Argentine : Une extrême-droite très létale
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crédit photo : Zoé Decros
En Argentine, depuis l’avènement du président Javier Milei en décembre dernier, tout mouvement contestataire se retrouve muselé par une répression policière aux ordres. Cette utilisation excessive des forces de l’ordre, accompagnée de procédés « légaux » d’intimidation et de censure de la presse, fait craindre un retour en arrière pour ce pays d’Amérique du Sud.
Par Zoé Decros
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De l’historique Place de Mai au Congrès de la Nation dans la capitale argentine, la voix des manifestants ne faiblit pas. Sous un soleil de plomb, elle se mêle aux percussions des organisations étudiantes et syndicales. Les foulards verts et violets des féministes se mélangent aux drapeaux rouges des partis de gauche (Alianza de Izquierda, Partido de los Trabajadores Socialistas) et aux banderoles roses des péronistes. On pourrait presque penser que l’ambiance est festive et conviviale.
Cependant, à quelques mètres de la place, un important déploiement des forces de l’ordre est en place. Ils sont prêts à empêcher tout débordement. La logique politico-militaire est palpable, avec des barricades bloquant l’accès aux quatre coins de la place. Depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, les mouvements contestataires en Argentine sont confrontés à une répression policière intense. « Il y a une tendance dictatoriale évidente. Les autorités ont atteint un niveau de violence inédit contre les manifestants », déplore le chef du mouvement syndical des professionnels de la santé de Buenos Aires, Guillermo Pacagnici.
Des organisations comme Amnesty International et le HCR dénoncent déjà la répression du gouvernement de Milei. En l’espace de six mois, 59 personnes ont été tuées par les forces de sécurité, soit une augmentation de 20 % à Buenos Aires. Pour le Centre des études légales et sociales (CELS), le 10 décembre, début officiel du mandat de Milei, marque un tournant vers une érosion des libertés publiques.
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Un État guidé par la sécurité et l’ordre
C’est en mai 2024 que le premier coup de griffe à la démocratie a été donné quand Milei propose la « Loi Bases », un projet de 232 articles lui conférant des pouvoirs étendus, incluant des mesures anticonstitutionnelles et des restrictions sévères aux manifestations. Ce projet, alimenté par une rhétorique punitive, remet en cause le droit démocratique à la protestation. Sasha Lyardet, étudiante et militante arrêtée lors d’une manifestation en avril, témoigne : « Ce protocole est anticonstitutionnel et viole notre droit de manifester, pourtant inscrit dans l’article 14 de la Constitution ».
En parallèle, la loi 80/31 permet des arrestations arbitraires sans mandat écrit, et Milei envisage de criminaliser les mineurs dès 13 ans. Cette dérive autoritaire s’accompagne d’une militarisation croissante. Le ministre de la Défense Luis Petri et la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich disposent de 2,65 billions de pesos pour renforcer les dispositifs sécuritaires. Selon Diego Pietrafesa, journaliste et secrétaire aux droits humains du syndicat de presse de Buenos Aires, « à chaque fois qu’un policier utilise une cartouche, cela coûte autant que le SMIC pour les personnes âgées. » Les forces de l’ordre emploient des techniques de repérage sophistiquées, notamment des canons à peinture pour identifier les manifestants, ainsi que des balles en caoutchouc tirées de manière dangereuse.
« Plusieurs manifestants ont perdu des yeux »
Selon le syndicaliste dans le domaine de la santé, Guillermo Pacagnici, « plusieurs manifestants ont perdu des yeux. Les forces de l’ordre n’hésitent pas à tirer avec des armes « non létales » utilisées de manière abusive et dangereuse, la police n’hésitant pas à viser la tête. Pour l’étudiante Sasha Lyardet, « leur objectif est d’arrêter l’organisation populaire. Le message est clair : nous sommes trop nombreux à contester et ils ne pourront pas appliquer leur protocole de sécurité même si la jeunesse, les retraités et les classes sociales s’y opposent en ordre dispersé ».
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Des tribunaux du côté de l’Etat
Si les manifestants se sentent si désemparés, c’est que les forces policières disposent d’une immunité quasi totale de la part de la justice. En effet, bien que les familles puissent intervenir comme accusateurs privés, cela reste difficile dans les cas de violences policières. Les procureurs, censés défendre les intérêts de la société, finissent souvent par protéger l’État, conduisant à des non-lieux.
Carmen Corripi est avocate et membre du Collectif de Coordination contre la Répression Policière et Institutionnelle (CORREPI). Elle estime que les obstacles rencontrés dans le système judiciaire argentin dans les affaires impliquant des forces de sécurité sont nombreux. « Quand une affaire concerne un policier, l’effort pour obtenir justice est au moins trois fois plus important. Cela a été le cas de Bulacio, un jeune homme détenu et torturé par un agent de l’Etat en 1991. Son affaire avait été classé sans suite en 1992. Il a fallu attendre 20 ans pour que nous puissions obtenir justice et la condamnation de l’Etat par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. »
Ces derniers mois, quelques victoires notables sont à noter. Une condamnation à perpétuité a été prononcée contre un policier à Buenos Aires. Toutefois, les avancées sont rares et demandent une persévérance sans faille. « Les juges commencent même à appliquer un projet de loi élargissant la légitime défense pour les forces de sécurité, bien qu’il ne soit pas encore adopté, ce qui renforce encore leur impunité », déplore Carmen Corripi
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La lutte continue malgré la tentative de muselage
Autre pendant de la liberté en Argentine : on musèle la presse également. « Depuis la fin de la dictature, c’est la première fois que l’on réprime autant les journalistes, déclare Diego Pietrafesa, secrétaire aux droits humains du syndicat de presse de Buenos Aires. Ceux qui critiquent le gouvernement sont harcelés, licenciés ou accusés publiquement par des « ensobrados » (journalistes corrompus par des enveloppes du gouvernement, ndlr). Les journalistes sont intimidés sur les réseaux sociaux et accusés de manière infondée, ce qui rend le travail de la presse libre de plus en plus difficile. »
Malgré cette répression, les Argentins continuent de se mobiliser. « Nous, la génération des enfants de la démocratie, n’accepterons pas de normaliser un capitalisme qui ignore les besoins du peuple », affirme Sasha Lyardet avant de rejoindre une manifestation. Elle insiste sur le fait que « le respect des droits humains est une obligation, pas un choix ». Malgré ses conditions difficiles, le courage perdure dans les rues de Buenos Aires. Etudiants, professeurs et fonctionnaires continuent de lutter pour leurs droits.