Algérie. La presse dans tous ses états

 Algérie. La presse dans tous ses états

FANATIC STUDIO / GARY WATERS / S / FST / Science Photo Library via AFP

Sans risque de se tromper, on peut considérer que le quotidien des journalistes dans les trois pays du Maghreb n’est pas rose, entre la censure qui peut s’abattre à tout moment sur n’importe quel journaliste et les procès à répétition dont le couperet peut tomber sur chacun de nous pour des raisons que la raison ignore. Mais il faut reconnaître sans nul doute que le pompon revient certainement à nos confrères en Algérie où le métier de journaliste est bien loin d’être une sinécure.

 

Pas forcément critiques du gouvernement, de nombreux journalistes algériens, sous couvert d’anonymat nous ont confié d’ailleurs leurs craintes d’être le prochain sur la liste. Surtout depuis que les médias ont relayé l’arrestation dans la nuit du 24 décembre dernier d’Ihsane El Kadi, traîné les mains menottées comme un vulgaire criminel avant la mise sous scellés des médias Radio M et ­Maghreb Émergent par les autorités algériennes, il semble que le régime algérien a définitivement décidé de criminaliser un métier qui faisait jusqu’à présent office de soupape de sécurité pour une population excédée par la répression et les pénuries de toute sorte dans un pays riche en pétrodollars.

Qui veut la peau des journalistes ? Il n’est pas difficile de dater le virage liberticide du régime envers la liberté de la presse en Algérie : il paraît concomitant avec l’arrivée au pouvoir de Abdelmadjid Tebboune et de son mentor le général Said Chengriha. La prise des commandes par le duo a été marquée par la virulence du hirak qui a failli renverser le pouvoir si ce n’était l’arrivée miraculeuse de la pandémie du Covid. Depuis, la presse engagée aux côtés des populations pour des revendications portant sur des revendications portant essentiellement sur l’avènement d’un État de droit va connaître les foudres de l’exécutif.

Quand le mouvement « Hirak » est né en février 2019, les journalistes de ce quotidien comme bien d’autres vont soutienir les manifestations pacifiques hebdomadaires en  protestation contre la candidature de Bouteflika (transformé en momie par la maladie) à un cinquième mandat présidentiel. La vague de répression va alors cibler les journalistes qui vont être jugés sur des chefs d’accusation tels que : l’atteinte à la sûreté nationale, l’appel à un attroupement non armé ou l’appartenance à un groupe terroriste qui relèvent plutôt du code pénal.

Résultat, tous les fleurons de la presse algérienne vont disparaître sous les coups de boutoirs des pressions politiques et financières à commencer par le journal francophone Liberté qui a cessé de paraître en Algérie dès avril 2022, alors que le quotidien El Watan est menacé de mettre la clé sous le paillasson sous la pression du pouvoir politique qui lui cherche des motifs pour le faire disparaître. A lui seul, Al Watan représente le front de la liberté de la presse en Algérie à tel point qu’en 2010, le quotidien publia un numéro spécial pour célébrer son 20ème anniversaire avec cette légende : «El Watan est né sous Chadli, il a espéré sous Boudiaf, il a résisté sous Zeroual et a survécu sous Bouteflika». 

Sous la plume d’un diplomate chevronné en la personne de Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France à Alger, on apprend ainsi que « sont aujourd’hui dans les prisons algériennes non seulement les politiques, fonctionnaires et militaires liés à l’ancien régime – et auxquels l’Armée nationale populaire doit son statut actuel -, mais aussi les journalistes qui ont eu le tort d’écrire des articles hostiles ou réservés sur le régime, et ceux qui, naïvement, ont posté sur les réseaux sociaux un jugement ou une opinion dissidente. Le Covid, dès mars 2020, avait permis à l’armée de commencer le nettoyage politique ; les circonstances internationales, la guerre en Ukraine lui ont permis de mettre définitivement le pays au pas ». 

Dans sa violente diatribe contre le pouvoir algérien publiée dans les colonnes du Figaro, Xavier Driencourt fait remarquer aussi que « tous les observateurs objectifs constatent que depuis 2020, après peut-être quelques semaines d’espoir, le régime a montré son vrai visage: celui d’un système militaire (formé, on l’oublie, aux méthodes de l’ex-URSS), brutal, tapi dans l’ombre d’un pouvoir civil, sans doute autant affairiste que celui qu’il a chassé, obsédé par le maintien de ses privilèges et de sa rente, indifférent aux difficultés du peuple algérien ». 

Preuve du durcissement du régime, même la très officielle Algérie Presse Service qui relaie la propagande officielle va être directement attachée à la présidence en 2023 : on n’est jamais mieux défendu que par soi-même ! Ainsi l’agence de presse officielle algérienne, qui a toujours relevé du ministère de la communication vient de passer sous la tutelle directe de la présidence. Ce changement de tutelle pour l’agence de presse officielle algérienne dès 2023, devra juste attendre la publication des amendement des statuts de l’agence et d’une modification de l’organigramme, avec la création de nouvelles directions.

En analysant de près le paysage médiatique algérien, il semble que les services secrets qui détiennent le véritable pouvoir aient opté pour une nouvelle stratégie vis-à-vis des organes de presse. Selon nos informations, convaincus (à tort bien entendu) que la chute brutale de l’audience des organes de presse permettra de se débarrasser sans bruit de ces poils à gratter indésirables, l’accent a été mis sur l’emprise sur les foules des réseaux sociaux et sur l’univers numérique par la création de nombreux sites et la mise en place par les autorités d’influenceurs qui travaillent en sous-main pour le pouvoir.

Le chef d’orchestre de cette nouvelle stratégie n’est tout autre que le véritable patron des services secrets, le général M’henna Djebbar, jeté en prison par l’ex chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah en octobre 2019 avant d’être repêché par le nouveau chef des armées. Parmi les premières missions de sa fameuse Direction générale de la lutte contre la subversion (DGLS) créée en novembre 2021, (qui dépend directement de la présidence de la République) la surveillance des journalistes et des ONG.  

En collaboration avec la Direction de la communication de l’information et de l’orientation du ministère de la Défense, la DGLS qui ne quitte pas des yeux les écrits et images publiés par les médias algériens garde aussi un œil sur la presse étrangère et les blogueurs contestataires.

Si le procédé est de bonne guerre, vu le demi-milliard d’hommes qui sont sur Facebook, les autres millions sur Twitter, miser sur la communauté connectée algérienne pour faire passer les messages du régime et stopper la grogne populaire paraît plutôt hasardeux. Car désormais, le régime va devoir compter avec des réseaux qui s’autonomisent, agissent puissamment dans la jeunesse, sans la médiation des journaux, certes, grands transmetteurs de jadis mais avec des générations qui voient la réalité « autrement ». Une jeunesse qui n’est pas accro à l’appartenance fondatrice de l’idée de Nation chez les aînés abreuvés d’un récit historique dépassé sur la colonisation, qui sont au pouvoir bien qu’elle subisse elle aussi les contraintes de la vraie vie.

Aujourd’hui le risque est grand qu’en Algérie, la mort de la presse renforce, à coup sûr la décomposition sociale qui menace ce grand pays gorgé de pétrole et de gaz qui s’enténèbre profondément depuis que ces héritiers de Bouteflika ont décidé d’asphyxier les journalistes dans un scénario de mort lente qui finira par avoir raison des derniers bastions de la presse libre. Comme on peut l’imaginer, l’espoir est difficile quand on étudie la réalité du pouvoir en Algérie.

 

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