Algérie-France : 60 ans après l’indépendance, l’impossible réconciliation ?

 Algérie-France : 60 ans après l’indépendance, l’impossible réconciliation ?

Des Algériens défilent près d’un grand magasin sur les grands boulevards parisiens lors de la manifestation pacifique, pour le droit à l’indépendance, organisée à Paris le 17 octobre 1961 pendant la guerre d’Algérie par la Fédération de France du FLN en bravant le couvre-feu imposé aux Français musulmans. AFP

L’Algérie a célébré ce mardi les 60 ans de son indépendance. Malgré les gestes symboliques d’Emmanuel Macron, le poids des 132 ans de colonisation pèse lourdement sur les relations avec la France. Toutefois, le travail de mémoire progresse, notamment à la faveur de l’ouverture des archives françaises couvrant la période de la guerre d’indépendance.

L’Algérie a marqué, mardi 5 juillet, le 60e anniversaire de son indépendance. Les célébrations en grande pompe ont notamment vu un important défilé militaire dans les rues d’Alger. Un fait rarissime auquel ont assisté plusieurs chefs d’État étrangers, au premier rang desquels le voisin tunisien Kais Saied et le Palestinien Mahmoud Abbas.

Après près de huit ans d’un conflit meurtrier auquel les accords historiques d’Évian ont mis fin le 18 mars 1962, l’Algérie a proclamé son indépendance le 5 juillet de la même année. Mais, cette victoire au prix de centaines de milliers de morts demeure un sujet de tensions entre la France et son ancienne colonie. Les plaies restent vives en Algérie alors que la France exclut toute « repentance » ou « excuses ». Côté français, le fantasme de l’Algérie française éternelle a fait le lit de l’extrême droite pendant les décennies suivant l’indépendance.

 

Grand écart d’Emmanuel Macron

Le président français Emmanuel Macron s’efforce toutefois depuis son élection d’apaiser les mémoires avec une série de gestes symboliques. Derniers en date : il a appelé au « renforcement des liens déjà forts » entre la France et l’Algérie dans une lettre adressée à son homologue, Abdelmadjid Tebboune. Il y réitère « son engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires des peuples algérien et français », a précisé l’Élysée.

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Parallèlement, il a fait déposer une gerbe en son nom au Mémorial national de la Guerre d’Algérie et des Combats du Maroc et de la Tunisie, quai Branly, à Paris en hommage aux victimes du massacre d’Européens à Oran. Un grand écart illustrant la difficulté à faire fi des blessures pour se projeter dans l’avenir.

« Les deux pays portent des mémoires contradictoires et irréconciliables », analyse sur France 24 Brahim Oumansour, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Selon lui, il revient aux historiens et non aux politiques de faire le travail sur la question mémorielle.

 

Une destinée commune ?

La relation bilatérale semblait avoir atteint son plus bas niveau en octobre lorsqu’Emmanuel Macron avait affirmé que l’Algérie s’était construite après son indépendance sur une « rente mémorielle ». Rente qu’entretiendrait le « système politico-militaire » pour se maintenir au pouvoir. Des propos qui avaient suscité la colère d’Alger.

Mais les relations se sont progressivement réchauffées ces derniers mois. Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont exprimé leur volonté de les « approfondir » lors d’un entretien téléphonique le 18 juin. Fin avril, le président algérien a même félicité Emmanuel Macron pour sa « brillante » réélection et l’avait invité à se rendre en Algérie.

 

Deux pays aux intérêts convergents

« Le rapide retour à une situation normale après la grave crise des derniers mois (…) est en rapport avec les tensions régionales, notamment en Libye, qu’il ne faudrait pas occulter ou minimiser », décortique Amar Mohand-Amer auprès de l’AFP. La « géopolitique régionale très instable commande (…) la consolidation des relations politiques et économiques entre les deux pays », ajoute l’historien.

« Globalement, les relations entre l’Algérie et la France sont très bonnes, même s’il y a eu des séquences de tensions et des incidents diplomatiques », rappelle Brahim Oumansour. Le chercheur mentionne notamment la coopération sécuritaire avec le soutien logistique d’Alger à l’opération Barkhane au Mali. La France a en outre longtemps été le premier partenaire commercial de l’Algérie, même si la Chine l’a devancé ces dernières.

Pour le président du parti d’opposition Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Athmane Mazouz, les « relations entre le système de pouvoir en Algérie et la France sont rythmées par des crises et de pseudo-retrouvailles depuis l’indépendance du pays ». Ne croyant pas à une refonte de cette relation, il dénonce « l’instrumentalisation de cette relation d’un côté comme de l’autre ».

 

Ouverture des archives françaises

Toutefois, certains pas importants sont en train d’être franchis dans le travail de mémoire. En décembre dernier, la France a ouvert ses archives relatives aux affaires judiciaires et aux enquêtes de police dans l’Algérie en guerre contre la colonisation. Une promesse du gouvernement alors que le président Emmanuel Macron s’était engagé à aider les historiens à éclairer les zones d’ombre de l’action de la France en Algérie, du début de l’insurrection indépendantiste en 1954 jusqu’à l’indépendance en 1962.

Mais, l’historien Amar Mohand-Amer redoute les récents succès électoraux en France de l’extrême droite ne remette en question la politique de réconciliation d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen avait en effet réaffirmé en mars que « la colonisation avait contribué au développement de l’Algérie ». Elle reproche aussi à M. Macron de « passer sa vie à s’excuser sans rien demander en contrepartie à un gouvernement algérien qui ne cesse d’insulter la France ». Profitant d’une tribune exceptionnelle, un député du Rassemblement national a par ailleurs tenu un discours révisionniste devant l’Assemblée nationale à l’ouverture de l’actuelle législature.

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Sur le plan intérieur, le pouvoir met à profit l’anniversaire pour tenter d’alléger les crispations. Trois ans après avoir été ébranlé par le Hirak, M. Tebboune a en effet lancé en mai une initiative pour briser l’immobilisme politique. Il a reçu à tour de rôle plusieurs dirigeants de partis politiques, y compris de l’opposition, et des responsables d’organisations syndicales et patronales.