à eux. Ce sont les premiers à condamner les fous de Dieu. Ils font vivre la France par l’engagement social, associatif ou par le travail. Je ne lâcherai jamais sur ces questions. Même si je ne suis pas de la France Insoumise, je serais toujours gré à Jean-Luc Mélenchon d’avoir fait le pari que les habitants des quartiers populaires sont des citoyens à part entière. J’ai souvent entendu dans les sections du PS ou En Marche qu’on se fichait de ces gens-là car ils ne votaient pas.

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Il y a 10 ans, vous avez assisté aux funérailles de Chokri Belaid en Tunisie. En tant que membre de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée Nationale, comment voyez vous la situation de ce pays actuellement ?

Aurélien Taché : Je suis blessé par ce qu’il se passe en ce moment pour mes amis tunisiens. Il y a 10 ans, j’étais un jeune militant socialiste très engagée qui a rencontré ces jeunes lors des printemps arabes. L’ancienne génération de droite (Alliot Marie) comme de gauche (Cambadélis), celle du mur de Berlin n’a rien compris à ces vents de liberté. Un fossé générationnel a persisté. Actuellement, j’observe la dérive autoritaire de ce président qui rabat les avancées démocratiques et va jusqu’à prôner les théories du grand remplacement pour la Tunisie. Je suis meurtri par ce qu’il se passe.

Les relations entre la France et le Maroc sont exécrables en ce moment. Comment peut-on les améliorer ? Comprenez vous les positions marocaines ?

Aurélien Taché : Je regrette profondément l’état des relations entre les deux pays. Emmannuel Macron confond beaucoup de choses ce qui en dit long sur ses échecs en matière de politique internationale. Le nécessaire travail de mémoire avec l’Algérie ne doit pas se faire au prix d’une détérioration des relations avec le Maroc. J’ai l’impression que sur certains dossiers importants comme le Sahara, la France est très en recul. Macron, pour sa propre postérité, ne veut pas se fâcher avec l’Etat algérien. Aujourd’hui, la réalité qui semble la plus partagée est l’autonomie pour le Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine. Etre capable de dire ça, ce n’est pas insulter l’Algérie. Il s’agit juste de sujets radicalement différents. Ce que fait Emmanuel Macron est grave. On ne peut pas les jouer pour la trace qu’il souhaite laisser dans l’Histoire. La relation franco-marocaine est aussi importante que la relation franco-algérienne.

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La France doit-elle changer de logiciel avec le Maghreb et l’Afrique en général ?

Aurélien Taché : Complètement ! Je vois ce qui se passe en Afrique avec ce rejet de la France. J’en comprends les raisons profondes. Comment voulez vous que nos amis africains soutiennent ce que nous faisons pour l’Ukraine ? Les réfugiés ukrainiens ont été accueillis dans des temps records et avec de bonnes conditions d’accueil alors que ceux d’Afrique ou d’autres régions le sont beaucoup moins. On a aussi des conflits en Afrique depuis des décennies qui font autant de morts qu’en Ukraine, sans que cela n’intéresse personne. En dehors de Chirac sur l’Irak, on a longtemps laissé l’impérialisme américain faire des dégâts terribles au Moyen-Orient. Nous sommes intervenus nous-même en Libye, et cela a complètement déstabilisé toute la région et le Sahel. Aujourd’hui, nous sommes les pompiers pyromanes de ce qu’il se passe sur place.

Est-ce uniquement la faute du Quai d’Orsay ?

Aurélien Taché : Malheureusement, nous avons une diplomatie qu’il faudrait dépoussiérer. Quand je discute avec mes amis sénégalais, ils me disent qu’une ambassadrice suédoise va voir le peuple ou les matchs de foot. Elle crée un lien avec eux. Celui de France est dans sa tour d’ivoire. Nous devons repenser certaines de nos méthodes diplomatiques d’un autre temps. La propagande russe en Afrique est aussi très forte. Nous Français, sommes complètement à la traine sur ces sujets. Nous ne sommes pas capables d’expliquer ce que l’on fait. Il était utile d’aller au Mali mais nous aurions dû être capable de nous retirer très vite. On a tiré des conclusions un peu trop rapides sur les groupes qui se sont retrouvés à se battre avec les terroristes pour des raisons économiques, sociales, locales, sans l’intention de faire partie d’une organisation islamiste internationale. Les adversaires savent l’utiliser contre nous.

