Me Salah Dabouz : « le pouvoir veut tuer le projet politique au Mzab »
Me Salah Dabouz fait partie du collectif d’avocats qui assure la défense de Kameleddine Fekhar, médecin mozabite et militant des droits de l’Homme, qui a été condamné jeudi dernier par le tribunal de Médéa à 5 ans de prison, dont 18 mois fermes.
Propos recueillis par Yacine Ouchikh
De lourdes peines ont été prononcées hier par le tribunal criminel de Médéa à l’encontre de Kamel Eddine Fekhar qui s’est vu condamné à cinq ans de prison, dont dix-huit mois ferme, et une amende de 50 000 DA. Votre réaction ?
Me Salah Dabouz : Le tribunal criminel de Médéa a condamné Dr Kameleddine Fekhar, parcequ'il avait écrit trois articles de presse critiquant franchement le système politique algérien et demandant la protection de la population du Mzab qui subissait alors des attaques meurtrières. Il avait aussi aussi osé réfléchir à une autre forme d'organisation de l'Etat algérien, je dit bien qu'il avait osé réfléchir et non pas dirigé un mouvement pour demander un statut politique pour le Mzab.
Alors qu’il a déjà passé 22 mois d’incarcération, Dr Fekhar est maintenu en prison. Pourquoi cet acharnement et ce peu de clémence à son égard ?
À mon sens, le pouvoir en place cherche désespérément à étouffer un mouvement politique moderniste se basant sur les valeurs démocratiques et des droits humains. Ce mouvement a pris place largement dans la région du Mzab au début des années 1990 et a commencé à s'installer confortablement pendant les années 2000, allant jusqu'à briguer des sièges dans les assemblées locales, notamment l'APC et l'APW de Taghardait (Ghardaia), et à diriger l'APC de Bergane (Berriane). C'est justement à l'occasion de la victoire surprenante de la liste RCD conduite par Hadjaj Nacereddine, aujourd'hui en prison, qu'il y'a eu ce que l'on avait appelé les événements de Bergane en 2008. Il faut savoir que les trois derniers maires de Bergane ont tous été emprisonnés – Baouchi Affari étant mort en prison après avoir subi un traitement inhumain- parce qu'ils échappaient d’après moi au contrôle directe du pouvoir. Ceci a permis l'installation d'un courant politique moderniste surtout chez les jeunes et les femmes. De tels sacrifices ont conduit à la réalisation du projet politique voulu et recherché par cette nouvelle race de jeunes militants épris de valeurs humanistes et démocratiques. L'acharnement judiciaire ciblant les politiques modernistes existe bien entendu et a quelque peu déstructuré cette jeune classe politique tout en la rassemblant. Cette mouvance était éparpillée en trois groupes politiques qui ne se rencontraient pas organiquement malgré qu'ils soient de la même mouvance.
Lors du procès, le procureur de la République s’est adressé à votre client en lui disant : «Je vous invite à revoir vos opinions, revenez à la raison». Au final, n’est-on pas, quelque part, en train de faire payer à Dr Fekhar son engagement politique ?
Il est tout à fait clair que le pouvoir veut tuer le projet politique au Mzab, qui prend forme malgré tout à travers cette race de militants qui tient aux valeurs ancestrales tout en lui imprégnant une touche moderniste et en s'appuyant sur la solidarité universelle. C'est clair que c'est ce mouvement qui a admirablement réussi à déjouer un plan criminel dirigé par des institutions de l'Etat en le combattant avec des moyens pacifiques mais Ô combien efficaces. Ce courant moderniste a très bien réussi à vaincre la sauvagerie et la barbarie pourtant bien cadré et protégé par les moyens de l'Etat en lui opposant la technologie. Ce sont les vidéos et les images prisent par des citoyens de ce mouvement et les commentaires sur les réseaux sociaux qui ont vaincu à la fin, et c'est la détermination de ces militants qui a poussé le pouvoir à se dénoncer lui même.
Que va faire maintenant la défense ? Allez-vous introduire un recours ?
C’est au concerné de décider de la suite à donner, la défense ne fait que prodiguer des conseils, pas plus.
Avez bon espoir de voir votre client élargi au plus vite ?
J'ai espoir que le mouvement humanitaire et moderniste au Mzab continue à se faire entendre. c'est de cette façon et seulement de cette façon que nous pouvons nous en sortir. Aller en prison est un prix à payer pour libérer les esprits, et libérer les esprits est le seul moyen capable de libérer l'humain.