BBA, capitale du hirak
Située à 200 kilomètres à l’Est d’Alger, la ville de Bordj Bou Arredj est surnommée la capitale du hirak. Connue pour son essor économique, et en particulier pour ses usines d’électroménagers, elle aurait le taux de chômage le plus bas de toute l’Algérie. Malgré cela, les habitants de la ville se donnent rendez-vous massivement chaque vendredi, pour réclamer le départ du système en place.
Bordj Bou Arredj se situe sur l’autoroute Est-Ouest, entre Alger et Sétif, la wilaya (département) demeure un pôle de passage très important.
Dès l’entrée de la ville, on y repère les panneaux publicitaires du groupe Condor; son président Abderrahmane Benhamadi, qui incarne l’homme puissant de la région, représente à lui seul 35% du marché de l’électroménager. Son frère aîné Moussa Benhamadi, sous l’ère Bouteflika, a été tour à tour ministre de la Poste et des Technologies de l’information et président d’Algérie Telecom. La conjugaison des affaires et de la politique, c’est ce qui explique la réussite du clan Benhamadi.
Pour beaucoup, la raison d’une mobilisation record à BBA, comme on aime la surnommer, s’explique en grande partie par le profond désir de dénoncer ceux qu’ils considèrent être une oligarchie. Une famille aux longues ramifications qui règne sur la ville.
L’autre explication, c’est le docteur Abdelaziz Ghedia qui nous la donne. Chirurgien depuis plus de vingt ans à BBA, il reste attentif aux changements opérés :
« Le pouvoir pour casser le hirak[1], qui se concentrait sur Alger, a décidé de dresser des barrages à l’entrée de la capitale pour empêcher les gens d’y affluer. C’est ainsi que tous les habitants des wilayas de l’Est qui passaient par l’autoroute pour se rendre sur Alger ont décidé de s’arrêter à BBA où les rassemblements étaient déjà importants. C’est de là que BBA est devenue capitale du hirak »
Il revient également sur une anecdote qui en dit long sur l’état d’esprit des Bordjiens: « Durant le mois de ramadan, une quête dans toute la ville a été faite afin d’organiser un repas collectif pour la rupture du jeûne. Mais certaines personnes, après le repas, se sont rendues compte qu’un don conséquent, en plus de la collecte, avait été fait pour financer l’événement. Ce don ayant été fait par un des membres de la famille Benhamadi, a provoqué la colère des Bordjiens. Ils ont tenu à lui rendre son don, c’est ainsi qu’ils ont acheté une vache, et qu’ils se sont rendus à son domicile pour la lui apporter. »
Cette anecdote, pleine de sens, permet de saisir clairement que le mouvement populaire rejette toute tentative de récupération politique.
Mais depuis quelques semaines maintenant, on constate un véritable essoufflement du hirak. Loin des rassemblements grandioses du début, la ville connaitrait l’organisation de deux marches différentes chaque vendredi.
Bordj Bou Arredj est une ville cosmopolite, où se mélange une population berbérophone, puisque située en plein cœur des Bibans[2], et une population arabophone. Il y’aurait donc une division au sein du hirak, entre une marche berbérophone et une autre arabophone.
Malgré la détermination des habitants de la ville, il semble que les tenants du pouvoir actuel ne reculent devant rien pour mettre un terme à la dynamique populaire.