Affaire Raddad. « Plus le temps passe, plus les chances de voir la vérité éclore s’amenuisent »
Najwa El Haité, l’avocate porte-parole de l’association Dynamic Maroc, milite pour la révision du procès d’Omar Raddad. Une première demande de réouverture du dossier avait échoué en 2002. Entretien.
Comment votre association a contribué au retour sur la scène médiatique de ce dossier ?
Notre association est constituée de Franco-Marocains qui ont toujours été sensibles à cette affaire aux multiples rebondissements. Certains de nos adhérents n’étaient pas encore nés au moment du procès. Cependant, ils en ont entendu parler soit par leurs parents qui l’ont suivi avec beaucoup d’intérêt, et ont vécu le verdict comme une injustice, soit à travers le film de Roschdy Zem.
Nous nous sommes rendus compte que beaucoup pensaient qu’Omar Raddad avait été innocenté puisqu’il a été partiellement gracié après sept ans en détention. Or, il lutte depuis presque trente ans en vue d’une révision de son procès.
Comment faire pour que son combat ne tombe pas dans l’oubli ?
Nous avons organisé en mars 2019 une manifestation devant le tribunal judiciaire de Nice afin de dénoncer les lenteurs inexpliquées de la justice malgré les relances de son avocate, Sylvie Noachovitch. On a également initié une pétition demandant la réouverture du procès. L’affaire a alors fait la une de la presse régionale. On estime avoir accompli notre travail de militant. Désormais, la balle est dans le camp de la justice qui devrait, on l’espère, autoriser la révision de son procès.
Une première demande de réouverture avait échoué en 2002. Cette deuxième tentative a-t-elle plus de chance d’aboutir ?
A la requête en révision déposée par maître Noachovitch a été joint le rapport d’un expert judiciaire spécialisé en génétique, Laurent Breniaux, mandaté par cette avocate, qui date de 2019 et qui innocente Raddad. Ce rapport estime que les nouveaux ADN trouvés sur la scène du crime mélangés aux lettres de sang ne sont pas des ADN de contamination (laissés par les enquêteurs, ndlr).
Au vu de ces nouveaux éléments, on ne peut qu’être optimiste d’autant plus qu’un des ADN correspond partiellement à celui d’une personne inscrite dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques. Il y a logiquement une nouvelle piste à explorer. Ceci étant, un contravis maintient la thèse de l’ADN de pollution. Il faut aussi dire, qu’hélas, plus le temps passe, plus les chances de voir la vérité éclore s’amenuisent. Les personnes dont les témoignages seraient susceptibles d’étayer d’autres pistes sont âgées ou à présent décédées.
Aucune empreinte génétique d’Omar Raddad, en revanche, n’a jamais été trouvée sur la scène du crime. Comment a-t-il pu être condamné malgré de nombreuses zones d’ombres et incohérences ?
Il fallait trouver rapidement un coupable à cet assassinat d’une extrême barbarie. Dans certaines enquêtes, les gendarmes se disent “il y a des présomptions de culpabilité” et ne vont pas plus loin. Ils estiment que c’est sans doute lui parce que des inscriptions sur la scène du crime le désignent. Cela relève du miracle qu’une femme aussi grièvement blessée ait été capable d’écrire aussi distinctement une telle phrase à deux endroits différents en pleine pénombre. Mais il s’est trouvé un magistrat pour croire qu’elle en aurait trouvé la force exceptionnelle.
Au pénal, les enquêteurs cherchent à dresser le profil psychologique du présumé coupable. Et dans ce cas, tous les éléments étaient à charge. On dresse le portrait d’un monsieur endetté, jouant aux machines à sous et qui perd tout le temps, fréquentant les prostituées etc… On écrit un récit où on se dit “c’est lui qui a tué puisqu’il avait besoin d’argent” et ce, en dépit de nombreuses incohérences.
Il faut rappeler que monsieur Raddad est illettré et parle à peine français. En garde à vue, il ne dispose pas d’un interprète. Dès ces moments décisifs tout est à charge contre lui. Il n’avait pas non plus d’avocat. C’est à partir de ces premiers procès-verbaux de garde à vue que l’enquête se fonde. Roger-Marc Moreau, le criminaliste missionné par le premier avocat, maître Vergès, estime que cette enquête a été bâclée. Ils ont estimé que c’était lui et que c’était cette piste-là qu’il fallait suivre au détriment des autres.
Pensez-vous, comme Jacques Vergès, que les origines d’Omar Raddad ont joué un rôle ?
Nous sommes dans une région qui votait déjà majoritairement Front national à l’époque. Quand vous avez un magistrat qui se permet de répliquer à madame Raddad lorsqu’elle témoigne à la barre et affirme que son mari ne ferait pas de mal à une mouche : “Il égorge bien le mouton…”, on ne peut qu’être choqué par la teneur de tels propos emprunts d’une certaine idéologie raciste et discriminante.
Je pense que ses origines ont clairement joué. Maître Vergès le disait très bien : “Quand vous êtes une personne sans réseau, maîtrisant très mal la langue française, la justice trouve en vous un coupable idéal.” D’autres pistes comme celle du cambriolage qui aurait mal tourné ou de l’entourage familial auraient pu être exploitées mais ne l’ont pas été.
Vous êtes en contact avec Omar Raddad et ses fils. Dans quel état d’esprit sont-ils aujourd’hui ?
Ils ont toujours cru en la justice française mais ils ne comprennent pas ses lenteurs. Karim, le fils ainé, a une colère froide. Il est important pour eux que leur honneur soit lavé. Il est ici question de dignité humaine, d’un nom qui a été sali. La famille a été fortement marquée. Ses membres ont fait l’objet de graves discriminations y compris à l’emploi. L’ombre de ce meurtre plane sur eux en permanence.
La famille en entier a été brisée et est devenue l’ombre d’elle-même. Le fils aîné a subi des menaces des voisins lorsqu’il a emménagé avec son épouse. Ils venaient l’insulter et le traitaient de fils d’assassin. Il m’a montré des vidéos d’une violence inouïe où l’on crache sur sa femme. Ce qu’ils réclament aujourd’hui c’est que l’honneur d’une famille soit rétabli. L’indemnisation pécuniaire qui résulterait d’un acquittement ne les intéresse pas. Aucun dédommagement ne rattrape des années d’opprobre.
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