Arash Derambarsh : L’affaire qui a fait dysfonctionner la Sorbonne

 Arash Derambarsh : L’affaire qui a fait dysfonctionner la Sorbonne

L’avocat Arash Derambarsh (Copyright Eugénie de Lozada)

Le 3 septembre dernier, l’administrateur provisoire de l’Université Paris 1-La Sorbonne, Thomas Clay établit un signalement auprès du procureur. En cause : l’affaire de supposé plagiat sur la thèse de droit touchant l’avocat et éditeur, Arash Derambarsh. Un « séisme universitaire » qui laisse des grandes zones d’ombre sur ce qui s’est réellement passé et couvre les très nombreux dysfonctionnements de l’institution.

Le 21 juillet 2020, la décision de la commission disciplinaire tombe comme un couperet. Au terme d’une année de procédure, son jugement est extrêmement sévère. Un compte-rendu de 40 pages avec une seule victime à charge : Arash Derambarsh !

L’avocat, militant associatif et politique se retrouve responsable de tout : Il aurait effectué du « plagiat académique et scientifique » ! Il aurait choisi un jury illégal au vu de la loi ! « De surcroit », son jury n’aurait pas de proximité scientifique avec le sujet de la thèse ! Son rapport de soutenance aurait disparu ! Il aurait demandé une confidentialité de 30 ans ! Il aurait « délibérément » ignoré la propriété intellectuelle des auteurs recopiés !

Sa défense par contre est famélique. On lui réfute ses témoignages, constats d’huissier mais aussi sa présomption d’innocence. En effet, durant la procédure, un compte anonyme sur Twitter, « Thèse et synthèse » envoie plus de 1000 tweets défavorables pour enfoncer le clou.

Si la presse s’est fait l’écho du plagiat, l’ « affaire Arash Derambarsh » se révèle plus compliquée qu’il n’y paraît. Délation et nuisance politique, bisbilles au sein de l’université et sauvetage de l’institution après de graves dysfonctionnements. Au départ de l’affaire, il y a Arash Derambarsh, une personnalité qui ne laisse pas indifférent.

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Arash Derambarsh, un homme fascinant qui agace !

Médiatique et médiatisé, l’homme aime la difficulté et l’adversité. Son père est le réalisateur et photographe franco-iranien, Kioumars Derambarsh décédé le 31 mars 2020, après avoir contracté le coronavirus (Arash Derambarsh demandera sur plusieurs médias, au président Macron, d’organiser une journée pour les victimes de la Covid-19, ndlr).

Le jeune Arash, qui a un frère jumeau, connaît une scolarité en dents de scie. Son livre « Tomber 9 fois, se relever 10 » aux Editions du Cherche-Midi, rappelle cette ténacité qui le caractérise. Arash Derambarsh ne lâche jamais ! Après avoir raté son brevet et son bac, il se lance dans des études de droit qui se termineront 18 ans plus tard par l’obtention du doctorat de droit qui lui est aujourd’hui contesté.

Parallèlement à ses études, il commence une carrière dans l’édition. A 23 ans, il devient éditeur chez Les Presses du Management et Jacques-Marie Laffont puis chez les éditions Ramsay. En 2007, il rejoint les Editions du Cherche-Midi pour qui il travaille encore aujourd’hui. Son carnet d’adresses étendu lui permet de se faire un nom dans ce domaine mais lui provoque aussi des inimitiés solides avec des auteurs non publiés ou des éditeurs jaloux (comme le prouvera l’altercation avec Yann Moix sur le plateau d’On n’est pas couché).

Candidat aux municipales de Courbevoie, il se présente en tant que divers droite. Gagnant en notoriété, il arrive à se frayer un chemin jusqu’à devenir lors des dernières élections, adjoint au maire en charge du développement durable. Là aussi, ses ennemis à gauche et au sein de LREM, se comptent en nombre.

