Atlantide 2021 – Faïza Guène : « Résister, c’est dans l’épiderme ! »
Dans le cadre du festival littéraire Atlantide qui a eu lieu à Nantes, du 17 au 20 juin, nous avons interrogé Faïza Guène sur la question de l’identité et du rôle de l’écriture dans sa construction.
Dans son roman « La Discrétion » (Plon, 2020), Faïza Guène dépeint toute la vie d’une mère de famille née en Algérie et ayant immigré en France. Un roman qui permet à l’autrice d’aborder des thèmes dont la résistance, la transmission de celle-ci, la colère et comment l’apaiser. Entretien.
LCDL : Pourquoi avoir choisi cette citation de James Baldwin pour commencer le roman ?
Faïza Guène : C’est un résumé de ce que j’ai envie de raconter dans le roman. C’est un livre que j’ai découvert tardivement, « La prochaine fois le feu » je l’ai lu en 2017 ou 2018. Et je me rappelle à quel point ça m’a fait un choc. Dans cette phrase, il parle de charité miraculeuse. Ça reflète cette question qui te traverse tout le long de ta vie : mais comment ils ont fait pour ne pas nous transmettre de « seum » ? Par rapport à la vie qu’ils ont menée, par rapport à tout ce qu’ils ont traversé. C’est une question qui m’a interrogée étant plus jeune. Et cette phrase répondait à ma question tout à coup. Donc pour ça que j’ai choisi de la mettre en exergue.
Ce qui était fou, c’est que quand j’ai décidé de lui donner une place dans l’écriture, il n’y avait pas encore eu cette tragédie qu’était l’assassinat de George Floyd. Et le pied sur la nuque [expression contenu dans la citation de James Baldwin, ndlr], quand c’est arrivé, je me suis dit qu’il y avait un truc un petit peu prophétique dans ce choix-là et ça lui a donné plus de sens.
LCDL : Vous aviez écrit avant la mort de George Floyd et qu’est-ce qui vous a incité à laisser cette citation malgré tout ?
Faïza Guène : En fait, tout converge. La phrase, je l’ai choisie avant, et quand c’est arrivé, je me suis dit que c’était trop, important de raconter ce qu’il s’est passé avant cet épisode (George Floyd). Avant d’arriver à un drame et une tragédie, il faut revenir au tout début. En ce qui concerne mon roman, c’est la naissance de la mère, dans quel contexte elle advient. Et partir d’une existence entière pour comprendre les impacts que ça a sur notre génération, sur nos vies.
LCDL : Le roman aborde également le rapport des parents à la réussite de leurs enfants. D’où vient cette pression et comment est-elle vécue ?
Faïza Guène : Il y a deux choses. Il y a toujours la part intime, c’est-à-dire individuelle. Dans l’histoire de la mère, quand elle a 12-13 ans, le contexte c’est la guerre d’Algérie, c’est un premier exil vers le Maroc pendant que le père est au front dans l’Armée de libération nationale.
Donc elle est arrachée à l’école parce qu’il faut s’occuper des frères et sœurs. Et c’est resté comme une blessure tout le long de sa vie. Ça définit le rapport qu’elle a à la réussite, par rapport à ses enfants.
Après c’est aussi le poids de l’exil. Il ne faut absolument pas que les sacrifices soient vains. Ça raconte la détermination avec laquelle on éduque les enfants. Avec tout le trouble que ça peut créer quand tu éduques des enfants dans un pays dont tu ne connais ni la langue, ni les codes. C’est un impératif, ils doivent réussir. Donc quand t’as une mauvaise note, ce n’est pas juste une mauvaise note. En fait, tu as trahi tes parents. J’ai ressenti ça toute ma vie. En plus, dans mon cas, mes parents m’ont eu tard.
Mon père fait partie de la première génération. Il est arrivé en France avant la guerre d’Algérie. Il était mineur, dans les mines de charbon de la Loire. Ils étaient déjà vieux et finalement, leur seule raison de rester là, c’était moi. Je ne peux pas les décevoir. Ça a été une énorme pression pour moi.
LCDL : Le roman parle également beaucoup de résistance et de sa transmission. Comment l’expliquer ?
Faïza Guène : Pour les Algériens, souvent on rigole, ils sont tout le temps avec leur drapeau. Il y a quelque chose d’un peu exacerbé, de fierté, dans le caractère… Eh bien ça ne vient pas de nulle part, quand tu comprends un peu l’histoire de ce pays, de ce peuple. Ça se transmet d’une manière ou d’une autre. Même si nos parents ne nous disent pas « il faut se dresser ». Et même, au contraire, ils nous disent de faire profil bas. Mais en fait, il y a quelque chose qui nous dépasse.
Dans ma famille, il y a des gens qui sont morts en martyrs pendant la guerre d’Algérie. Mon grand-père et mon père étaient impliqués dans le Front de libération nationale. Donc c’est très ancré chez nous.
Le principe de résister, c’est dans l’épiderme. On résiste comme on peut, avec la complexité d’être né sur le territoire du pays qui était considéré comme le pays ennemi pour tes ancêtres. Donc ce rapport de schizophrénie est toujours un peu compliqué. Mais en tout cas, ça reste.
LCDL : Est-ce que le fait d’écrire découle d’un certain apaisement chez vous ?
Faïza Guène : J’ai l’impression que c’est la quête d’apaisement, c’est le chemin qui a un lien avec le fait que j’écrive. Je me suis posé cette question plusieurs fois. Pour moi, c’est une sorte de moyen pour traduire ma colère. De la canaliser, de la mettre quelque part.
Il y a des gens qui n’ont pas forcément d’outils pour l’exprimer. Je me sens privilégiée parce que le fait d’écrire ce récit, par exemple, ça pose quelque chose qui m’aide à être en paix. Si j’attendais de trouver la paix, je n’aurais toujours pas écrit.
L’apaisement c’est la quête d’une vie, entre ton histoire, celle que tu portes, qui tu es et ce que tu vas transmettre après à tes enfants. C’est un long chemin.
Pour moi, l’écriture c’est comme un moyen de trouver cette harmonie. Dans le roman, je parle de réparer l’offense. C’est symbolique mais ça compte aussi.
LCDL : Comment apaiser cette colère ?
Faïza Guène : La colère ne peut s’apaiser que s’il y a de la reconnaissance pour la génération de nos parents. La reconnaissance des dommages collatéraux de cet exil, de cette histoire de la colonisation. Il faut que ce soit reconnu de manière plus officielle.
Par exemple, j’ai parlé du massacre du 17 octobre 1961 dans un film quand j’avais 17 ans. J’ai appris en faisant ce travail que mon père était dans la manif. Pour moi, c’est un crime d’Etat qui n’a jamais été reconnu officiellement.
D’éteindre le feu, ça passe par là. Dire que ça a existé. Les douleurs liées à vos histoires ne sont pas inventées. Entendre nos discours pas comme des discours extérieurs.
Dans Allah Superstar, l’auteur Y.B parlait de « l’intranger », l’étranger de l’intérieur. Ça m’avait frappée parce que ça disait exactement la position qu’on peut avoir, c’est un paradoxe.
Donc pour moi, ça passe par reconnaître nos histoires, nos existences. Et soit nous accepter comme des citoyens à part entière, soit laisser faire nos communautés. C’est délicat mais c’est la réalité.
En tout cas, c’est comme ça que je le ressens maintenant. Ça veut dire que, quand on fait des réunions non-mixtes, il faut arrêter de crier au scandale. Quand on fait une manifestation pour protester contre l’islamophobie, il faut arrêter d’y voir une armée de fichés S qui vont brûler la France.
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