Amir N’Gazi : Un jeune avocat, maestro de l’éloquence
Membre des 30 africains de moins de 30 ans les plus influents du classement Forbes Afrique 2022, le jeune franco-comorien a fait le choix, malgré son jeune âge, de créer son propre cabinet en France mais aussi aux Comores, pays dont sa famille est originaire. Portrait.
La plaque du cabinet d’avocat N’Gazi trône au milieu des jolies marques du très chic 8ème arrondissement de Paris, non loin des Champs-Elysées. Une réussite pour celui qui, en 2020, a lancé sa propre affaire juridique à seulement 24 ans. En le rencontrant, on est pris par son regard franc et sa poignée de mains assurée. Faisant fi des préjugés sur sa jeunesse, on se rend très vite compte qu’Amir N’Gazi sait ce qu’il veut et où il va.
Le ping-pong comme passion
Né et grandi dans le 13ème arrondissement de Paris, le franco-comorien Amir N’Gazi tâte un peu du ballon rond avant de découvrir sa passion un peu par hasard à 13 ans : le tennis de table. « J’ai commencé dans mon club de quartier et me suis mis à jouer de plus en plus régulièrement. Un entraineur a identifié mon profil qu’il considérait comme à fort potentiel. Il m’a suggéré de rejoindre une structure à Levallois-Perret. »
Il négocie alors avec sa mère de pouvoir intégrer une section de sport études jusqu’au bac à une condition : celui de se consacrer ensuite aux études. A 14 ans, un livre lui montre la voie à suivre. « Quand j’ai fini « L’exécution » de Robert Badinter, j’étais bouleversé par la sincérité de cet homme et de son combat pour son client qui encourt la peine de mort. Il était pétri de doutes mais on ressentait son authenticité et le coté romanesque de ce métier. Au départ, je ne voulais pas être simplement avocat. Mon rêve était d’être pénaliste. »
Droit des affaires et droit du sport
A 18 ans, après son bac, c’est décidé ! Il délaisse le ping-pong pour une autre confrontation : la joute oratoire. Son goût pour le débat le pousse même à participer à des concours d’éloquence. A 19 ans, il est lauréat du concours Lysias Paris X (éloquence et plaidoirie) avant de devenir en 2016 champion de France de débat puis en 2019, vice-champion du monde de débat francophone. « Etre un bon avocat ne dépend pas juste de la manière de parler, indique Amir N’Gazi. Il faut être humble, curieux et aller faire des recherches sur l’état du droit applicable et de la jurisprudence. Ensuite, il faut aimer l’adversité. Enfin, il y a ce côté opiniâtre et ce goût de l’effort pour ne pas s’essouffler. Je pense foncièrement que sans l’exigence de mes années de sport-études, j’aurais appréhender mon métier de manière différente. J’ai en moi cette capacité à encaisser. »
S’il effectue encore aujourd’hui quelques affaires au pénal, il avoue que sa vocation première s’est un peu transformée avec le temps. « Au pénal, on est toujours tributaire des urgences, des gardes à vue et des comparutions immédiates. C’est une branche qui est éprouvante d’un point de vue mental et psychologique. On parle de la liberté ou non d’une personne. Vous avez le destin des gens entre les mains. On ne s’habitue jamais à voir son client aller en prison. »
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Son propre cabinet à 24 ans
Aussi, durant ses études à Paris Nanterre et à Panthéon-Assas, il s’oriente vers le droit des affaires et le management dans le but d’avoir une vision transversale de l’entreprise. Souhaitant avoir « un spectre assez large dans un domaine stimulant intellectuellement« , il découvre aussi une autre spécialité du droit qui lui permet de conjuguer ses deux passions. « En école d’avocat, j’ai fait de belles rencontres et notamment celle d’un ami, devenu agent. Je me suis dit que je pouvais être un support pour l’exercice de son activité et m’adapter aussi pour le droit du sport. »
