23 ans après sa mort, les Algériens se souviennent toujours de Mohamed Boudiaf
Le 29 juin 1992, Rabah Amarouche, 62 ans à l’époque, tout jeune retraité algérien "exilé en France" depuis une trentaine d’années, regardait comme tous les soirs le journal télévisé "d’Antenne 2" : « Je me suis effondré en apprenant la nouvelle. Je ne pouvais pas croire qu'on puisse l'assassiner. Pas lui. Comme tous les Algériens, je croyais tellement en cet homme », dit-il toujours ému, 23 ans après le drame qui a ébranlé toute l’Algérie.
Le 29 juin 1992, Mohamed Boudiaf, l'un des pères de la "révolution algérienne", membre fondateur du Front de libération nationale (FLN), un des chefs historiques de la guerre d'indépendance de l'Algérie, meurt, criblé de balles. Filmé en direct par la télévision nationale, il s'écroule à la tribune de la maison de la Culture d'Annaba après qu'un homme en uniforme, surgi de derrière un rideau, eut vidé sur lui son pistolet-mitrailleur. Un assassinat qui survient en pleine crise politique.
Le 26 décembre 1991, le Front Islamique du Salut (FIS) remporte le premier tour des élections législatives. Une victoire qui ne fait pas plaisir à tout le monde, surtout au pouvoir algérien qui décide d'interrompre le processus démocratique (le tribunal d'Alger ordonne la dissolution en mars 1992). Le président en exercice Chadli Benjedid est contraint à la démission.
En janvier 1992, le pouvoir fait appel à Mohamed Boudiaf, exilé au Maroc depuis 1964. Boudiaf, auréolé d'une "légitimité historique" est perçu comme l’homme providentiel, capable de sortir le pays de la crise politique et institutionnelle. Boudiaf devient alors le président du Haut Conseil d’Etat, un gouvernement de transition. Les choses vont très mal en Algérie. C’est le début de la "décennie noire" où les attentats se succèdent. La terreur s’installe dans le quotidien des Algériens.
Le pouvoir s'est trompé sur Boudiaf qui croyait trouver en lui un homme docile. Certes, l'ancien révolutionnaire soutient de toutes ses forces la lutte contre les "islamistes", mais il entend aussi ne pas être un faire-valoir et surtout ne pas fermer les yeux sur la corruption qui mine l'Algérie. Boudiaf répéte à qui veut l'entendre qu'il n'hésitera pas à « claquer la porte si on ne le laisse pas travailler ».
Mohamed Boudiaf est profondément persuadé que les choses bougeront vraiment quand il en aura « les moyens », quand il sera un Président élu et non pas désigné.
Pour beaucoup d'Algériens, comme M'Barek, 72 ans, habitant de Toulouse, Boudiaf aurait été tué parce qu'il « devenait trop dangereux pour le pouvoir qui redoutait de le voir accéder à la présidence ». « Sa mort était plus facile à gérer que son éventuel départ », confirmeront plusieurs de ses proches.
« Boumaârafi (NDLR, son assassin) est l'exécutant d'autres commanditaires qui actuellement ne sont nullement inquiétés et continuent d'exercer leurs fonctions aux plus hauts niveaux de l'État » assure de son côté sa veuve, Fatiha Boudiaf.
Said, 38 ans, marseillais d'adoption est persuadé que « ce sont les militaires qui l'ont assassiné parce qu’il avait évoqué des centaines de dossiers où étaient impliqués des hommes de pouvoir ». « C’est dommage parce qu’il aurait pu mettre l’Algérie sur de bons rails. Lui permettre de devenir un vrai pays démocratique et faire en sorte qu’il se développe économiquement », regrette-il, amer. Avant de conclure : « Boudiaf manque à toute l'Algérie parce qu'on a l'impression qu'il était le seul à être intègre ».
Nadir Dendoune