Atlantide 2021 – Fatima Daas : « Mon lien à l’Algérie, c’est très physique !»

 Atlantide 2021 – Fatima Daas : « Mon lien à l’Algérie, c’est très physique !»

Atlantide 2021 – Entretien avec Fatima Daas, autrice de « La petite dernière » (Notabilia, 2020). Crédit photo : Michael Meniane

Dans le cadre du festival littéraire Atlantide qui a eu lieu à Nantes, du 17 au 20 juin, nous avons interrogé Fatima Daas autour de la question de l’identité et du rôle de l’écriture dans sa construction.

Dans son premier roman « La petite dernière » (Notabilia, 2020), Fatima Daas aborde la quête d’identité de la cadette de la famille qui peine à trouver sa place, ballottée entre la France et l’Algérie. Un personnage principal qui a plusieurs points communs avec l’autrice qui avoue avoir longtemps eu un rapport très conflictuel avec l’Algérie.

 

LCDL : A quel point le personnage principal du roman vous ressemble-t-il ?

Fatima Daas : Je dirais que je suis partie d’une base autobiographique. Dans le sens où je suis partie d’émotions.  L’incompréhension, l’injustice, le sentiment d’être seule, le fait de chercher sa place. Tout ça ce sont des trucs qui m’ont travaillé pendant très longtemps, dès l’enfance, à l’âge adulte, même encore aujourd’hui.

Ensuite pour moi, c’était très important de ne pas écrire un roman autobiographique. Je n’ai pas écrit un journal intime. Je tiens à le dire parce que tout a été transformé. Il n’y a pas un personnage qui soit clairement une personne dans la vie réelle. Et la Fatima du roman, ce n’est pas moi.

Je me reconnais dans certains passages dans le sens où j’ai l’impression que j’ai traversé certaines émotions mais je n’ai pas essayé de dire la vérité. Mais on parle quand même d’un truc qui ne vient pas de nulle part. Tout est un peu moi mais tout n’est pas moi.

LCDL : Comment définiriez-vous votre rapport à l’Algérie ?

Fatima Daas : Avec l’Algérie, il y a ce rapport à la langue qui est très conflictuel, que j’ai l’impression de ne pas maîtriser. Donc un peu comme ce personnage, quand tu vas en Algérie, on te renvoie à la France parce que tu vis là-bas. T’as aussi ce rapport-là dans le bouquin qui est la relation de méfiance envers la France, les Français… Parce que tes parents sont venus en France et ont subi le racisme. Et Faïza Guène en parle très bien dans La Discrétion. Ce truc de « Ok, nous on n’en parle pas, on reste discret », mais nous, notre génération, on ne peut plus supporter ce truc-là.

Ensuite, il y a la découverte du pays, qui va avec cette réconciliation avec ce sentiment de honte. Quand tu rencontres cette famille, ton pays, parce que tu as très vite ce sentiment de fierté. Tu le sens, tu te reconnectes. C’est inexplicable, c’est comme la foi. Mon lien à l’Algérie, j’ai l’impression que je ne peux pas l’expliquer parce que c’est très physique.

LCDL : Quel est votre rapport à la langue arabe ?

Fatima Daas : Souvent dans les tables rondes, je reviens au personnage parce que j’ai toujours peur qu’on m’attaque moi. Mais il n’est pas si éloigné de moi que ça. J’ai baigné dans une famille où je parlais en français, où mes parents parlaient arabe. Où souvent mon père voulait qu’on parle arabe mais il s’y prenait très mal. Donc t’as tout de suite un rejet de la langue.

De l’autre côté t’as l’école. J’étais dans une école primaire à côté d’une zone pavillonnaire. Donc tous les gens de quartier étaient ailleurs, moi j’étais avec les gens en pavillon. C’est pour ça que je parlais de la honte de parler une autre langue. Tu grandis en te disant que tu n’as pas envie de dire que tu parles l’arabe ou que mes parents le parlent. Parce que sinon j’avais l’impression qu’on allait me dire que je ne parlais pas suffisamment bien le français.

Donc j’ai un truc par rapport à la langue française. Le fait de bien la parler m’est beaucoup resté. Et en même temps, maintenant je m’en moque si je fais des fautes.

LCDL : Aller en Algérie a-t-il débloqué quelque chose au niveau de l’écriture ?

Fatima Daas : J’ai commencé à écrire suite à un événement qui m’a un peu traumatisée pendant l’adolescence. Une cousine qui avait quatre ans et qui est morte. Et je ne comprenais pas comment on pouvait mourir à quatre ans. Et quand je suis allée là-bas, c’était comme si j’arrivais à comprendre des choses que je ne comprenais pas avant.

Et, en allant là-bas, ça m’a rendu plus forte. Dans le fait de savoir ce que j’avais envie de faire, ce que j’avais envie d’écrire, d’où je parle aussi. C’est sûr que ça m’a transformée. Et ça m’a fait me reconnecter à mes origines. Et surtout à en faire une fierté. Ça m’a fait tout requestionner.

LCDL : Comment cet apaisement a agi sur votre façon d’écrire ?

Fatima Daas : En allant en Algérie, j’ai eu l’impression de retourner quelque part. Alors que mes parents retournaient, toute ma famille retournait. Moi, je suis la seule à être née en France et je n’avais pas vu, encore. Tous les passages sur l’Algérie, jamais je n’aurais pu juste les imaginer. Donc dans ce sens-là, il y a une question de légitimité.

Mais j’écris au plus proche du réel. Ce roman, je l’ai écrit longtemps après avoir été en Algérie. Quand j’étais là-bas je n’écrivais pas sur l’Algérie. Pour « La petite dernière », c’est la première fois que j’écrivais sur tout ça. C’était la première fois que j’écrivais sur mon rapport à l’Islam, sur le fait que je sois lesbienne, que je parlais de l’Algérie…

Pour moi, c’était comme une découverte de soi. Avec ce roman j’ai pu parler de tout ce que j’avais fait taire. Aujourd’hui, je n’ai pas honte de dire que j’ai eu honte. Il y a ce truc-là de ne jamais pouvoir dire que t’as eu une homophobie intériorisée, que t’avais honte de parler ta langue, d’être musulmane, de tes parents… Et j’ai l’impression que cette prise de conscience est venue tard.

LCDL : Concernant la difficulté de concilier deux cultures, vous parlez de mouvement. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Fatima Daas : Je pense que j’ai déjà utilisé ce terme-là « le cul entre deux chaises ». Mais pour moi, le mouvement c’est un peu différent dans le sens où ça peut être accepté. Alors qu’avec le cul entre deux chaises t’as l’impression d’être complètement bloqué. Alors que le mouvement, c’est à la fois un choix et pas un choix. C’est aussi une façon de dire que vous n’arriverez pas à me mettre dans une case. Et ça me va très bien.

Dans le roman, il y a ce questionnement sur ces étiquettes qu’on nous colle. Algérienne, Française, musulmane… Et du coup, comment je me réapproprie ces étiquettes ? Comment je les questionne ? Comment je fais pour les concilier et, pour moi, c’est ça le mouvement. La fluidité c’est le mouvement, ça permet ce truc de va et vient. De départ, de retour. Et de ne pas être figé.

Ce matin on m’a demandé comment je me voyais dans deux ans. Je lui ai dit que je suis incapable de me voir dans deux ans. Tout ce que je peux dire c’est que je serai en mouvement mais je ne peux pas te dire comment.

>> Lire aussi : 

Atlantide 2021 – Asya Djoulaït : « Je ressentais de la colère »

Atlantide 2021 – Faïza Guène : « Résister, c’est dans l’épiderme ! »