Arrestation de Nabil Karoui : quelles conséquences politiques ?
Le Pôle judiciaire économique et financier a émis un mandat de dépôt contre Nabil Karoui, président du parti Qalb Tounes, a annoncé le porte-parole du Tribunal de première instance de Tunis, Mohsen Dali. Est-ce le début d’une offensive anti-corruption tous azimuts en matière de politique judiciaire du parquet ?
Initialement, cet ancien candidat à l’élection présidentielle avait été convoqué jeudi par le juge d’instruction du pôle pour être entendu dans l’affaire de suspicion d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Pour rappel, la Cour de cassation avait ordonné le 9 octobre 2019 la libération de Karoui, placé en détention le 23 aout de la même année, en pleine campagne électorale.
La juridiction avait alors déclaré la requête déposée par le collectif de défense de Nabil Karoui recevable sur le fond et la forme. Aujourd’hui, la plus haute juridiction annule, de ce fait, la décision de la chambre d’accusation.
Soupçons de corruption : le parquet multiplie les jurisprudences
La défense avait indiqué que la Cour de cassation a ordonné la libération immédiate de Nabil Karoui ainsi que l’annulation de la décision de la chambre d’accusation de la Cour d’appel laquelle avait, le 1er octobre, refusé la remise en liberté de leur client et considéré la procédure nulle et non avenue.
En pointe contre le businessman et icône du charity business, l’organisation I-Watch avait déposé une plainte le 2 septembre 2016 près le Pôle judiciaire, économique et financier contre les deux frères Karoui pour suspicion de blanchiment d’argent par l’intermédiaire des sociétés détenues notamment au Maghreb et au Luxembourg par le magnat des médias, fondateur de Nessma TV, réputé proche de la galaxie Berlusconi.
Le procureur de la République près le Pôle judiciaire avait ouvert une enquête à la suite de cette plainte et décidé d’adresser plusieurs chefs d’accusation dont celui de blanchiment d’argent, à l’encontre de Nabil Karoui et Ghazi Karoui, mais ce dernier est aujourd’hui député jouissant de l’immunité.
Tout indique également qu’après une année de trêve post-électorale, le président Kais Saïed, juriste de formation et dont l’épouse est magistrate, n’est pas étranger à l’impulsion donnée par l’exécutif contre ce phénomène et plus précisément contre son ancien adversaire politique direct.
Carthage est en effet soucieux de donner des signaux de profonde réforme en la matière en ce 10ème anniversaire de la révolution tunisienne. Le chef de l’Etat a toujours promis depuis son investiture d’engager un vaste combat contre l’argent politique, quoique cette démarche fasse l’objet de critiques par ailleurs, considérant qu’il s’agit là d’une promesse populiste relevant d’une guerre opposant deux populismes.
Bras de fer sous-jacent au sommet de l’Etat
Dans un premier temps, le juge d’instruction en charge de l’affaire avait décidé de prendre des mesures préventives à l’encontre des deux frères Karoui, lesquelles concernent l’interdiction de voyage et le gel des avoirs.
L’arrestation de Nabil Karoui avait suscité une large polémique qui s’est accentuée suite à la proclamation, par l’instance électorale ISIE, en septembre 2019, des résultats du premier tour de la présidentielle et l’accès du candidat Nabil Karoui au deuxième tour, aux côtés de Kais Saïed.
Intervenant la même semaine que la spectaculaire arrestation du ministre de l’Environnement et des collectivités locales Mustapha Aroui, ce rebondissement judicaire semble indiquer un tournant : une possible harmonisation entre une partie du pouvoir exécutif incarné par Saïed, et une partie du pouvoir judiciaire.
Parmi les perdants de ce revirement, l’actuel chef du gouvernement Hichem Mechichi, allié politique du parti Qalb Tounes, qui dans le cas d’une longue sentence de prison ferme prononcée à l’encontre le leader de ce parti, y perdrait un précieux atout au Parlement.