AGELI A. BRENI “L’Union africaine est la seule à pouvoir arrêter le conflit en Libye”

 AGELI A. BRENI “L’Union africaine est la seule à pouvoir arrêter le conflit en Libye”

Crédit photo : Damien Lefauconnier


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


Les accords de Skhirat, au Maroc, en décembre 2015, avaient laissé entrevoir une sortie de crise dans un pays fracturé par la transition post-Kadhafi. A l’heure où ceux-ci arrivent à échéance, le président du Haut Comité des tribus libyennes, lesquelles représentent 80 % de la population civile, livre son analyse.


Pouvez-vous nous expliquer la situation en Libye ?


Depuis 2011, l’ingérence en ­Libye de l’Union européenne, des Etats-Unis, de la Turquie, du Qatar et du Soudan a eu des répercussions sans précédent. Ces pays ont anéanti les forces armées libyennes, les entrepôts d’armes, les forces de sécurité publique. En neuf mois de bombardements, ils ont laissé le pays dans un “océan” de sang. La Libye a été abandonnée aux milices d’Al-Qaïda et ­au groupuscule Ansar al-Charia. Nous pensions qu’il y ­aurait un dialogue après les bombardements, mais ­dorénavant, la Libye est dans une situation dramatique, avec deux Parlements et deux administrations ­publiques. Nous sommes confrontés à des insuffisances alimentaires et à un recul de l’accès aux soins de santé. Les gens vivent comme dans les années 1950.


 


Vous êtes très critique à l’égard de l’ancien président ­Nicolas Sarkozy et des membres de la coalition qui ont mené l’offensive contre le pays. Porterez-vous plainte auprès de la Cour pénale internationale ?


Quand la situation sera stabilisée, et que la paix sera revenue, nous porterons plainte contre tous ceux qui nous ont envahis. La fraction du peuple libyen qui est opposé à l’Otan a été traumatisée par cette guerre. Pourquoi ont-ils attaqué la Libye ? On n’en connaît pas les raisons. Que ce soit l’ex-président Sarkozy, l’émir du Qatar, le ministre des Affaires étrangères britannique ou le président du Conseil italien, il va falloir qu’ils s’expliquent. Aujourd’hui encore, nous nous demandons pourquoi la Libye a été la cible d’une telle violence. Quelles en sont les raisons ? Et pourquoi, une fois la guerre terminée, ont-ils laissé le pays aux mains des miliciens ?


 


Le Maroc a joué un rôle important dans la résolution du conflit libyen, notamment avec la signature des accords de Skhirat, en décembre 2015, que l’émissaire de l’ONU, Ghassan Salamé, considère comme une “référence incontournable” pour la sortie de crise. Quel est votre point de vue ?


Le Maroc est un pays frère. Nous avons demandé aux Marocains une médiation au plus haut niveau de l’Etat, mais nous n’avions pas eu de retour. D’autant plus que le Royaume n’est pas un pays frontalier. ­Hélas, nous n’avons pas eu de retour ! Le Maroc a préféré se concentrer sur les accords de Skhirat. Nous ne sommes pas favorables à ces accords parce que les Nations unies ont discuté avec une seule équipe, qui faisait partie du camp de l’Otan. Ensuite, celle-ci s’est divisée en deux, et elle a commencé à se battre pour le volet financier et pour accaparer le pouvoir. Maintenant, si l’émissaire Ghassan Salamé veut poursuivre dans cette voie, nous discuterons avec lui et l’informerons de nos positions. Il est possible que nous trouvions un accord sur cette question.


 


Le président Macron souhaite, pour lutter contre l’immigration clandestine, installer des “hot spots” (centres d’examen pour les candidats à l’asile) afin de mieux contenir les migrants venant de votre pays. Y êtes-vous favorable ?


Nous ne pouvons accepter qu’un pays puisse venir chez nous pour y placer des “hot spots”, et qu’il les gère sur place. Peut-on penser qu’Emmanuel Macron, si la situation était inversée, accepterait que dans une ville française, l’autorité de sécurité soit entre les mains d’un pays étranger ? De plus, il faut rappeler à l’Europe, qu’avant la guerre, nous la protégions de l’arrivée des migrants. Ce sont les Français, les Américains, les Italiens et les Britanniques qui ont mis l’Europe dans cette situation. Avant février 2011, il n’y avait pas ces départs. Ce sont eux les responsables. Sur cette question migratoire, nous ne vendons pas notre pays pour des dollars.


 


Les chefs d’Etat Denis Sassou-Nguesso (République populaire du Congo) et Alpha Condé (Guinée) sont très actifs sur le dossier libyen. Pourtant, on entend peu parler du rôle de l’Union africaine. Pensez-vous que cette organisation puisse résoudre le conflit ?


En 2011, l’Union africaine a cherché à jouer un rôle dans la crise libyenne. Son but était de calmer la situation. Malheureusement, les responsables africains n’y sont pas parvenus car l’objectif de l’Occident était ­d’éliminer le colonel Mouammar Kadhafi. Après ce premier échec, l’organisation est revenue dans le jeu. Le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, continue de nous aider. J’ai également rencontré son homologue guinéen, Alpha Condé, en Italie. L’Union ­africaine a la possibilité d’aider la Libye, à condition que l’Union européenne lui laisse la main, et cesse de soutenir ceux qui tuent sur le terrain. Nous sommes aussi intimement convaincus qu’elle est le seul partenaire qui puisse arrêter la guerre entre Libyens et trouver une solution au conflit.


 


Des élections sont prévues en mars 2018. Pensez-vous qu’elles vont se tenir et êtes-vous favorable à la participation de Seif Al-Islam Kadhafi, le fils du colonel ?


Je ne pense pas qu’il y aura des élections dans les ­délais prévus. Si elles ont lieu comme les précédentes, elles ne refléteront pas la réalité du terrain. Aux précédentes élections, la moitié de la population libyenne était en exil et le reste vivait dans la peur et la violence. Nous avons posé comme condition pour une participation, la libération de la totalité des prisonniers politiques aux mains des miliciens ; dont Seif ­Al-Islam ­Kadhafi. Ces personnes ont l’autorité suffisante pour permettre la réconciliation entre Libyens, point essentiel pour une bonne tenue des élections.