 

Son fer de lance : la lutte contre le gaspillage alimentaire

Mais son fait d’armes le plus important reste son combat contre le gaspillage alimentaire. En 2015, il « disrupte » le système et arrive à convaincre le supermarché de sa ville de redistribuer ses invendus à des associations caritatives. De là, il va médiatiser, rassembler et mener une bataille face à la grande distribution et aux politiques. Autour de lui, se grèvent des personnalités telles que Claire Kleim, Valérie Damidot, le rappeur Rost. Avec Mathieu Kassovitz, il co-écrit un « manifeste contre le gaspillage alimentaire », qui reçoit le prix Edgar Faure du meilleur livre politique 2015.

Rassemblant un million de signatures, il arrive à faire modifier la loi à l’Assemblée Nationale, alors dirigée par les socialistes. Qu’un élu de droite aille sur le terrain social en agace plus d’un au point que certains espèrent lui retirer la paternité du projet. Ce travail de longue haleine lui vaudra, tout de même, le prix « Win Win » 2019 (équivalent du Prix Nobel pour le développement durable) remis par l’ancien vice-président américain, Al Gore.

Devenu avocat, il défend du beau monde (Pete Doherty, Kaaris, Pierre Ménès), suscitant jalousies de certains collègues. Enfin, son activité sur les réseaux sociaux lui voudra l’inimité de la tristement célèbre « Ligue du LOL » et des journalistes qui en faisait partie aux Inrocks ou à Libération. On lui reproche ses méthodes d’harcèlement et son utilisation des réseaux sociaux pour arriver à ses fins. Honoré par certains, jalousé et haï par d’autres, Arash Derambarsh ne laisse pas indifférent !

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Un changement de directeur de thèse avant la soutenance

C’est dans ce contexte que va naître ce qui va devenir « l’affaire Arash Derambarsh » au sein de la faculté de droit de Paris 1-La Sorbonne. Le parcours estudiantin d’Arash Derambarsh n’a pas été de tout repos. Inscrit en 1999, il obtient son Deug en 4 ans. En 2005, il acquiert une maîtrise de droit en Carrières judiciaires et Sciences Criminelles à l’université Paris II Panthéon-Assas. Après deux essais infructueux à l’école Française du Barreau (EFB), il obtient un Master 2 Professionnel Droit et Stratégie de la sécurité par Validation des Acquis de l’Expérience le 5 juillet 2012, auprès du Centre de Formation Permanente de l’université Paris II Panthéon-Assas. Un titre que lui contestera le compte Thèse et Synthèse et qui peut expliquer en partie les défaillances d’Arash Derambarsh dans la méthodologie.

En 2012, il débute une thèse « fichiers de police, un encadrement légal et sociétal dans un contexte controversé ». Son directeur de thèse est alors François Haut qui dirige le département de recherche sur les Menaces Criminelles Contemporaines à l’université Paris II Panthéon-Assas. Au bout de 3 ans, devant « la passivité et l’absence d’encadrement de son directeur de thèse initial », il décide de changer de directeur. Il s’oriente alors vers Bruno Dondero. « Il avait préparé sa thèse pendant 3 ans dans une autre université. J’ai accepté sa thèse revue et corrigée par son ancien professeur pour la soutenance, nous indique le professeur de droit privé. Je n’en ai pas dirigé l’écriture.»

Frédéric*, un ancien vice-président d’une université du Sud de la France, qui connaît bien les arcanes de l’université française pour y avoir passé plus de 10 ans, alerte sur cette question. « Au départ, on pense pouvoir développer ses propres idées mais 90% du temps est lié au développement de l’idée de ton professeur. Ca arrive qu’un étudiant change de directeur. C’est souvent lui qui se sépare de l’étudiant pour des raisons d’agenda ou d’incompatibilités d’humeur. Des fois, ça se passe bien comme pour une rupture conventionnelle. Si ce n’est pas le cas, des inimitiés sévères peuvent naitre. Si le directeur de thèse « lâche » l’étudiant ou n’est pas présent avec lui, un cercle infernal débute et l’étudiant a peu de chances de faire carrière dans la recherche. Il a droit de vie ou de mort sur un étudiant. » Un article du Monde (Quand la relation avec son directeur de thèse vire au cauchemar) relate cette dure réalité et du pouvoir entre les mains du directeur de thèse, qui peut faire usage d’harcèlement et de pressions sans que l’étudiant n’ait de recours.