Au moment de prêter serment, Amir N’Gazi fait aussi un pas de côté. Il ne suit pas la voie d’un grand nombre de ses collègues qui intègrent des cabinets d’avocats. « J’ai eu des opportunités mais elles ne correspondaient pas à mes attentes. J’ai compris que si je voulais m’épanouir dans mon métier, il fallait que je crée mon propre cabinet. »
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L’Afrique à l’horizon
A 24 ans, le plus jeune avocat africain de France l’annonce sur les réseaux sociaux, comme sa génération aime tant le faire. Il reçoit en réponse, une déferlante de retours. « Ca m’a complètement surpris. J’ai juste mis une photo de moi en robe annonçant l’ouverture de mon cabinet. L’engouement est venue de la communauté comorienne et africaine. De plus, aux Etats-Unis, Georges Floyd venait de perdre la vie. Il y a eu une sorte d’élan de solidarité en réaction et une immense fierté de la communauté comorienne. C’est un petit pays et sa diaspora est très soudée. Le fait que je réussisse à être indépendant, a créé un engouement chez mes compatriotes. »
Son attache avec le pays d’origine de ses parents le poussera même à ouvrir un bureau à Moroni. « Ma relation avec les Comores était un peu distante dans ma jeunesse, indique l’avocat. Nous n’avions pas l’occasion d’y aller régulièrement car les billets étaient très chers. Depuis que je suis en mesure de m’y déplacer, j’y vais beaucoup plus souvent. L’ouverture de ce bureau est une forme d’hommage que je voulais rendre à mon grand-père et à ma famille. »
Cette position préférentielle africaine lui ouvre les portes des affaires et opportunités entre Paris et le continent. Se spécialisant sur la zone OHADA (zone d’harmonisation du droit des affaires en Afrique, ndlr), Amir N’Gazi contribue à permettre au droit d’avancer pour de bonnes pratiques. « Le cadre juridique dans les pays africains s’améliore à vitesse grand V. Un investisseur n’aura pas encore les mêmes garanties qu’en Europe mais les choses évoluent. Ca se standardise. Dans les 17 pays de cette zone, je fais toujours appel à un correspondant local pour effectuer les démarches ou se présenter devant les tribunaux en cas de contentieux. »
Un avocat jeune pour des clients diversifiés
Sa clientèle lui ressemble. On retrouve souvent des start-uppers, entrepreneurs de la diaspora ou sportifs en quête de conseils. « Au départ, j’ai pu penser que ce serait une faiblesse d’être si jeune. Certains confrères ont même pu me sous-estimer. Ca m’a servi pour les surprendre. C’était dur mais c’est la meilleure décision que j’ai pu prendre de toute ma vie. Cela me permet par exemple d’aider des sportifs souvent peu armés à affronter tout ce qui les entoure. Or, plus on va contacter un avocat rapidement, plus on sera protégé sur son contrat mais aussi sur tous les aspects de sa vie. Depuis, le spectre d’âge de mes clients s’est élargi ! »
Cadre réglementaire, contrat avec les clubs, investissement africain,… Amir N’gazi intervient de plus en plus sur le continent. Il constate d’ailleurs que la réglementation notamment des instances régionales (CAF) ou des championnats nationaux sont en train de se structurer de plus en plus. A l’instar du « Dirou Nya » de l’entraineur marocain Walid Regragui, il souhaite que les Africains se fassent plus confiance. « Pour le Maroc ou l’Algérie, leurs championnats ou sélections nationales sont en avance sur les Comores par exemple. Toutefois, l’horizon n’est pas si loin pour le sport africain. Dans quelques années, on sera surpris ! Nous devons juste nous faire confiance et ça finira par porter ses fruits. »
Entre ses voyages et ses affaires, il a su garder un goût certain pour la transmission. Quand il le peut, il assiste et encourage, au sein de l’association, Graine d’Orateur 93, les jeunes des milieux populaires à pratiquer l’éloquence. Un moyen pour cet amoureux de philosophie, de perpétuer le débat et la contradiction de citoyens éclairés !