Amnesty dénonce des « détentions arbitraires » pratiquées par la police française
Dans une étude publiée lundi portant sur 35 interpellations sans poursuite, Amnesty International dénonce les pratiques de la police française lors de la manifestation parisienne du 12 décembre contre la loi Sécurité globale. Infractions « vagues », « charges » sans sommation et « atteinte aux droits », « détentions arbitraires » : les griefs sont nombreux au terme de ce travail d’investigation réalisé par l’ONG.
Le 12 décembre 2020, parmi les 142 personnes interpellées par la police – dont 124 gardes à vue -, « près de 80 % n’ont finalement fait l’objet d’aucune poursuite », pointe Amnesty International France en préambule de son rapport intitulé « Climat d’insécurité totale : arrestations arbitraires de manifestants pacifiques le 12 décembre 2020 à Paris ». Ces pratiques soulèvent « des inquiétudes légitimes sur les risques qu’il y ait eu des arrestations arbitraires et d’autres violations des droits humains », estime l’ONG.
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Cette proportion est comparable à celle de la période « gilets jaunes », révélée le 25 novembre par le procureur de la République Rémy Heitz. De fin 2018 à fin 2019, seuls 27 % des personnes placées en garde à vue ont fait l’objet de poursuites en justice. Certains manifestants victimes de « détentions arbitraires » ont décidé de saisir la justice contre le préfet de police de Paris Didier Lallement qui fait l’objet de 40 plaintes contre lui.
80 % des personnes interpellées relâchées sans poursuite
L’organisation dénonce par ailleurs l’attitude du ministre de l’Intérieur quant aux arrestations lors de la manifestation du 12 décembre. Gérald Darmanin a en effet posté notamment « sept tweets ou retweets » pour communiquer et commenter les interpellations, laissant entendre que des « casseurs » ou « black-blocs » étaient en train d’être appréhendés. Et finalement « près de 80 % de ces interpellations » n’ont donné lieu à aucune poursuite.
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« La judiciarisation des manifestations n’est pas nouvelle », concède Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer « Libertés » chez Amnesty International France et autrice du rapport. Mais le 12 décembre, « il n’y a pas eu de violences notables de la part des manifestants, de dégradations. Rien ne semble justifier ce qui s’est passé en termes d’arrestations ou de charges », souligne-t-elle.
« Nasse mobile » de la police
Entretiens, certificats médicaux, pièces judiciaires : Amnesty s’est penché sur le cas de 35 personnes interpellées sans poursuite, « dont 33 gardes à vue et deux privations de liberté de près de cinq heures ».
La manifestation s’était élancée ce jour-là de Châtelet pour rejoindre la place de la République, et avait été encadrée sur les côtés et à l’avant par de nombreux policiers et gendarmes. Une sorte de « nasse mobile » de laquelle il n’était pas possible de sortir, avaient constaté des journalistes.
À partir de témoignages et de vidéos, Amnesty souligne que les interpellations ont eu lieu à l’occasion de « charges ». Or, il n’y a pas eu « sommation audible » et il n’y avait pas de « désordres significatifs » dans le cortège.
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« J’ai été surpris par la stratégie de maintien de l’ordre. A chaque intersection, les forces de l’ordre chargeaient sans motif ni sommation sur des manifestants non violents », témoigne à l’AFP Alexis Baudelin, avocat, interpellé sans être placé en garde à vue.
Tout au long du parcours, les forces de l’ordre avaient en effet multiplié les « bonds offensifs ». Il s’agissait d’interpeller pour « empêcher la constitution d’un groupe de black blocs violents » selon la préfecture de police.
Arrêté pour visage dissimulé en tant de pandémie
Le rapport d’Amnesty pointe aussi des « détentions sur la base de lois vagues ». Parmi les motifs invoqués figure notamment la « participation à un groupement en vue de la préparation de violences », reprochée dans 25 des cas étudiés. Mais, dans l’étude d’Amnesty, seules deux personnes sur 35 étaient en possession d’objets (lunettes de plongée, gants et casque de moto) pouvant justifier un soupçon de participation à un groupement violent.
« C’est un délit fourre-tout, qu’on appelle en droit un délit-obstacle. On sanctionne un fait avant qu’il ne se produise », explique Mme Simpere. Cette disposition « manque de précision ». Elle « contribue à ce que les autorités l’utilisent d’une façon qui porte indûment atteinte aux droits humains », écrit Amnesty.
« Ils m’ont dit qu’il faisait partie d’une bande malveillante. C’était incompréhensible (…) Mon fils est militant, mais il n’est en aucun cas quelqu’un de violent », raconte à l’AFP Lara Bellini. Son fils de 16 ans a passé 20 heures en garde à vue avant d’être libéré sans poursuite.
Parmi les autres témoignages recueillis par Amnesty International, il y a celui de Loïc, 27 ans, membre de l’association Attac. Il a demandé à connaître la raison de son arrestation. « Visage dissimulé », lui a-t-on répondu. « J’étais stupéfait », a-t-il confié. La réponse est en effet incompréhensible pour le jeune homme alors que le masque est alors obligatoire dans les rues de Paris. Il a passé 24 heures en garde à vue pour voir ensuite son dossier être classé sans suite.
Enfin, au moins cinq cas étudiés par l’ONG ont vu leur rappel à la loi assorti d’une interdiction de paraître à Paris pour une durée pouvant aller jusqu’à six mois. Une mesure rendue possible depuis une loi de mars 2019. Cette restriction au droit de circuler est « une peine sans jugement ». Elle pose « d’autant plus de problèmes (…) que les personnes visées ne peuvent pas faire appel », dénonce Amnesty. L’ONG appelle donc le Parlement à abroger cette disposition du code de procédure pénale.