 

Une commission disciplinaire qui agit après un « lancement d’alerte »

En début d’année 2019, un lanceur d’alerte, Jean-François Hamelin, professeur de droit à l’université de Bourgogne envoie des mails à l’université de Paris 1-La Sorbonne. Le professeur s’étonne d’une « reprise purement et simplement des premières lignes de l’introduction d’un rapport public. » Il dit « redouter qu’un journaliste se saisisse de l’histoire.» Il demande la levée de la confidentialité portant sur la thèse d’Arash Derambarsh pour éviter que « l’université tend un énorme bâton pour se faire battre par la presse comme par le barreau. » En effet, après son diplôme de doctorat en droit, Arash Derambarsh a obtenu par le biais d’une passerelle, le titre d’avocat auprès du barreau de Paris via l’EFB.

Dans un rapport au président de l’université Paris 1-La Sorbonne, Etienne Pataut directeur de l’école doctorale indique avoir été alerté par un collègue. Il demande la levée de « la clause de confidentialité par courrier en date du 1er mars. » La clause de confidentialité se substitue en « procédure de diffusion restreinte de la thèse,…mettant fin à l’embargo le 12 avril 2019. »

Avec le financement croissant de doctorats par des entreprises privées, la confidentialité des thèses, notamment celles professionnelles, peut intervenir. Une pratique qui n’a rien de choquant pour l’ancien vice-président de l’université. « C’est souvent lié à des informations secret-défense. La confidentialité peut – et c’est de plus en plus courant – être demandée par des sociétés privées (nucléaire, sécurité, etc..) ou des institutions qui ouvrent leurs données en échange d’une clause de confidentialité.»

En effet, sans être pour autant décisionnaire, Arash Derambarsh a demandé une confidentialité, mettant en avant un contrat de travail signé avec le ministère de l’Intérieur en date du 26 juin 2006 par l’entremise duquel il avait alors une « obligation stricte au secret professionnel ».

 

Un logiciel anti plagiat sans formation des professeurs

La thèse passe au crible d’un logiciel anti-plagiat, Compilatio. Le taux de plagiat est estimé à 76% sur 300 pages. Un chiffre impressionnant ! Or, le directeur de thèse, Mr Dondero explique que le logiciel existant depuis 2012 n’était pas beaucoup utilisé à l’époque et ne l’est guère aujourd’hui. « Je n’ai pas accès à ce logiciel, qui de toute façon, doit relever de l’Ecole doctorale qui demande une version électronique de la thèse avant la soutenance. Je n’ai jamais été ni formé, ni même informé de l’accès à ce logiciel comme nombre de mes collègues. »

Mr Thomas Clay, administrateur provisoire de l’université pour sa part explique qu’il n’existe pas « de formation obligatoire au logiciel Compilatio pour la raison que ce n’est pas nécessaire. Ce logiciel est très simple d’utilisation, accessible à l’ensemble des enseignants-chercheurs et, en cas de doute, on peut consulter un guide d’utilisation ou solliciter la direction des services informatiques qui donnent un appui à chaque fois qu’il est sollicité. Pour ce qui concerne son usage, il est désormais obligatoirement utilisé par le service des thèses avant toute soutenance. Auparavant c’était une simple faculté. »

 

La formation à la thèse, dispensée normalement par l’Ecole Doctorale

D’autres mesures sont supposées aussi aider les étudiants à éviter le plagiat. Comme nous le confirme Mr Clay, de l’université Paris 1-La Sorbonne, « Des outils de prévention et sensibilisation sont disponibles : charte de déontologie à signer au moment de l’inscription en thèse, formations dédiées, brochures.»

