Cécile Duflot témoigne sur la crise humanitaire au Tchad

 Cécile Duflot témoigne sur la crise humanitaire au Tchad

Cécile Duflot en mission au Tchad. Crédit photo : Claire Le Privé / Oxfam


De retour d’une mission autour du Lac Tchad, Cécile Duflot, désormais directrice générale d’Oxfam France, alerte sur la crise humanitaire au Sahel.


Après une carrière politique rondement menée, Cécile Duflot, ex-secrétaire nationale des Verts et ex-ministre du Logement, est aujourd’hui directrice générale de l’ONG Oxfam France. De retour d’une mission (3-9 juin) autour du lac Tchad, dans la région du Sahel, cette dernière est revenue sur la crise alimentaire et humanitaire qui continue de toucher le Tchad depuis des années. Première partie de l’entretien.


Quelle est la situation actuelle  du Tchad ?


La mission à laquelle j’ai participé était spécifiquement concentrée sur le pays du Tchad en Afrique centrale.


Le Tchad occupe toujours un des derniers rangs au classement des pays établis par le programme des Nations unies suivant l’indice de développement humain (IDH). Sur 14,7 millions d’habitants, 4, 4 millions ont aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire. Nous nous sommes rendus dans la région la plus pauvre de ce pays, la zone du lac Tchad, partant de Bol, le chef-lieu pour remonter plus au nord jusqu’à la frontière avec le Niger. C’est une zone qui accueille de nombreux déplacés qui ont en majorité fuient les îles.


Nous y avons constaté la présence de très nombreuses personnes vulnérables, pour certaines d’entre elles dans un état de dénuement extrême, ayant dû quitter leurs lieux de vie sans rien emporter et ayant été confrontées pour la plupart à des violences. Leurs nouveaux lieux d’installation sont pas très éloignés du lac, « le grenier » qui était essentiel à leurs moyens de subsistance, à savoir la pêche et l’élevage, leur permettant un accès vital à l’ eau.


Une telle catastrophe pouvait-elle être anticipée ?


La région du Bassin du Lac Tchad subit depuis des années une crise multidimensionnelle, à la fois climatique et humanitaire qui affecte des millions de personnes vulnérables. Historiquement, les populations de ces régions étaient déjà particulièrement vulnérables car elles ne bénéficient pas d’infrastructures et n’ont quasi aucun accès aux services sociaux de base tels que l’éducation ou la santé. Les seuils de malnutrition aiguë modérée et sévère sont bien supérieurs aux seuils d’urgence.


La région connaît également une catastrophe climatique sans précédent avec l’assèchement du Lac Tchad lié au réchauffement climatique.


Depuis 2009, un conflit né au Nigeria a touché des millions de personnes dans le Bassin du Lac Tchad. Plus de 2,3 millions de personnes ont été contraintes de fuir en raison des exactions du groupe dit Boko Haram et des opérations de l’armée. Le conflit a pris de l’ampleur et a touché les pays voisins à l’instar du Tchad mais aussi du Niger et du Cameroun.


Le programme alimentaire mondial (PAM) a-t-il les moyens de répondre à des crises de cette envergure ?


Le Plan de réponse humanitaire 2019 coordonné par OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies, réunit tous les acteurs humanitaires dont le PAM et Oxfam autour d’une réponse conjointe à cette crise d’envergure. Combattre l’insécurité alimentaire et la malnutrition est un objectif commun, au cœur de ce plan de réponse.


Une assistance alimentaire d’urgence sera apportée aux personnes en situation d’insécurité alimentaire sévère, particulièrement aux enfants de moins de cinq ans et aux femmes enceintes et allaitantes. Un soutien pour préserver et améliorer leurs moyens d’existence sera également fourni, notamment en complément des distributions de vivres, afin que la situation alimentaire de ces personnes s’améliore durablement.


Dans cette optique, un appui d’urgence à la production agricole et à l’élevage sera priorisé dans les régions les plus sensibles, notamment dans la région du Lac (source OCHA).


En 2017, la Commission européenne a débloqué 240 millions d’euros d’aide humanitaire en faveur des personnes vivant dans cette région. Est-ce qu’une telle somme est insuffisante pour subvenir aux besoins actuels ?


Concernant le Tchad, la commission européenne est en effet le plus gros bailleur engagé pour financer la réponse à la crise au niveau national (43 millions de dollars) mais seul 30% du montant total estimé pour répondre à la crise est aujourd’hui financé et il manque 375,5 millions de dollars pour pouvoir mettre en œuvre l’intégralité du plan de réponse qui permettrait des solutions durables pour la population.


Si on élargit la problématique du Tchad à celle du Sahel, le manque est criant. Oxfam a alerté les Gouvernements lors du 31ème sommet de l’Union africaine qui s’est déroulé à Nouakchott il y a quelques semaines, aux côtés d’autres ONG pour demander d’apporter une réponse alimentaire d’urgence à près de 10 millions de personnes en insécurité alimentaire dans la région du Sahel dont 1,6 million d’enfants en malnutrition aiguë.


Dans un contexte de soudure 2018 précoce et sévère, la situation alimentaire et nutritionnelle reste très préoccupante dans certaines zones au Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Sénégal, Tchad… exacerbée par les déplacements des populations consécutifs aux conflits et risques sécuritaires dans la région.


Dans les zones pastorales, les faibles précipitations enregistrées en 2017 et les difficiles conditions climatiques ont affecté négativement la production de pâturage provocant une transhumance précoce et plus importante tout en accentuant les tensions entre les agriculteurs et les éleveurs.


Les organisations lancent un appel urgent aux gouvernements et aux donateurs internationaux pour mobiliser rapidement 318 millions € afin de permettre la mise en œuvre des plans de réponse nutritionnelle et sanitaire d’urgence des pays permettant de sauver des vies, tout en garantissant l’accès humanitaire aux zones de conflits et le respect du Droit international humanitaire (DIH), des préalables indispensables pour assurer l’efficacité opérationnelle de l’assistance humanitaire.


Le directeur régional du bureau d´Oxfam en Afrique de l’Ouest a indiqué que sans une prise en charge rapide et adéquate, le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire pourrait atteindre plus de 11 millions de personnes entre juin et août 2018 avec une nette hausse du nombre d´enfants de moins de 5 ans et de femmes enceintes et allaitantes, souffrant de malnutrition aiguë.


Par ailleurs, les organisations estiment qu’il est indispensable d’avoir une meilleure articulation entre les efforts immédiats d’une part et les efforts de développement s’attaquant aux causes profondes de la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle d’autre part.


La question de la résilience des communautés vulnérables doit être au cœur des efforts internationaux.


Propos recueillis par Charly Célinain