Algérie/Maroc. Guerre des réseaux et désinformation numérique

 Algérie/Maroc. Guerre des réseaux et désinformation numérique

Illustration – Jakub Porzycki / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Algérie/Maroc. « Fake news », « infox », « vérités alternatives », malgré ce glossaire plutôt riche, il me semble difficile de trouver chaussure au pied de cette profusion de nouveaux médias et autres réseaux sociaux, pilotés par les autorités algériennes, censés s’intéresser à l’actualité marocaine. Les vidéos hilarantes sont extrêmement intéressantes, non seulement par leur côté risible (les guignols de l’info n’auraient pas fait mieux), mais surtout parce qu’elles s’attaquent simultanément à tout ce qui donne de l’urticaire aux généraux algériens, la monarchie, les relations du Maroc avec l’Etat hébreu, le PIB du royaume etc.

 

Au fil des contenus, que ce soit les vidéos, sur twitter, facebook et même Wikipédia on apprend plein de choses qu’on ignorait jusqu’à présent dans notre pays : que le Maroc vit essentiellement de la prostitution de ses filles (et de ses mômes, pédophilie oblige), que 50% des enfants qui naissent au Maroc sont des bâtards, que c’est un sosie du roi qui dirige le pays, que ce sont les juifs qui gouvernent le pays à partir d’Israël, que 6 millions de citoyens d’ici vivent des retours de 1 million de travailleurs marocains en Algérie et j’en passe. 

Quand on apprend que le ministère algérien des Affaires étrangères vient de faire une rallonge de 3 millions de dollars US pour financer diverses actions de lobbying, dont une grosse partie va à la création de contenus hostiles au royaume et censés promouvoir l’indépendance du Sahara, on comprend mieux la profusion de ces contenus.

A ce que fait le ministère des AE vient s’ajouter le travail de propagande du Centre de communication et de diffusion (CCD), dépendant des services secrets algériens. Cette direction qui dispose de moyens colossaux. C’est elle qui gère d’ailleurs directement le budget de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), chargée du contrôle des journalistes et des médias, de la censure, de la diffusion de communiqués et des articles à publier. 

Grâce à ses réseaux en Algérie et à l’étranger, le CCD, spécialisé dans les méthodes de conditionnement de l’opinion, analyse, traite l’information et s’occupe de la stratégie médiatique visant « l’ennemi ».

Quant au Groupement de contrôle des réseaux (GCR), il est chargé du renseignement électronique, des centres d’écoute et de la surveillance des transmissions. Du matériel sophistiqué a été acquis et plusieurs brigades qui ont bénéficié récemment « de formations en Chine et de l’assistance technique des Chinois dans le contrôle de la toile. 

Le quotidien El Watan expliquait ainsi qu’un « GIX », « passerelle unique qui centralise toutes les données Internet qui entrent ou sortent d’Algérie, a été installé. De là, il suffit de mettre un tuyau et de tout récupérer ».

Quand on s’intéresse un peu à ces organes de propagande, on remarque qu’il n’y a aucune véritable stratégie pour mieux manipuler les internautes afin de les pousser à aller dans le sens que l’on désire. Même si on joue beaucoup sur l’affect (très utilisé en propagande), la peur, le paraître…, et souvent on use à l’égard de l’Algérien qui va sur ces sites, de la sécurité, du patriotisme, etc. 

Ce qui est clair, c’est que les pouvoirs publics marocains, malgré leurs moyens et les médias de ce côté-ci des frontières, n’ont pas les capacités de juger par eux-mêmes de la fiabilité de tel site internet, de telle vidéo et encore moins de répondre au coup par coup. Il y a aussi la volonté au plus haut niveau de l’Etat de ne pas tomber dans la surenchère numérique avec le voisin de l’est.

Alors faudrait-il quand même s’inquiéter de l’usage de cette propagande tous azimuts où le royaume est présenté comme une dictature sanglante, où les Marocains ne mangent pas à leur faim et où l’injustice bat son plein ? Si on s’en tient au discours « savant » sur les fake news , les « spécialistes » nous apprennent que l’influence des fake news sur le comportement des individus est fonction de leur niveau intellectuel, les ignorants ne sauraient distinguer le vrai du faux, n’ayant aucun esprit critique, tandis que les gens instruits en sont bien pourvus, et auraient tendance à ne pas croire les informations mensongères et agiraient encore moins sous leur influence. 

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Ce type de discours élitiste qui considère les Marocains d’en bas comme « des Bouzeball » est souvent le fait de ceux qui gouvernent ou du moins de ceux qui les conseillent contre contrats sonnants et trébuchants. Or dans le cas qui nous intéresse, il suffit de jeter un coup d’œil justement aux commentaires à l’humour caustique qui font suite à la circulation de ces fake news pour comprendre que l’internaute marocain s’il décide de la circulation de l’information, il le fait avec une certaine responsabilité, même s’il y aurait toujours des individus qui préfèrent relayer ces vidéos et autres contenus malgré le fait qu’ils soient convaincus de leur caractère biaisé ou faux. Intérêts politiques, idéologiques ou simple rancune vis-à-vis d’un pouvoir qu’on ne porte pas particulièrement dans son cœur. 

Au sein du pouvoir marocain même, il y a désormais tellement d’intérêts qui s’entrechoquent, entre les générations qui ont pris le pouvoir sous Hassan II et celles qui viennent juste d’y accéder, entre le capital public et la capital privé qui a repris du poil de la bête, entre les forces conservatrices (islamistes y compris) et le camp moderniste, que beaucoup n’hésitent pas à faire circuler ces fake news venues d’ailleurs pour discréditer le camp adverse. 

On l’a vu avec ces campagnes de « dégagisme » sur les réseaux sociaux qui fleurissent ça et là sans aucune logique. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui émettent des cris d’orfraie dès qu’un doigt accusateur les désigne mais nous savons tous depuis Charles Baudelaire que : « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ! ». 

Ceci dit, demander aux internautes de recourir au doute méthodique qui consiste à vérifier, recouper les sources, éviter de confondre une opinion et un fait, distinguer l’information de la communication, c’est dire à un citoyen lambda de jouer au journaliste professionnel. 

Le seul vaccin contre la démagogie numérique algérienne, c’est l’ignorance, car dès le moment où on veut combattre la contagion de masse de la désinformation, on risque de se faire complice de cette même démagogie. 

Pour quelles raisons le régime algérien cherche-t-il tant à discréditer un pays voisin aussi proche de par la langue, la culture et la religion ? Tous les intérêts du monde ne sont pas suffisants pour expliquer autant de hargne qui reste irrationnelle pour le plus averti des observateurs. Et même si on considère que le dossier du Sahara, entre autres, est aussi important pour la partie algérienne, pourquoi Alger, partie prenante a-t-il tellement peur d’entamer des négociations directes avec le Maroc, histoire de négocier « une grosse part du gâteau » ?

L’art de la diplomatie est un savant équilibre entre ténacité, flexibilité et créativité. En se montrant trop rigide, les Algériens ont pris le risque de tout faire capoter. A moins d’être assez puissant pour imposer leur point de vue, ce qui n’est pas le cas des dirigeants de ce pays, il est nécessaire de dissocier les positions de principe des uns et des autres des intérêts personnels, de façon à entrevoir de nouvelles solutions. 

Même les échanges informels qui sont censés rapprocher les positions ont été définitivement enterrés par l’équipe de Tebboune alors que rien ne vaut les discussions de couloirs ou les rencontres dans un cadre plus informel qui permettent de procéder par petits pas pour restaurer la confiance et maintenir le dialogue.

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