Frédéric, vice président d’une université dans le Sud de la France abonde sur la formation dédiée aux sources. « Dans le passé, les thèses n’étaient pas numérisées. La fraude ne pouvait être constatée que par un spécialiste. Par contre, des formations sont normalement organisées par l’école doctorale pour la méthodologie, les sources et la manière d’écrire sa thèse. Des professeurs peuvent aider aussi. C’est à l’école doctorale d’assumer ces séminaires, et bien qu’ils ne soient pas obligatoires, ils sont plus que vivement conseillés. »

Dans le cas d’Arash Derambarsh, aucune formation ne lui a été donnée, par l’école doctorale de Paris II Panthéon-Assas. Les erreurs de méthodologies soulevées lors de sa thèse en sont en grande partie la résultante. Des erreurs notées par le jury le 11 décembre 2015 et que confirme Arash Derambarsh. Dans des attestations, les membres du jury ou les témoignages de participants (qui ne seront pas pris en compte par la commission disciplinaire du fait que plusieurs témoins habitent Courbevoie et pourraient être influencés par Arash Derambarsh), expliquent que ces erreurs de méthodologie ont été soulevées.

C’est dans ce sens que la mention honorable – la mention la plus basse, équivalente à un 10/20 – a été accordée et que des corrections ont été demandées à Arash Derambarsh. Dans son avis sur la reproduction de la thèse, le jury estime que la thèse peut être reproduite après corrections suggérées au cours de la soutenance dans un délai de 3 mois. Arash Derambarsh fera parvenir ses corrections le 15 janvier 2016. L’université n’en tiendra pas compte du fait d’un système informatique défaillant. Et ce n’est pas le seul dysfonctionnement que connaitra l’université Paris 1-La Sorbonne.

 

300 thèses non répertoriées en 2016

En effet, l’archivage des thèses a eu du mal à passer au tout numérique. Dans un témoignage à la commission disciplinaire, on apprend que 300 thèses de 2013 à 2016 ne sont pas répertoriées au Service Commun de la Documentation (SCD). Les fichiers sources ont été « égarés ». Un responsable doit pendant plusieurs mois recontacter les auteurs pour avoir toutes les thèses disparues. De plus, le travail d’Arash Derambarsh « n’est pas référencé sur www.theses.fr…lié au fait que le circuit d’enregistrement électronique s’était bloqué automatiquement. » Le responsable de la documentation ajoute que « l’enregistrement du transfert du dossier entre les services de Paris 2 et de Paris 1 n’a pas été correctement effectué ». De plus « le titre de docteur n’est pas publié officiellement sur internet, ce dont Mr Derambarsh s’est plaint à plusieurs reprises par téléphone.»

Un « bazar » qui n’a pas concerné que l’université Paris 1. En effet, Frédéric, ancien vice président de l’université se rappelle qu’ « il a fallu 12 ans pour que ma thèse soit répertoriée sur www.theses.fr. Cela a eu des conséquences importantes pour moi. Je passais pour un mythomane auprès des recruteurs, comme si je ne l’avais jamais eu. »

Dernière incohérence administrative sur le dossier d’Arash Derambarsh, le formulaire d’enregistrement de thèse du 23 mars 2017 n’est pas signé par l’auteur. Seul le service de doctorat indique la date du 23 mars 2047.

Devant cette situation ubuesque, et alors que beaucoup de protagonistes de l’affaire ont changé, le président de l’Université de Paris 1-La Sorbonne, Georges Haddad décide d’enclencher une procédure contre Arash Derambarsh, soupçonné de fraude. 4 réunions de la commission disciplinaire, qui se tiendront du 11 juillet 2019 au 10 juillet 2020 auront à décider du supposé plagiat, des différentes versions de la thèse, des dysfonctionnements dans l’attribution de la thèse, dans la constitution du jury, dans la proximité scientifique du jury avec le sujet et enfin dans l’absence de rapport de soutenance.

 

2 versions de thèses

Pour établir son jugement, la commission disciplinaire s’est basée sur la première version de la thèse, celle présentée le 11 décembre 2015. En 2017, Arash envoie une nouvelle version aux services de l’université mais celle-ci est erronée selon ses dires. Lors de l’audience, Arash Derambarsh versera au dossier, la thèse envoyée le 15 Janvier 2016, qui n’avait pas été reçue par l’université pour cause de problèmes informatiques. Mise sur une clé USB, avec constat d’huissier, elle sera pourtant réfutée par la commission disciplinaire. Celle-ci estime que l’étudiant a sciemment fraudé avec ses différentes versions. Pourtant, un expert informatique, auprès de la Cour de Cassation, remet en cause les dires de la commission. Pour lui, le contenu du fichier « Thèse Arash Derambarsh Mise à jour-Janvier 2016 » a bien été modifié pour la dernière fois le 15 Janvier 2016 à 21H54. Ainsi, il n’y a que deux versions : celle soutenue devant le jury le 11 décembre 2015 et celle du 15 janvier 2016.