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La France tourne t’elle le dos à son pré-carré africain francophone ?

Aurélien Taché : J’ai demandé à pouvoir mener une mission d’information sur l’avenir de la francophonie. Nous partageons une langue, une histoire et aussi un avenir commun. Il va falloir changer énormément de choses avec beaucoup d’humilité, fermer des casernes, arrêter de traiter les gens selon leurs origines,… Les pays africains doivent être pris au sérieux. Nos adversaires ne sont pas exemptes de reproches mais nous devons remettre les choses à plat. Je fais partie d’une génération d’élus très engagés sur ces questions.

L’histoire des visas n’a t’elle pas détaché la France des élites francophones de ces pays ?

Aurélien Taché : Cette politisation et prise en otage des visas pour une question de politique intérieure est incompréhensible. Comment voulez vous expliquer à des gens qui ont des liens forts avec notre pays que nous ne pouvons rien faire pour leurs enfants ? La politique africaine de la France, même si je n’aime pas cette expression, est d’abord un sujet de politique intérieure française. Les diasporas sont très attachées à la France et à leur ville mais aussi à leur pays d’origine. Ils font vivre des échanges, des coopérations entre les deux et on ne les aide pas. Il faut rompre avec la vision paternaliste. Les discours discriminants pour les descendants d’immigrés en France ont des conséquences fondamentales sur le plan international et géopolitique.

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Vous avez remis un rapport en 2018 sur la « refonte » de la politique d’accueil et d’accompagnement en France. Le gouvernement veut établir une nouvelle loi sur le sujet. L’immigration n’est il pas le chiffon rouge que l’on agite quand la situation sociale ou économique va mal ?

Aurélien Taché : Nous n’avons pas besoin de nouvelle loi sur l’immigration. Nous devons régulariser ceux qui ont construit leurs vies en France. Ma rupture avec Emmanuel Macron est née le jour où, devant un parterre d’élus dont je faisais partie, il a déclaré que « l’immigration n’était pas un problème pour les riches et que seuls les pauvres la subissaient.» Nous sommes face à des gens déconnectés qui ne savent pas de quoi ils parlent.

La majorité présidentielle a porté un texte pour des sanctions contre les squatters et favorisant les mécanismes d’expulsions locatives en cas d’impayés. En quoi cette loi est dangereuse selon vous ?

Aurélien Taché : J’ai travaillé pour deux ministres du logement. Cette loi vient rompre avec 30 ou 40 ans de politique sociale du logement. On a une loi qui vient mettre sur le même plan, quelqu’un qui agresse dans la rue et une femme et ses enfants qui va essayer de vivre dans un garage. Tout type de bâtiment est concerné. Jamais en France, nous n’avons vu cela. On criminalise la pauvreté. Ce gouvernement perd tout sens de l’humanisme élémentaire. L’Abbé Pierre doit se retourner dans sa tombe !

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Pourquoi n’arrive t’on pas à améliorer la situation du logement social ?

Aurélien Taché : En tant qu’écologiste, je défends la garantie universelle des loyers. Ainsi, le propriétaire sait qu’en cas d’impayé, l’Etat ou un système social va prendre la relève. Ils pourront ainsi louer à des personnes qui ne sont pas en CDI. L’Etat doit aussi se reconcentrer sur l’investissement des logements sociaux. Les villes ne peuvent pas tout faire. Enfin, la rénovation de logements est importante. On a laissé des milliers de logements à l’abandon. Il est indécent de laisser les gens dans ces situations.

Vous avez un parcours particulier dans votre scolarité puisque vous êtes passé par un apprentissage en plomberie avant de passer en droit. Auriez-vous pu mener un tel parcours avec Parcoursup ?

Aurélien Taché : Je crains fort que non. Les voies un peu différentes pour pouvoir changer de vie ont plutôt tendance à se réduire qu’à se multiplier. Je déplore très fortement que Parcoursup s’en soit pris à des parcours très singuliers comme le mien.