Développement du crowdfunding : l’Afrique doit se donner les moyens

 Développement du crowdfunding : l’Afrique doit se donner les moyens

Thameur Hemdane


Le salut économique des pays de la rive sud de la Méditerranée viendra peut-être de la nouvelle scène entrepreneuriale. Reste encore à la financer. Témoins des mannes financières conséquentes levées par le crowdfunding (financement participatif) en Europe, les pays africains commencent à se tourner eux aussi vers ce mode de financement. Thameur Hemdane, co-président de l'association Financement Participatif en Méditerranée, évoque les avancées et les limites du crowdfunding au sud de la Méditerranée.


LCDL : Nous nous étions rencontrés en 2014 à la Semaine Economique de la Méditerranée, les perspectives de développement du crowdfunding en Afrique étaient plutôt bonnes. Qu'en est-il aujourd'hui ?


Thameur Hemdane : Le secteur se développe. Je dirais même que les montants doublent chaque année, mais ça reste encore très modeste. Parce que ce sont souvent des plateformes qui s'implantent à l'étranger pour essayer de financer des projets locaux. Quelques plateformes locales ont tenté de se développer, mais avec les contraintes réglementaires, elles sont bloquées dans leur développement.


Comment les autorités locales voient-elles le développement du crowdfunding ?


En octobre 2016, nous avons organisé un grand forum sur le crowdfunding en Méditerranée. Nous


voulions marquer le coup et faire en sorte que ce ne soit pas sur la rive nord ou à Marseille. A


chaque fois qu'on organise un événement, en France ou ailleurs, finalement ça se passe entre


Européens et quelques élites qui arrivent à avoir le visa pour arriver en Europe. Avec ce forum à


Tunis, nous avons eu un grand succès (…) Ce grand succès a montré l'intérêt des différents écosystèmes au sujet.


Le séminaire de Marseille [Co-organisé avec ANIMA Invest Network, le 16 juin dernier, ndlr] était dans la droite ligne de ce grand forum. Quand on discute avec les différentes autorités dans les pays méditerranéens,  on sent un intérêt des écosystèmes, les autorités ne sont pas contre mais elles ne savent pas comment faire. Il faut une réforme, travailler sur des textes de loi. Donc forcément le sujet est pointu, ce qui peut présenter une complexité pour les régulateurs et les autorités locales. A chaque fois nous entendions cet appel : « aidez-nous, accompagnez-nous pour avancer sur ce sujet ». C'est dans ce cadre-là que nous avons fait ce séminaire en se disant que les solutions crowdfunding en France peuvent être une source d'inspiration pour les autres.


 


Comment répondre concrètement à ce besoin des pays du sud de la Méditerranée ?


Nous avons mis autour de la table plusieurs régulateurs. Mais aussi des acteurs ayant travaillé sur la réglementation (avocats, juristes, experts du crowdfunding) qui étaient là pour donner aux régulateurs, qui réfléchissent au développement de ce type de financement au sud de la Méditerranée, une boite à outils, pour répondre à leurs questions techniques. Nous avons eu des pays comme la Tunisie, le Maroc, l'Algérie, le Kenya, le Nigeria, le Rwanda, des représentants de l'UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine).


Nous essayons de parler du sud de la Méditerranée en incluant toute l'Afrique, francophone


notamment. Parce que les sujets sont les mêmes, les enjeux sont les mêmes et les besoins sont les


mêmes. Nous avons l'objectif d'organiser un autre forum au Sénégal, d'ici fin 2017, début 2018. Et travailler de manière beaucoup plus proche avec différentes autorités, d'apporter une assistance technique plus proche.


En Tunisie nous avons une équipe d'experts qui a été mise en place pour accompagner la banque centrale, le régulateur des marchés financiers, le ministères des Finances, de l'investissement, les banques… Nous les avons tous mis autour de la table et tous ces experts travaillent sur la rédaction d'une loi sur le crowdfunding en Tunisie.


Nous voulons en faire autant avec les autres pays (…) Nous essayons d'être un catalyseur et d'accompagner les différentes parties prenantes à se donner les moyens pour avancer. Concrètement, si nous ne faisons pas ce travail là, rien ne se fera et dans dix ans nous en serons au même point.   


 


Quels sont les pays d'Afrique les mieux dotés, en termes de réglementation, pour développer le crowdfunding ?


Dans quasiment toute l'Afrique, il n'y a pas de cadre réglementaire sur le crowdfunding. Avec des


approches un peu différentes entre les pays francophones et les pays anglophones. Les anglophones


ont cette culture qui dit : « ce n'est pas autorisé mais ce n'est pas pour autant interdit ». Alors


qu'en France et dans les pays francophones, la logique est plutôt : « ce qui n'est pas autorisé est


interdit ». Donc, dans les pays anglophones, nous avons des plateformes qui opèrent, sans forcément avoir un cadre réglementaire, et elles sont suivies, observées. Nous attendons de voir comment les choses évoluent pour éventuellement créer un cadre. Il faut un vrai cadre pour que toutes ces plateformes se développent en toute sérénité. Ce sont des acteurs financiers donc il est important qu'ils soient encadrés et contrôlés.


Le problème c'est qu'en Afrique francophone, lorsqu'une plate-forme se lance, elle est par défaut dans l'illégalité. Cependant le Maroc s'est saisi du sujet depuis un an et demi, il y a une loi en préparation, qui attend d'être votée. La Tunisie, c'est en cours. En Algérie, on sent qu'il y a une attente forte de la base qui attend que les institutions bougent un peu plus. Sénégal, Côte-D'ivoire, Cameroun s'intéressent de près au sujet mais les autorités ne sont pas mises en ordre de marche pour y travailler.


Propos recueillis par CH. Célinain