 

« Plagiat académique et scientifique », un concept non juridique de pratique professionnelle

Pour justifier la fraude, la commission disciplinaire de Paris 1-La Sorbonne indique qu’Arash Derambarsh a pratiqué du « plagiat académique et scientifique ». Un concept qui n’existe pas en droit, comme le note la commission mais qui se veut être une pratique professionnelle. A nos demandes d’explications, Thomas Clay nous renvoie à l’explication suivante. « Vous comprendrez que, au regard de mes fonctions actuelles, je ne me prononce pas sur le fond d’une affaire qui a été tranchée par la section disciplinaire de conseil académique de l’université que je dirige, qui a fait l’objet d’un signalement au Procureur de la République, et alors qu’une enquête administrative interne est en cours. »

Pourtant, le plagiat académique pose des questions. Dans des thèses de sciences humaines, d’histoire, de littérature, d’économie ou de droit, il n’est pas rare que des morceaux entiers de publications soient compris dans une thèse. La frontière entre « recopiage » et citations est compliquée à juger, comme nous l’explique Frédéric, l’ancien vice-président. « C’est le propre de la recherche. On s’appuie sur des sources différentes et on apporte une conclusion sur les théories avancées. Il faut apporter les éléments de la théorie, les mentionner en tant que sources, les différencier du reste de l’article et y apporter des conclusions et défendre son point de vue. C’est comme cela que l’on peut avancer. En économie, John Nash qui a inventé la théorie des jeux s’est basé sur le concept de main invisible d’Adam Smith pour apporter une nouvelle théorie. Sans s’appuyer sur d’autres sources, il est quasi impossible de faire de la recherche. »

Dés lors, le débat reste entier entre réelle découverte et recopiage de théories existantes. De plus, il convient de différencier les thèses universitaires, qui ont vocation à une qualification au CNU et permettent une carrière universitaire, et les autres thèses. Mais peu importe le type de thèse, indique le professeur Dondero, si le plagiat est avéré, il faut bien entendu qu’il soit sanctionné. »

Et le plagiat n’est pas le seul point que soulève la commission. Elle remet en question également le jury qui était, selon elle, « illégal » et « n’avait pas de proximité scientifique » avec le sujet.

 

Un jury « illégal » au nom de la loi

Selon la commission disciplinaire, la constitution du jury n’aurait pas été conforme, à la loi. Comme nous le confirme Frédéric, l’ancien vice-président, « la thèse doit être dirigée par un professeur agrégé ou un maitre de conférences, avec une habilitation à diriger de la recherche. Les rapporteurs sont souvent choisis par le directeur de thèse. L’étudiant peut proposer des personnalités (ou professeurs). Une fois les rapports accordant la soutenance, le jury doit être validé par l’école doctorale puis par le président de l’université. Les services administratifs prennent le relais pour la logistique. »

Dans le cas de Mr Derambarsh, Mr Dondero a proposé les noms des membres du jury. Sur ce point, le directeur de thèse s’étonne qu’on l’accuse d’avoir été « laxiste » sur la constitution du jury. « On a déformé mes propos lors de la commission disciplinaire en indiquant que je n’avais pas « porté attention » à la conformité du jury. Ce n’est pas  à moi de vérifier la conformité réglementaire de la composition du jury mais à l’école doctorale de le faire. » Une explication que confirme Frédéric, l’ancien vice président d’université. « C’est à l’école doctorale de vérifier la légalité du jury mais c’est rare qu’elle retoque un jury. Personnellement, je ne l’ai jamais vu. ». Interrogé sur cette question, l’Université Paris 1-La Sorbonne nous renvoie à une enquête interne qui doit rendre un rapport le 30 Septembre

 

