Le handicap peine à sortir d’une vision de charité
A l’instar des autres pays du Maghreb, l’Algérie affiche une pesanteur institutionnelle, des moyens et des infrastructures insuffisants pour les personnes handicapées. Pour pallier à ces carences, des initiatives sociales se multiplient.
Trottoirs trop hauts, revêtements dégradés, escaliers vertigineux sans rampe d’accès… Arpenter les rues d’Alger, de Batna, d’Oran ou de Tlemcen relève déjà du parcours du combattant. Qu’en est-il, alors, pour les personnes à mobilité réduite ? “On est obligés d’emprunter la route et on se met en danger !”, explique Samir, 33 ans, atteint d’une dystrophie musculaire. Selon le rapport 2011 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prévalence du handicap en Algérie est estimée à 12 % de la population, contre 5,1 % au Maroc et 2 % en Tunisie. Bien que ces pays aient ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées, “l’application des textes sur le terrain reste à consolider”, affirme l’organisation non gouvernementale Handicap International.
L’handicapé en Algérie, un “mort-vivant”
L’Algérie, comme ses voisins, doit relever le défi de la mise aux normes mondiales d’accessibilité : urbanismes, signalétiques, bâtiments publics, logements, commerces, transports, stationnements réservés… La liste est longue et les travaux herculéens. En 2006, par décret exécutif, un Conseil national des personnes handicapées a été créé, afin d’étudier les questions relatives à leur protection, leur insertion socioprofessionnelle et leur intégration. Il ne sera véritablement effectif que huit ans plus tard. Cet atermoiement exaspère : “Etre handicapé en Algérie, ça veut dire être un mort-vivant !” écrit un internaute désespéré.
Dans le domaine de l’éducation comme de l’emploi, la société s’organise poussivement et les personnes en situation de handicap – moteur, sensoriel ou cérébral – rencontrent d’importantes difficultés d’intégration. Si les chiffres sont évasifs, certaines associations de terrain relèvent un nombre considérable d’élèves victimes de discrimination à l’école. La Fédération algérienne des personnes handicapées (FAPH) rappelle que “le droit à la scolarité de tous les enfants sans distinction, étant un droit garanti par la Constitution algérienne, relève du respect des droits de l’Homme, non pas d’une vision de bienfaisance”.
Une pénurie de structures adéquates
Leur intégration se heurte à un manque de formation, aux résistances du corps enseignant, à la pauvreté des outils et matériels pédagogiques adaptés, à de nombreux problèmes d’accessibilité ou encore l’éloignement de l’école dans certaines localités… Même si, par ailleurs, des dispositifs spécialisés existent pour prendre en charge les handicapés, bon nombre de wilayas (division administrative, ndlr) ne comptent aucune infrastructure pour les accueillir, particulièrement en milieu rural.
Côté emploi, des mesures gouvernementales obligent les entreprises à consacrer 1 % des postes de travail aux personnes handicapées en capacité d’exercer. Pour les organisations et les associations de soutien aux handicapés, la mesure est insuffisante au prorata de la population concernée, et les centres d’aide par le travail (CAT), encore à l’état expérimental, n’apportent pas une intégration et une solution économique pérenne pour favoriser leur autonomie.
“L’administration a fait une erreur, elle a écrit sur ma carte ‘handicapé mental’, alors que je suis atteint de la myopathie de Duchenne (maladie génétique provoquant une dégénérescence progressive, ndlr)”, témoigne Samir. L’étude de son dossier devait inclure des informations personnelles et médicales : “J’ai été obligé de consulter une psychiatre, poursuit-il. Elle m’a posé tellement de questions choquantes, intimes, devant ma mère ! Elle a confirmé que je n’étais pas handicapé mental et a rédigé une attestation en français. Seulement, l’administration fonctionne en arabe. Il a fallu trouver un traducteur agréé et tout cela sans être remboursé !”
Une pension dérisoire jamais revalorisée
Les difficultés sont amplifiées pour ceux qui vivent dans les régions éloignées des mairies où la demande doit s’effectuer. Mobilité défaillante, peurs, méconnaissance du dispositif, illettrisme… Beaucoup de personnes handicapées souffrent d’une mauvaise prise en charge, alors qu’elles pourraient bénéficier d’une pension. Toutefois, son montant est dérisoire : 4 000 dinars à taux plein (20 euros), soit un dixième du salaire moyen en Algérie. “On nous dit que la revalorisation est en cours d’étude, puis on apprend qu’elle est retardée, car le pays est maintenant en crise économique, peste Samir. De qui se moque-t-on !” De facto, les familles doivent les prendre en charge.
Un enjeu social, politique et international
En mars dernier, la colère a enflammé les réseaux sociaux à la suite de l’intervention d’une sociologue, Zohra Fassi : “Les handicapés n’offrent rien pour le pays, alors que l’Algérie leur offre 4 000 dinars par mois”, déclare-t-elle sur une chaîne privée. “On a vraiment l’impression qu’on demande la charité”, lâche Samir. Malgré tout, des associations de soutien continuent à se mobiliser pour faire entendre leurs voix. Elles veulent être des partenaires décisifs dans les changements en cours. Ainsi, l’Union nationale des handicapés algériens (UNHA) a lancé un guide pour permettre aux concernés de connaître et de revendiquer leurs droits.
Au Maghreb, la vision du handicap est un enjeu social, politique et international, tout comme dans les pays arabes. Et pour la première fois, l’un d’eux accueillera les Jeux mondiaux d’été Special Olympics, qui se dérouleront du 14 au 21 mars 2019 à Abou Dhabi (Emirats arabes unis). Près de 7 500 athlètes porteurs de handicap, de plus de 150 pays, y sont attendus. Et d’ores et déjà, l’on murmure que plusieurs sportifs, algériens, marocains et tunisiens, seraient sur les starting-blocks !
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Adda Abdelli : « Mon handicap ne m’a jamais empêché de faire ce que je voulais »
Sida Koriche : « Le regard sur le handicap mental évolue positivement »