Alain Gresh : « Il faut arrêter le massacre à Gaza »
Le fondateur et directeur du webzine sur le monde arabe, Orient XXI revient sur les 30 ans des accords d’Oslo, la situation au Proche-Orient et la position de la France dans le conflit.
Le Courrier de l’Atlas : Les accords d’Oslo sont-ils définitivement morts, 30 ans après leurs signatures ?
Alain Gresh : Ils le sont même si une partie de la communauté internationale refuse de le reconnaitre. Si elle le faisait, il faudrait qu’elle pose différemment la question d’Israël et de la Palestine. Cela nécessiterait de poser la question de l’occupation. La communauté internationale ne veut pas le faire. Il y avait un contexte aussi qui était favorable à ces accords d’Oslo. C’était la fin de la guerre froide. On réglait tous les conflits en Afrique du Sud, au Nicaragua, en Angola, etc. L’échec vient de la colonisation qui a continué comme s’il n’y avait pas de paix. A mon avis, les Israéliens n’ont jamais considéré les Palestiniens comme des égaux. Il existait une mentalité coloniale qui fait que les Israéliens pensaient que leurs droits valaient dix fois ceux des Palestiniens.
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Le Courrier de l’Atlas : Les accords d’Oslo ont quand même permis la naissance de l’Autorité Palestinienne.
Alain Gresh : Elle est totalement discréditée. Elle sert avec ses forces de sécurité à contenir la contestation en Cisjordanie. Elle sert aujourd’hui de supplétif à l’occupation israélienne. Il faut rappeler qu’avant 1993, tous les fonctionnaires de Cisjordanie et de Gaza étaient payés par Israël. Maintenant, ils sont payés par le budget de l’Autorité Palestinienne, c’est à dire, par l’Union Européenne. Les Israéliens se sont débarrassés sur l’Europe et sur la communauté internationale du poids économique de l’occupation.
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Le Courrier de l’Atlas : Faut il de nouveaux représentants palestiniens comme Marwane Barghouti par exemple ?
Alain Gresh : C’est aux Palestiniens de décider de leurs dirigeants. Marwane Barghouti est un symbole important. Toutefois, il ne faut pas croire que les Israéliens négocieraient plus facilement avec lui.La réalité, c’est que les Israéliens ne veulent négocier avec personne. Ils ne discutent pas avec le Hamas. Ils ont l’Autorité Palestinienne la plus aux ordres que l’on peut imaginer. Pour autant, les Israéliens sont incapables de donner quoi que ce soit.
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Le Courrier de l’Atlas : Comprenez-vous la position de la France dans le conflit actuel au Proche-Orient ?
Alain Gresh : Non. Depuis 15 ans, la France adopte « un tournant silencieux ». Officiellement, la France indique être pour deux Etats et contre la colonisation. Toutefois, dans la réalité, elle est de plus en plus alliée à Israël. La France soutient de plus en plus le droit à l’auto défense d’Israël. Elle ne fait aucune pression sur ce pays pour mettre en oeuvre la solution des deux Etats. Pour arrêter la colonisation, il suffit de prendre les sanctions économiques et financières contre Israël. Cela serait très facile. Pour Israël, avant les Etats-Unis, le principal partenaire commercial est l’Union Européenne. Les 700 000 colons israéliens installés en Cisjordanie de manière illégale, devraient avoir un visa pour venir en France. Il y a de nombreuses choses à faire mais il faut une volonté politique. Celle-ci, qui existait dans les années 60-70, est totalement perdue.
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Le Courrier de l’Atlas : Pensez-vous que les crimes de guerre actuels seront jugés par le droit international ?
Alain Gresh : Je l’espère. Le plus important aujourd’hui est l’arrêt des bombardements à Gaza. C’est vraiment la question centrale. Je ne comprends pas que l’on continue à hésiter face à la mort de milliers de personnes, la destruction de milliers de maisons, d’infrastructure. Les ONG l’ont dit. Les Nations Unies en ont fait de même. Il faut arrêter le massacre à Gaza. A partir de là, on verra ce que l’on fera après. Les dirigeants israéliens devraient être jugés devant la Cour Pénale Internationale. Celle-ci dépend des rapports de force. Elle n’a jamais poursuivi des gens en dehors de chefs d’Etat africains. Elle est incapable de prendre des mesures fortes.
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Le Courrier de l’Atlas : Faut il une force d’interposition entre les deux belligérants ?
Alain Gresh : Cela me semble irréaliste. A plusieurs reprises, les Palestiniens l’ont demandé pour les protéger. Il faudrait une décision de l’ONU. L’Assemblée Générale de l’ONU peut le faire. Il existe le cas de la Corée en 1950 où cela a eu lieu. Face au véto soviétique, l’Assemblée Générale a entériné l’envoi de troupes américaines sous pavillon des Nations Unies. On pourrait faire ça mais il n’y a pas la détermination politique pour l’appliquer réellement.