Un jury qui « de surcroit » n’a pas de « proximité scientifique » avec le sujet

Le reproche fait mal. Outre que le jury serait illégal selon la commission disciplinaire, il n’aurait pas le recul nécessaire pour comprendre le sujet. Une affirmation dont s’étonne Frédéric. « On peut avoir un professeur de médecine lors d’une thèse sur les économies d’énergie. Rien n’est impossible. C’est au directeur de thèse de juger de la pertinence d’un membre. »

Dans le cas présent, Mr Dondero, qui estime qu’on met en cause son intégrité, précise. « Je suis professeur de droit privé en sciences criminelles. Madame A.D. Merville, rapporteure, est maître de conférences, HDR en droit, vice-procureure de la République et dirige un master de droit pénal financier. Mr Oleg Curbatov est maître de conférences, HDR en gestion et en intelligence économique, ce qui n’est pas incompatible avec la question des fichiers. Enfin, il y avait Maitre François Spizner, avocat pénaliste, membre pendant 15 ans de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNDH) et Frédéric Lefebre, député, ancien ministre et avocat qui m’a été présenté comme ancien conseiller au ministère de l’intérieur et connaissant particulièrement le sujet des fichiers. Je trouve que la commission s’aventure sur un terrain glissant sur cette question. ».

L’administration de Paris 1-La Sorbonne nous renvoie vers une enquête interne qui doit rendre un rapport le 30 Septembre. Une réponse qu’elle utilisera pour une dizaine des quinze questions que nous lui avons posées. Parmi les autres problématiques de cette affaire rocambolesque, l’attribution du diplôme sans rapport de soutenance.

 

Un diplôme sans rapport de soutenance

Le 14 décembre 2015, l’Université Paris 1-La Sorbonne délivre un diplôme à Arash Derambarsh en tant que docteur en droit. Il est clairement précisé que celui-ci lui est remis au vu du « procès verbal » et de la « délibération » du jury. Frédéric, ancien vice-président de l’université est formel. « Il est impossible d’avoir un diplôme sans ce rapport de soutenance. Le mien tenait sur une demi-page et était signé par tous les membres du jury. »

Dans sa décision du 21 juillet 2020, la commission disciplinaire indique que l’Ecole doctorale n’a pu fournir le rapport de soutenance. Durant la procédure, elle en a demandé une copie à Mr Dondero qui n’a pu la fournir, victime d’un vol d’ordinateur plusieurs années auparavant. « J’ai été surpris de cette demande, n’étant pas en charge des archives de l’université, indique Mr Dondero ». L’université Paris 1-La Sorbonne, renvoie à l’enquête interne en ce qui concerne ce rapport « égaré » par son administration.

Cette affaire a porté préjudice à La Sorbonne, faisant ressurgir les nombreuses défaillances et dysfonctionnements à l’université Paris 1. D’autant que les débats n’ont pu être menés dans la quiétude nécessaire. En effet, depuis le 9 février 2020; les réseaux sociaux s’agitent avec un compte Twitter « Thèse et Synthèse ».

 

Un compte anonyme qui tourne à l’obsession

Le 9 février 2020, naît un compte anonyme sur Twitter « Thèse et Synthèse ». Ils se présentent comme lanceurs d’alerte sur les thèses plagiées. Arguant de faire un travail de salut public, dés les premiers tweets, ils s’emparent de l’affaire Derambarsh, tournant presque à l’obsession.

Si le compte promet d’autres révélations sur d’autres thèses, seule l’affaire Derambarsh a valeur à leurs yeux. En quelques mois, c’est plus de 1000 tweets qui sont consacrées exclusivement à l’avocat parisien.

Pour les besoins de notre enquête, nous avons tenté de joindre le compte Thèse et Synthèse. Après un accueil positif pour répondre aux questions, ils font preuve de méfiance. Ils nous demandent si nous ne faisons pas partie de la famille ou des amis de Derambarsh, évoquant un article écrit sur le gaspillage alimentaire. Devant nos réponses (nous interrogeons des milliers d’intervenants au Courrier de l’Atlas et n’avons pas d’affinités particulières avec ceux que nous interviewons, ndlr), le compte twitter revient sur certaines questions. Ils veulent des précisions, ne sont pas d’accord avec des questions. Tout leur pose problème alors même que nous cherchons à comprendre leur démarche. De guerre lasse, ils finiront par décliner notre sollicitation.

