Attaque de Djerba : une conférence de presse avare en infos
Pour son baptême du feu médiatique, le moins que l’on puisse dire est que le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, n’a pas convaincu le parterre bien garni de la presse nationale et étrangère venue s’enquérir de nouvelles informations autour de l’attaque meurtrière de Djerba survenue le 9 mai.
Dans un contexte de rareté de l’info, 72 heures après l’attaque, mais aussi du report de la conférence de presse qui était censée avoir lieu la veille, le ministre a laissé sur leur faim les journalistes indignés de ne pas pouvoir poser de questions. Notre frustration est légitime : à quoi bon en effet tenir une conférence pour débiter un bref monologue d’une dizaine de minutes, de surcroît sans réels nouveaux éléments ?
En poste depuis le 17 mars dernier, le débonnaire ministre est pourtant bien plus à l’aise que son prédécesseur face aux caméras. Avant d’être nommé à ce poste, en tant que gouverneur de Tunis l’homme était plutôt apprécié des médias qu’il recevait non sans franc-parler. Une aisance que ce militant syndicaliste de longue date doit aussi sans doute à sa proximité humaine et idéologique avec le président Kais Saïed.
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Mais l’exercice médiatique du jeudi soir était autrement plus délicat. Si Kamel Feki a prétexté l’existence d’une enquête judiciaire en cours pour ne répondre à aucune question des journalistes, la plupart de ces derniers ont compris que l’actuel régime laisse peu de marge de manœuvre y compris à ses ministres.
L’art de ne pas informer
Car passées les condoléances et autres formules d’usage, qu’a-t-on au final appris ? Le ministre s’est épanché en détails à propos des données personnelles des victimes, 3 agents des forces armées et 2 pèlerins. Si Aviel Haddad a été pour sa part inhumé ce matin en Israël, pas question d’évoquer cette nationalité taboue : pour les autorités, le trentenaire est avant tout tunisien. Même omerta gênée concernant la deuxième victime simplement française.
Le ministre s’est ensuite longuement attelé à la description minutieuse mais archaïque, sans images ni vidéos issues des caméras de surveillance, de l’opération terroriste elle-même. On apprenait ainsi que le tueur, Wissem Khazri, n’aurait pas égorgé mais tiré une balle dans la nuque de son collègue, qu’il se serait ensuite réfugié dans une école à quelques encablures de la synagogue, et que son quad a traversé une arcade de l’établissement, parmi d’autres détails en réalité insignifiants. On apprend aussi la durée étonnamment courte, « 112 secondes » s’enorgueillit le ministre, qu’a mis l’assaillant pour toucher par balle plus d’une quinzaine de personnes, patrouilles et passants compris, avant d’être abattu. Mais ce sera tout !
Pas un mot sur le background du policier tueur, ses éventuelles affiliations terroristes ou djihadistes, les motifs antisémites ou islamistes ou même les mobiles personnels de son acte. « Reconnaissez que cela révèle un échec cuisant du ministère dans la détection en amont de cet élément ! », jette un journaliste au ministre avant que ce dernier ne quitte les lieux sans daigner répondre.
Face à cette opacité, nos confrères du site Inkyfada ont usé de leurs propres moyens et entrepris de reconstituer l’itinéraire de l’assaillant minute par minute consultable ici.