Liberté de la presse : les autorités augmentent la pression sur les médias en ligne

 Liberté de la presse : les autorités augmentent la pression sur les médias en ligne


Les autorités algériennes viennent de censurer plusieurs médias en ligne, actifs dans la couverture du mouvement antirégime Hirak, arguant notamment de financements étrangers illégaux. Un tour de vis qui inquiète les défenseurs des libertés de la presse et d’expression, alors que le pays a encore perdu 5 places dans le dernier classement RSF de la liberté de la presse.


« L’Algérie est le pays qui enregistre le plus de victimes en lien avec le coronavirus en Afrique et les autorités préfèrent s’acharner contre la presse libre », a déclaré à l’AFP Khayati Souhaieb, directeur de l’association Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique du Nord.


Basé à Alger, le site d’information en ligne Interlignes, un média généraliste lancé en 2018, a indiqué dimanche soir être inaccessible, censuré par les autorités, selon son fondateur et directeur de publication Bouzid Ichalalene. Le gouvernement algérien n’a pas réagi publiquement à ces informations.


Il s’agit du troisième média algérien à être la cible d’une mesure de censure par les autorités depuis le 10 avril après deux sites du groupe Interface Médias : Maghreb Emergent et Radio M, une radio web. À plusieurs reprises en 2017 et 2019, un autre site en ligne, TSA (Tout sur l’Algérie), qui se présente comme le « premier média francophone algérien sur internet », ne pouvait être consulté en Algérie.


« Le pouvoir veut pousser les médias sérieux à la fermeture et laisser la médiocrité régner sur ce noble métier », a réagi le fondateur d’Interlignes auprès de l’AFP. Son site avait été déjà censuré en juillet 2019 en raison de sa couverture des marches du Hirak qui a ébranlé le pouvoir pendant plus d’un an jusqu’à sa récente suspension en raison de la pandémie de Covid-19.


 


Offensive de l’État contre les médias indépendants


Le ministre de la Communication, Ammar Belhimer, un ancien journaliste, a récemment accusé des médias nationaux – dont Radio M – de bénéficier de financements étrangers, ce qui est interdit par la loi. Le patron du site Interlignes a assuré que son média se finançait exclusivement à travers la publicité en ligne en Algérie.


Selon Saïd Salhi, le vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH), l’offensive contre les sites en ligne en particulier s’explique par le fait qu’ils sont « plus actifs » que les médias traditionnels et qu’ils ne sont « pas tributaires de la publicité de l’Anep (l’organisme étatique qui régit la publicité publique, NDLR) ». Aujourd’hui, l’État veut « reprendre le contrôle d’autant qu’il existe un vide juridique concernant le presse en ligne », juge-t-il.


Parallèlement, dans le cadre d’une réforme du Code pénal, le conseil des ministres a adopté dimanche un projet de loi qui prévoit de « criminaliser (…) notamment la diffusion de fakenews » visant à « porter atteinte à l’ordre et à la sécurité publics », ainsi que « l’atteinte à la sûreté de l’État et à l’unité nationale ». Mais, RSF craint une « instrumentalisation » de cette nouvelle disposition « pour museler la presse ».


Cette offensive contre la liberté de la presse s’inscrit dans un contexte déjà dégradé en la matière. Le dernier rapport de RSF rendu public ce mardi classe l’Algérie à 146e place mondiale, en recul de cinq places par rapport à la précédente édition. Le pays se classe ainsi loin derrière ses voisins maghrébins, le Maroc et la Tunisie. Ce rapport souligne en particulier les arrestations et le harcèlement subis par la presse lors du Hirak en 2019.


Au moins deux journalistes algériens sont actuellement derrière les barreaux : Khaled Drareni, journaliste indépendant et correspondant de RSF en Algérie, et Sofiane Merakchi, correspondant de la chaîne libanaise Al Mayadeen. Pour Mahrez Bouaiche, enseignant en philosophie politique à l’université de Béjaïa (nord-est), cela montre que les pratiques qui avaient cours sous le règne de l’ex-président déchu Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) restent en vigueur. « C’est inquiétant et cela démontre que nous ne sommes pas dans la nouvelle Algérie » promise par son successeur Abdelmadjid Tebboune, élu en décembre dernier lors d’un scrutin rejeté par le « Hirak » et marqué par une abstention massive.