Pourtant, leur action faisant fi de la présomption d’innocence, a des portées visant la personne d’Arash Derambarsh, voire de Mr Dondero. La constitution de ce compte de délation à quelques semaines d’une élection où Arash Derambarsh est sur la liste du maire sortant à Courbevoie, est intrigante. Selon nos informations, on retrouve parmi les intervenants réguliers du compte, un professeur de droit de Lyon 3 (tristement célèbre pour son activisme d’extrême-droite dans les années 1990-2000) mais aussi un opposant politique à Arash Derambarsh à Courbevoie.

 

Un monde qui fait passer House of Cards pour des enfants de choeur

Dans les arcanes de l’université française, règne un climat particulier de tensions, de petits arrangements et de luttes intestines, à faire rougir les milieux politiques. En effet, les attributions d’ATER (postes permettant de percevoir un salaire pendant sa thèse) se définissent entre mandarins (professeurs agrégés). Untel est retoqué car il ne correspond pas à la ligne de tel professeur. On se partage les postes entre labos.

Un chercheur, pourtant major de promotion, se verra refuser une bourse d’état sous le prétexte qu’il est étranger. Un texte de loi et l’intervention des élus étudiants permettront à celui-ci de l’obtenir finalement. Le ministère des affaires étrangères, peu connu pour ses pratiques démocratiques, reçoit une lettre d’un président d’université pour « demander des excuses » à un élu étudiant opposant de sa politique. Un thésard d’une ville devient maître de conférences dans une autre université alors qu’un de ses collègues fait le chemin inverse. Les deux deviennent maître de conférences et retrouvent leurs labos originaux.

La politique est souvent aussi très présente. Certains domaines de recherches (marxisme par exemple) sont obstrués par des coupes budgétaires de la pensée dominante. La construction d’un nouveau campus devient une alliance ou un conflit larvé selon les majorités municipales et/ou universitaires.

 

Un gâteau à partager, pas toujours équitablement

Enfin, les bisbilles entre labos sont souvent liées à des questions de budget. « Ce sont des luttes pour l’argent, indique Frédéric. L’Etat donne un gâteau et il faut le partager. S’il y a plusieurs laboratoires de recherche, certains essayent de se procurer la plus grosse part. Les coups sont réguliers et les haines tenaces entre les professeurs. L’élection du président de l’université est aussi l’occasion de voir ressurgir toutes les alliances les plus folles. Cela peut prendre la forme de négociations politiques ou de petits arrangements pour ce poste stratégique. »

Au sein de l’université Paris 1-La Sorbonne, Bruno Dondero, qui vient de faire acte de candidature à la présidence, est responsable du Centre Audiovisuel des Etudes Juridiques (CAVEJ), une des seules composantes qui rapporte de l’argent à la faculté. Jalousie, volonté de faire main basse sur cette manne d’argent, lutte pour la présidence. Les excuses pour lui « tirer » dessus ne manquent pas dans ce feuilleton. « Il existe des tensions surtout à l’université, où les gens ont du temps à consacrer à ces combats, nous précise Mr Dondero. Je ne m’en suis jamais mêlé mais ma médiatisation et les appréciations de mes étudiants ont pu provoquer une envie de se venger de certains.  »

Pour Frédéric, l’ancien vice-président, « l’université est une institution avec ses règles et tout ce que ça engendre. Elle a du mal à reconnaître ses erreurs mais elle est en train de bouger. Il y a 20 ans, les licences professionnelles étaient dénigrées. Aujourd’hui, elles sont mises en avant. Preuve qu’elle peut changer de point de vue quand elle est mis face à la réalité.»

Le dossier Arash Derambarsh est loin d’être réglé. L’avocat parisien a fait appel devant le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER). De son côté, un rapport d’une enquête interne de l’Université Paris 1, à paraître le 30 septembre, devrait aussi faire la lumière, sinon sur les dysfonctionnements, du moins, sur les solutions que l’Université compte apporter.

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* Le prénom a été modifié à la demande de l’interviewé