Arabes bashing ! Cheikh Tamim dit haut ce qu’on pense bas
On peut voir dans les déclarations de l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al Thani, lors de la journée d’ouverture de la réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, une simple réaction de dépit d’un chef d’Etat dégoûté par la cabale dont souffre son pays depuis qu’il a décidé d’abriter la Coupe du monde.
Mais on peut aussi déceler dans cette dénonciation qui va bien au-delà de cet évènement conjoncturel : « Depuis des décennies maintenant, le Moyen-Orient souffre de discrimination !», un véritable cri de cœur contre un « arabe bashing » qui relève d’abord des premiers intéressés.
En somme, les arabes, ce sont des « hommes dépaysés », non seulement parce qu’on a chargé de tous les maux leur nation, mais aussi parce qu’ils ont été définitivement convaincus qu’il n’y avait plus rien à attendre de leur propre chef. Ce regard dépaysant sur le monde, ils le portent désormais comme des exilés, même s’ils n’ont pas vécu l’expérience de l’exil physique.
Le pire des exils, n’est-il pas celui qui introduit une distance entre soi-même et le milieu dans lequel on vit, qui est propice à̀ la pensée négative. Le « Ah ces arabes » ou le fameux « bouzabel » pour désigner les Marocains d’en bas ne procèdent pas d’autre chose que de ce dénigrement qui relève de la servitude volontaire que l’on a fini par intégrer, à cause de l’image exécrable que nous renvoie l’Occident sur nous-mêmes.
Mais le processus n’est ni obligatoire ni inexorable ! Beaucoup de personnes de ce côté-ci de la Méditerranée réfléchissent maintenant à ce qui se passe dans le monde, à commencer par la guerre d’Ukraine, une guerre qui pour la première fois de l’histoire contemporaine n’est pas une agression caractérisée contre un pays arabe mais plutôt un conflit occidento-occidental.
Des hommes aux cheveux blonds contre des hommes aux yeux bleus, si ça nous change de la « chasse à l’arabe », ça devrait aussi nous faire réfléchir sur ce que nous sommes vraiment et ce que nous voulons être : acteurs de l’histoire ou simples spectateurs, maîtres de notre destin ou simples larbins d’un monde en perdition ?
Profitons enfin de cette trêve qui fait de nous des spectateurs « embedded » dans une guerre qui n’est pas la nôtre pour prendre nos distances avec le « Titanic » occidental. La Russie, inflexible soutien du bloc irano-syrien, ne fait que protéger à Damas ses intérêts, et si Poutine était le grand sauveur des musulmans, les Tchétchènes massacrés sauvagement et les musulmans du Caucase mis au pas le sauraient.
Se méfier de l’expansionnisme russe n’empêche pas de se méfier de l’hégémonie américaine ou européenne. Arrêtons d’abord de nous faire la guerre, si les crises d’envergure sont parfois salvatrices, celle qui se profile devrait être un noyau catalyseur pour solder le grand remue-ménage arabo-musulman actuel.
Assez de tragédies, syrienne, palestinienne, libyenne, yéménite, pour l’instant. La recomposition du monde arabe, si elle est plus qu’indispensable, doit être le fait des populations arabes elles-mêmes. A nous de faire le choix de la paix en construisant pour la première fois un récit qui ne soit pas un condensé des clichés qui circulent abondamment sur les arabes.
Ce ne sera pas une réécriture du passé à coups de bons sentiments, une révision anachronique de l’histoire nationale en fonction de l’idéologie actuelle, le panarabisme a bien fait son temps mais plutôt de choisir d’assumer notre déclassement et la place que l’on occupe aujourd’hui dans le concert des nations.
Si l’on s’interroge sur notre identité, ses zones d’ombre et ses silences, c’est pour trouver des réponses qui éclairent notre avenir. Même si nos États ne sont en réalité que très peu démocratiques, même s’ils sont gouvernés par des oligarchies très largement dépendantes de l’impérialisme occidental, même si des politiciens, des experts, des hommes de médias, des hauts fonctionnaires fonctionnent toujours comme les gardiens du temple de mains étrangères.
Des « traitres » à la nation dont certains ne sont même pas conscients de l’ampleur de leur traitrise, de leur méprise et qui croient mener leur pays vers cette démocratie tant enviée, alors qu’il ne s’agit pas là d’une crise de la démocratie, mais bien d’une confiscation de la démocratie.
Quand on leur reproche leur aveuglement, ils affichent cette arrogance de Néron qui, interpellé sur les vices de sa dictature, répliqua : « Le peuple, ces temps-ci, n’est pas meilleur que moi… », avant de dénoncer l’exception d’une certaine immaturité politique et intellectuelle de ce même peuple.
Ce qu’il faudrait aujourd’hui, c’est d’aborder courageusement la modernité sans oublier que le lien entre la religion et la société est tellement ancré dans les mentalités et l’inconscient arabes qu’une philosophie de vie sans laquelle le religieux et le profane ne coïncideraient pas serait vouée à l’échec. Ce qui n’empêche pas, bien entendu, l’exercice de l’esprit critique.
En tout cas, les arabes ne sont peut-être pas pires ou meilleurs que les autres peuples, mais au cours de l’histoire, des observateurs objectifs étrangers ont d’abord retenu qu’ils étaient les héritiers d’une civilisation qui domina l’univers, des chevaliers, des porteurs de valeurs nobles suprêmes, qui persistent encore, en témoigne la réalité de phénomènes sociaux positifs comme l’hospitalité dans nos pays ou le respect de la parole donnée. Je ne vous promets pas le « grand soir » mais juste une forte bouffée d’une « exception marocaine et arabe » qui n’a pas encore dit son dernier mot.
Enfin, ce dernier vers de ce poème de Mahmoud Darwich à lui seul, nous interpelle sur le drame du monde arabe aujourd’hui :
« – Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ?
– Que la maison reste animée, mon enfant. Car les maisons meurent quand partent leurs habitants. »
>> A lire aussi : Macron II. A la mer, les arabes !