Loi sur les violences envers les femmes : « C’est d’abord dans la famille qu’on apprend à respecter sa mère, sa sœur, sa tante ou sa cousine », Chafia Mentalecheta, députée algérienne.
Le Sénat algérien a adopté jeudi 10 décembre une loi qui criminalise les violences faites aux femmes après plus de 10 mois de blocage. Le texte avait été adopté par l'Assemblée populaire nationale en mars dernier. Un texte qui tombe à pic car selon des chiffres officiels, 7375 cas de violences faites aux femmes ont été enregistrés en Algérie au cours des neuf premiers mois de 2015.
La nouvelle législation introduit la notion de harcèlement sexuel et punit toute forme d'agression, de violence verbale, psychologique ou physique, notamment en cas de récidive. De véritables avancées donc pour le droit des femmes.
Seul bémol, mais de taille, la notion de "pardon",ce qui pourrait favoriser l'impunité, comme le craint Chafia Mentalecheta, la députée de la communauté algérienne établie en France, que nous avons contactée. Au-delà de cette importante loi, nous avons voulu savoir où en était la situation des femmes algériennes.
LCDA : Comment vont les femmes algériennes ?
Elles évoluent dans un environnement général hostile mais elles adoptent des stratégies de contournement. Elles sont en permanence dans le combat de manière frontale ou plus subtile pour résister au sort que les machistes et les misogynes veulent pour elles. Finalement, vu sous cet angle, tant qu’elles sont dans l’exigence de leurs droits c’est qu’elles vont bien.
LCDA : Pensiez-vous il y a un an que le Sénat adopterait une loi pénalisant les violences faites aux femmes ?
La loi a été adoptée à l’Assemblée populaire nationale en mars 2015, en principe, elle aurait dû être votée au Sénat dans les 15 jours qui suivent. Manifestement, la bagarre entre réformateurs et conservateurs à l’assemblée a été vive et voilà pourquoi la loi a été bloquée.
Il aura fallu attendre donc 10 mois, quelques décès supplémentaires et spectaculaires de femmes pour qu’enfin, ceux qui avaient décidé de mettre cette loi en stand-by s’obligent à l’introduire en débat au Sénat pour la faire voter. Aujourd’hui, la loi est votée. Reste le plus important : son application et la mise en œuvre des moyens de son application.
LCDA : La mort atroce de Razika Chérif survenue en novembre dernier à Magra (NDRL : la quarantenaire avait été écrasée volontairement par un automobiliste parce qu’elle avait refusé ses avances) avait ému toute l’Algérie et relancé le débat sur la violence faite aux femmes et le harcèlement sexuel. Ce drame a-t-il influencé les sénateurs ?
Oui, effectivement. Je pense que la manifestation spontanée au cœur de l’Algérie profonde, des hommes et des femmes réclamant justice pour Razika et le respect pour toutes les femmes a certainement eu un grand impact sur les esprits de ceux qui bloquaient la loi au Sénat. J’avais d’ailleurs demandé au lendemain de sa mort à mes collègues sénateurs de prendre leurs responsabilités et de voter la loi.
LCDA : On connaît l'importance des lois mais n'est-ce pas les mentalités qu'il faut changer ?
Bien évidemment. Pour avancer, il faut une révolution culturelle, changer les mentalités. La loi sanctionne une pratique délictueuse ou criminelle mais c’est un premier instrument qui doit aider à réfléchir sur les causes et les conséquences de l’acte posé. Mais bien sûr, ce n’est pas suffisant : la famille et l’école sont aussi des corps fondamentaux dans l’éducation à la citoyenneté et au vivre ensemble.
C’est d’abord dans la famille qu’on apprend à respecter sa mère, sa sœur, sa tante ou sa cousine. C’est à l’école qu’on continue son apprentissage en apprenant à respecter sa camarade de classe et son institutrice. C’est dans chaque étape de la vie, de la petite enfance au statut d’adulte que doit se forger la conviction que les hommes et les femmes doivent mutuellement se vouer respect, considération, courtoisie et tolérance.
Nous vivons aujourd’hui dans une société qui a perdu beaucoup de ses valeurs fondamentales surtout depuis la décennie noire (NDLR: les années 90). Le terrorisme, sous couvert de fondamentalisme religieux, a transformé la société algérienne postrévolutionnaire et les femmes ont beaucoup perdu dans cette tragédie.
LCDA : Où en est-on avec le "code de la famille" ?
En Algérie, tous les codes sont civils. Que l’on soit homme ou femme, on est majeur devant la loi.Il n’y a que le code de la famille qui relève de la charia (NDLR : droit musulman). Il est donc essentiel de continuer à lutter pour que les Affaires familiales soient traitées par des lois civiles et égalitaires. Pour l’instant, le code de la famille est donc toujours d’actualité. Et même si sa révision en 2005 a permis quelques avancées en termes de droits des femmes, il n’en reste pas moins discriminatoire.
La révision de 2005 a corrigé en partie les conditions de la garde des enfants (NDLR : hadana), qui étaient très défavorables à la mère dans la première version de 1983.Mais les femmes perdent toujours leur droit de garde des enfants si elles se remarient. Par ailleurs, la nationalité algérienne à la naissance est désormais reconnue par filiation maternelle, alors que jusqu’à la révision de 2005, elle ne résultait que de la filiation paternelle. La nationalité algérienne peut également s’obtenir de plein droit par le mariage avec un Algérien ou une Algérienne. Auparavant, seule la naturalisation (à la discrétion de l’Etat) était possible.
LCDA : Quelles sont les avancées notables pour les femmes algériennes ces dernières années ?
La loi des quotas pour les femmes, dite « loi organique fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues », a été adoptée par le Parlement algérien en 2012. Cela a permis une entrée conséquente des femmes à l’assemblée où nous sommes aujourd’hui un peu plus de 32%.
Il y a également des dispositions sur le harcèlement sexuel au travail qui ont été introduites dans le code du travail et ce comportement est désormais puni par la loi même si cela reste toujours très difficile pour la victime d’en apporter la preuve comme dans beaucoup d’autres pays.
Enfin, je pense que la plus grande avancée est l’accroissement du niveau de qualification des femmes dans tous les secteurs d’activité. Elles représentent aujourd’hui 65 % des diplômés universitaires et 44 % des cadres du pays.
LCDA : Comment ont évolué les droits de la femme algérienne depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962 ?
Juste après l’indépendance de l'Algérie en 1962 et grâce aux sacrifices des martyres de la révolution et des Moudjahidates, les femmes algériennes étaient considérées comme des héroïnes. Des grands boulevards, des écoles, des lycées, des centres culturels portent leur nom. C’était une grande fierté et un devoir de patriote pour les familles d’envoyer leurs filles à l’école puis à l’université.
Est arrivé dans les années 90, le terrorisme et son lot de prédicateurs antirépublicains qui avaient pour seul but de renvoyer l’Algérie, les Algériens et particulièrement les Algériennes dans l’obscurantisme. Les femmes algériennes ont été un rempart contre la destruction du pays. Ce sont elles qui sont sorties dans la rue au mépris de leur vie pour dire stop au terrorisme et à la barbarie. Aujourd’hui, elles reconstruisent le pays et leur place dans la société.
LCDA : Est-ce que les Algériennes ont des raisons d’espérer ?
Oui, les Algériennes sont des Moudjahidates dans l’âme et malgré les freins, les difficultés, les violences exercées contre elles, l’avancée de leurs droits est inéluctable.
Propos recueillis par Nadir Dendoune