Ramadan ou quand Alger redevient la « Radieuse »

 Ramadan ou quand Alger redevient la « Radieuse »

Dès la nuit tombée


Habillée de tristesse onze mois durant dès la nuit tombée, Alger mène une vie nocturne trépidante pendant le ramadan, une animation largement subventionnée par les pouvoirs publics soucieux de ne pas laisser les jeunes esprits à la portée des seuls imams en cette période de piété.


 


De la mosquée au café


La capitale algérienne s'étire paresseusement sur les bords de la Méditerranée durant le jour. Mais à peine le jeûne rompu avec le repas de l'iftar autour de 20 h (21 h en France), les citadins prennent d'assaut les rues. Jusqu'aux premières lueurs du jour, terrasses, commerces et plages restent envahis, accueillant même les fidèles d'abord retenus par les prières surérogatoires spécifiques au ramadan.


Des restaurants qui cessent leur activité diurne durant ce mois se transforment la nuit en lieux de concert et d'expositions. Sans compter les salles et les spectacles en plein air comme ce son et lumière sur l'esplanade de la Grande Poste, haut lieu de rassemblement festif d’Alger. De grands artistes ont pris possession de la scène, comme Lounis Ait-Menguellet, le Léo Ferré kabyle, la rockeuse Souad Massi, les rappeurs français Soprano et Mister You ou le groupe Gnawa Diffusion.


Le ramadan est la seule période où cette cité méditerranéenne porte légitimement le surnom d'El Bahdja (La Radieuse), donné, semble-t-il, par le géographe et historien andalou Al Bikri, charmé par une ville qu'il a décrite comme « radieuse » et « gaie ».


 


Un mois pour rompre la morosité du reste de l’année


Exceptionnellement durant le mois de jeûne, les femmes qui d'habitude s'éclipsent en ombres furtives dès la fermeture des bureaux et des écoles ont enfin le droit de se soustraire à ce couvre-feu décrété par aucun texte, mais tellement ancré dans les esprits. « C'est agréable de voir cette ambiance sur nos plages, voir les gens profiter de ces moments de détente » se réjouit Radia, mère de famille à la silhouette fine, allongée près de son compagnon sur le sable éclairé de Palm Beach où des kiosques diffusent de la musique à forts décibels.


« Les gens sont vraiment prêts à sortir le mois de ramadan plus que le reste de l'année », observe Fethi Laidouci qui gère une société d'événementiel. « Les parents par exemple, laissent leurs filles de 16, 17 ans sortir le soir, chose qu'ils ne permettront pas le reste de l’année ».


 


Dirigisme culturel contre l’influence rigoriste


« L'État met de l'argent dans l'animation pour offrir aux jeunes d'autres perspectives que les prêches des imams. C'est une manière de lutter contre le terrorisme », confie à l'AFP un fonctionnaire du ministère de la Culture sous le couvert de l'anonymat. À travers des organismes comme l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, l'Office national de la culture et d'information, l'établissement Art et Culture, les collectivités locales, l'État contribue largement à diffuser la culture et à mettre de l'animation.


« Notre programme répond tantôt à des besoins exprimés par le grand public, tantôt à une tendance générale s'accordant avec les nouvelles orientations des pouvoirs publics », confirme Nazim Hamadi, le directeur d'Art et Culture, l'un des organismes soutenus par l'État. « Le but recherché est d'accompagner les efforts de l'État visant à améliorer la qualité de vie des citoyens », insiste-t-il dans le quotidien El Watan.


Au plus fort de leur ascension au début des années 1990 puis durant les années de la guerre civile, les islamistes ont commencé à prohiber tous les loisirs, accusés d'égarer les âmes des fidèles loin des sentiers de la foi. De nombreux artistes furent assassinés, poussant de nombreux autres à s'exiler ou au moins à déserter la scène.


Rached Cherif


(Avec AFP)